Robert Lepage fait une rare apparition au grand écran dans Mars et Avril, où il prend la forme d'un luthier à tête d'hologramme. À quelques jours de la première de sa production The Tempest au Metropolitan Opera de New York, le metteur en scène revient sur cette expérience de tournage inusitée.

Il est rare de voir Robert Lepage travailler sous la direction de quelqu'un d'autre. Il a pourtant joué le jeu avec le réalisateur Martin Villeneuve, deux fois plutôt qu'une : après avoir prêté ses traits au luthier Eugène Spaak dans un roman photo publié en 2006, le metteur en scène a repris le même rôle pour le film Mars et Avril à l'affiche à compter de demain.

«Il est convaincant, ses idées sont séduisantes et son imaginaire est le fun», dit Robert Lepage au sujet de Martin Villeneuve. L'univers déployé sur grand écran par le jeune frère de Denis Villeneuve est d'ailleurs cousin de celui du metteur en scène de Québec. Le scénario de Mars et Avril tisse en effet des liens entre une histoire d'amour, la cosmologie de Kepler et le pouvoir spirituel de la musique.

«Ce qui m'intéressait dans la démarche de Martin, c'est qu'il se projette dans l'avenir alors qu'au Québec, on se projette surtout dans le passé. Je m'inclus dans le lot, précise d'emblée Robert Lepage. C'est quand même rare, des gens qui disent que Montréal, en 2057, ça pourrait ressembler à ça. Je trouvais ça rare dans le portrait du cinéma québécois.»

La facture visuelle de son personnage constituait de plus un «défi intéressant», selon lui. Pris entre deux mondes, Eugène Spaak a un corps d'homme, mais sa tête a l'apparence d'un hologramme. Ce qui a forcé Robert Lepage à jouer costumé en vert dans un décor vert, fin seul, de manière à ce qu'un corps (celui du mime Jean Asselin) et un décor soient ajoutés par la suite.

«Non seulement on ne parle à personne et on doit tout imaginer, mais même après avoir lu le scénario, on ne connaît pas tous les paramètres du film. On n'a pas vu les partenaires qui, normalement, seraient dans les scènes avec nous. Il n'y a même pas de playback pour nous donner une idée du ton du film, c'est très risqué», juge le metteur en scène, qui n'a pas encore vu la version finale du film de Martin Villeneuve.

En marge de son travail au théâtre et à l'opéra, Robert Lepage n'a pas totalement fait une croix sur le cinéma, contrairement à ce qu'il avait annoncé il y a quelques années. Plus question, toutefois, de «se mettre à genoux» devant Téléfilm Canada. Sa compagnie a trouvé une manière «plus flexible» de faire des films qui ressemble à la façon dont il aborde le théâtre.

«On est parfaitement libres, c'est un processus plus artisanal, mais qui donne des résultats plus intéressants», estime-t-il. Il travaille toujours à l'adaptation et au tournage de trois segments de sa pièce-fleuve Lipsynch, qui existeront sous la forme de courts métrages séparés, mais aussi sous celle d'un film de1 heure 40 minutes.

Ses collaborateurs et lui envisagent des diffusions traditionnelles (en salle), mais aussi dans des festivals de cinéma, sur Internet et à la télévision. «C'est une expérience qu'on fait», précise le créateur, qui coréalise le tout avec Pedro Pires (Danse macabre).» La sortie du film tiré de Lipsynch est prévue en 2013 à une date encore indéterminée.»

Lorsque La Presse l'a joint, hier, Robert Lepage séjournait à New York, où il adaptait sa mise en scène de l'opéra The Tempest créé l'été dernier à Québec aux dimensions du MET. «La production nous oblige à engager des chanteurs qui ont des voix extrêmement fortes, dit-il. Il faut remplir ça, cette grande salle-là. Alors, c'est une autre énergie, même si c'est le même spectacle avec les mêmes personnages et la même mise en scène.»

Il rentre à Québec le 24 octobre, au lendemain de la première new-yorkaise, pour amorcer le travail sur Coeur, deuxième volet de sa nouvelle tétralogie théâtrale intitulée Jeux de cartes. Le spectacle doit être créé en septembre 2013 en Europe. Pique, premier volet de l'oeuvre, est né à Madrid, en mai dernier.

Robert Lepage garde par ailleurs un oeil sur 2015, année qui doit marquer l'ouverture du Théâtre Le Diamant, salle à laquelle sa compagnie rêve et travaille depuis des années. Avant les dernières élections, le gouvernement du Québec s'est engagé à verser 30 millions $ au projet.

«On attend toujours l'appui du gouvernement fédéral, mais ça, on en doute», admet le metteur en scène. «On pense qu'ils vont peut-être nous aider un petit peu, mais si on comprend bien... on dirait qu'on vit dans un autre pays. Pas besoin de faire l'indépendance, ils nous font sentir comme si on était une entité étrangère.»