Bacon le film, Ce qu'il reste de nous, République: un abécédaire populaire, la filmographie d'Hugo Latulippe est faite de documentaires coups de poing qui, chaque fois, ont fait réagir. Le revoici dans un registre intimiste avec Alphée des étoiles, hommage à l'enfance et à la différence en forme de lettre d'amour d'un père à sa fille, présenté en première au Festival du nouveau cinéma (FNC), demain, et en salle dès vendredi.

Hugo Latulippe n'est pas moins militant qu'avant. Son engagement est probablement plus profond que jamais puisque c'est auprès de sa fille de 5 ans, atteinte d'une maladie génétique extrêmement rare, qu'il l'a pris. Avec sa compagne Laure Waridel et leur fils aîné Colin, la famille a fait une parenthèse d'un an dans sa vie pour s'installer en Suisse et préparer Alphée à son «entrée dans le monde», c'est-à-dire à l'école, idéalement dans une classe régulière. C'est que le couple a fait le pari que cette petite fille «prisonnière de son corps» avait surtout besoin de temps pour se développer à son rythme.

Hugo Latulippe a tiré un film sensible et impressionniste de cette année charnière, plutôt que de se lancer dans un réquisitoire pour l'intégration des enfants à cheminement particulier dans le système scolaire. «Tout le monde s'attendait à ce que je fasse ce film-là. Mais ç'a déjà été fait et ça ne m'intéressait pas.»

Le réalisateur a décidé dès le départ qu'il ne voulait pas faire un film cartésien. «Je voulais que ça se passe au deuxième étage, dans le monde de la magie, dans une certaine métaphysique aussi.» L'idée était de rester collé à la personnalité d'Alphée, petite fille joyeuse et flyée qui vit dans un monde merveilleux, se réjouit chaque fois qu'une auto passe, voit des lions dans la forêt suisse et parle à la cime des arbres. «D'une certaine manière, je voulais faire un film en Alphélie. Être dans ses souliers, fidèle à ce qu'elle est et aussi à l'absence de rationalité de l'enfance.»

Pas d'apitoiement ou de pathos donc dans ce film éclairé par la lumière des montagnes, reflet du soleil intérieur d'une petite fille qui souffre d'un retard neurologique et musculaire important, marquée par une microcéphalie et de sérieux problèmes d'élocution, mais qui défie tous les pronostics: manger, marcher, parler, chaque étape de son développement aura été un petit miracle depuis sa naissance. «C'est un film sur une enfant qui a un syndrome très rare (appelé Smith-Lemli-Opitz), mais aussi sur une enfant. Il parle également de la cellule familiale, s'interroge sur c'est quoi être parent et comment on peut concilier ça avec nos ambitions.»

Fragilité

En commençant son film avec les mots «Ma petite chérie», Hugo Latulippe, narrateur et autre personnage principal du documentaire, a mis tout de suite ses tripes sur la table en creusant dans sa fragilité d'homme et de père. «De toute façon, Alphée a ce don de mettre les gens dans cet état de fragilité, et je sais que j'ai ça en moi. Si je n'avais pas cette capacité, je ne ferais pas ce que je fais.»

Il l'avoue, il a essayé d'aller loin personnellement. «Il y a des questions profondes, pas maîtrisées et complexes, comme l'inquiétude, sentiment que je ne connaissais pas vraiment avant, et qu'on apprend dès qu'on a un enfant.» Inquiétude qui est décuplée quand notre enfant est peu équipé pour affronter la vie, et c'est pour lui en donner les clés qu'il a décidé de faire ce film. «Mais je me suis rendu compte que j'avais aussi quelque chose à dire au monde à propos d'Alphée. J'ai voulu dire: des Alphée, des gens dans la marge, il y en a plein et il y en a de toutes sortes. Comment on fait pour les intégrer, pour les accueillir en douceur?»

C'est la question qui est en filigrane de ce documentaire qui n'a rien de revendicateur, mais qui s'interroge sur notre capacité d'aider toutes les Alphée de ce monde à atteindre leur plein potentiel. Le militant n'est jamais très loin, mais Hugo Latulippe estime ne pas avoir fait un film si différent de ses précédents. «J'ai toujours fonctionné comme ça, par intuition, et j'ai l'impression d'être toujours allé très loin en moi pour chaque documentaire. C'est vrai que j'ai été amené sur le terrain du cartésianisme, j'ai eu à discuter avec des ministres, des diplomates, des fonctionnaires... Mais je crois que je suis plus sur mon terrain ici.»

Hugo Latulippe espère donc que «comme société, on va réfléchir à nos petites écoles, parce que c'est là que se bâtit une société». Son objectif reste cependant de parler des choses profondes qui l'ont mené à faire ce film, qui sont «des questions sur les gens plus fragiles, du temps qu'on prend ou pas dans la vie avec les gens qu'on aime, même sur le sens de notre présence ici. Si les films ne me mènent pas sur ces chemins-là, ça ne m'intéresse pas d'en faire.»

Les Waridel-Latulippe sont de retour au Québec depuis un an. Ils ont quitté Montréal pour un village en région, où ils ont reproduit leur vie en Suisse. Quant à Alphée, qui aura 8 ans bientôt, elle est en première année. Elle a commencé à apprendre à lire, s'exprime beaucoup mieux qu'avant et continue doucement son entrée dans le monde.

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Alphée des étoiles est présenté en première demain à 18h au FNC, et sera projeté en salle dès vendredi.

Photo: Ivanoh Demers, La Presse

Hugo Latulippe a plongé dans l'intimité de sa famille avec son documentaire Alphée des étoiles.