À moins d’avoir été sur place au Meridian Hall de Toronto jeudi soir, vous n’avez pas vu Charlotte Le Bon remporter en direct le prix Écrans canadiens du meilleur premier long métrage pour Falcon Lake.

L’Académie canadienne du cinéma et de la télévision, qui chapeaute les prix Écrans canadiens, a enfin trouvé la solution pour combattre le désintérêt du public pour les galas télévisés : elle ne télévise plus son gala. Ou plutôt ses galas. Il suffisait d’y penser.

La Semaine du Canada à l’écran, qui a débuté mardi midi avec le gala de la Programmation sportive et se termine ce vendredi à 16 h avec le gala des Arts dramatiques et humoristiques, compte sept remises de prix consacrées au cinéma canadien et à la télévision du ROC (le gala des prix Gémeaux récompensant exclusivement la télé franco canadienne).

La majorité de ces cérémonies aux noms improbables ont eu lieu en après-midi. Glamour, vous dites ? On repassera pour le showbiz, le champagne, le strass et les paillettes.

Le gala le plus prestigieux, celui des Arts cinématographiques — l’équivalent canadien des Oscars ou des Césars —, avait lieu jeudi soir, dans l’indifférence quasi absolue. Et pour cause ! Non seulement la cérémonie n’était pas télédiffusée, mais elle n’était pas diffusée tout court. Comme du reste toutes les autres remises de prix de la Semaine.

Aucune webdiffusion en direct sur l’heure du midi, le mardi, mercredi ou jeudi, pour les parents et amis des finalistes sur le site de l’Académie, ni de diffusion en différé pour les équipes des films et des émissions en lice sur sa page Facebook.

Il y a des remises de diplômes dans des écoles primaires qui semblent avoir plus d’égards pour leurs finissants.

En lieu et place de son traditionnel gala télévisé, la CBC diffusera dimanche à 20 h l’émission préenregistrée Les prix Écrans canadiens avec Samantha Bee (qui a tourné toutes ses interventions il y a deux mois). Une heure de télé bien tassée au cours de laquelle on « rassemblera de nombreuses vedettes, des entrevues exclusives et un retour sur les moments forts de la Semaine », selon le communiqué de l’Académie.

Traitez-moi de pisse-vinaigre, mais il me semble ambitieux pour une émission d’une quarantaine de minutes (sans les publicités) de résumer sept galas récompensant des lauréats dans 157 catégories. Le gala des Arts cinématographiques comptait à lui seul 141 finalistes dans 27 catégories jeudi. Quoi qu’il en soit, le suspense de l’émission de dimanche sera intenable…

Loin de moi l’envie de me transformer en Pierre Poilievre, mais qui seront, selon la CBC, les « vedettes » de l’émission préenregistrée de Samantha Bee ? C’est-à-dire outre Ryan Reynolds, que l’on a attiré grâce à un prix spécial et qui, comme la majorité des vedettes canadiennes, habite et fait carrière aux États-Unis. Parions que la définition que l’on donne au mot vedette n’est pas tout à fait la même à Saskatoon et à Trois-Rivières.

Sans vouloir empiéter sur le terrain de jeu d’Yves-François Blanchet, quelle place auront les francophones dans cette émission d’une heure ?

La question se pose : si les finalistes québécois ne dominaient pas, bon an, mal an, les catégories consacrées au cinéma, aurait-on mis un terme à la télédiffusion en direct du gala ?

Je veux bien être lucide. Le cinéma canadien n’intéresse pas le public canadien, pas plus que les émissions de télé canadiennes. La série télé la plus souvent citée au gala des Arts dramatiques et humoristiques, The Porter, n’a pas été reconduite pour une deuxième saison.

Le gala des prix Écrans canadiens est plombé par la bâtardise de toutes les remises de prix pancanadiennes où les deux solitudes se retrouvent sans jamais se rencontrer. Brother de Clement Virgo, qui a remporté 12 prix Écrans canadiens jeudi soir – dont ceux du meilleur film et de la meilleure réalisation –, a pris l’affiche au Québec le temps de cligner des yeux le mois dernier.

PHOTO CHRIS YOUNG, LA PRESSE CANADIENNE

Clement Virgo tenant un des prix remportés pour Brother, jeudi soir

Il reste que les pays comparables au Canada qui soutiennent leur cinéma diffusent toujours des galas dignes de ce nom. Pas des émissions de variétés qui tentent de s’y substituer. On ne sait toujours pas quelle formule Radio-Canada adoptera pour remplacer à son antenne le Gala Québec Cinéma. « Les préparatifs vont bon train et nous ferons des annonces à cet effet en temps et lieu », m’a assuré jeudi une porte-parole du diffuseur public.

Il faut bien sûr dynamiser et abréger les remises de prix, trop souvent interminables. Mais que la télévision publique abandonne complètement la télédiffusion des galas de nos cinémas nationaux me semble symptomatique du peu d’importance que l’on accorde à notre culture, au Québec comme dans le reste du Canada. On voudrait s’assurer de condamner notre cinéma à l’obscurité qu’on ne ferait pas mieux.

Alors que le public est inondé de séries et de films américains sur les plateformes numériques, que les contenus canadiens et québécois peinent à être découverts et à rayonner, on enterre volontairement les évènements voués à mettre en lumière les œuvres et le talent de nos artistes. Et on s’étonne que le public boude nos films…