On voudrait s’assurer de la disparition à plus ou moins long terme des salles de cinéma qu’on ne s’y prendrait pas autrement. Ceux qui préfèrent le confort de leur salon à celui des multiplexes auront probablement une raison de plus d’attendre que les films se retrouvent sur les plateformes numériques. L’inflation fait gonfler le prix des billets.

La plus grande chaîne de cinémas aux États-Unis, AMC, a décidé d’aller de l’avant avec son projet de modulation des prix selon l’emplacement du siège et sa proximité de l’écran. Dès ce vendredi, il en coûtera un ou deux dollars de plus aux Américains pour s’asseoir dans les rangées du milieu de certaines salles d’AMC.

Les sièges en périphérie seront au prix actuel. Les sièges les moins bien situés – dans la première rangée, par exemple – seront offerts à moindre coût. Toutes les salles de la chaîne AMC adopteront cette nouvelle forme de tarification, semblable à celle de salles de spectacle traditionnelles, d’ici la fin de l’année.

AMC, qui gérait les 22 salles du Forum de Montréal avant que Cineplex en hérite en 2012, ne possède plus de salles au Canada. Est-ce qu’on peut s’attendre à la même augmentation de prix chez nous ? « Nos offres premium sont en constante évolution et nous proposons différentes fourchettes de prix, m’a expliqué la porte-parole de Cineplex au siège social de Toronto, Judy Lung. Pour l’instant, nous n’envisageons pas un modèle de tarification qui s’appuie sur l’emplacement des sièges dans un auditorium. »

Pas de changement à prévoir à court terme, donc, dans la plus grande chaîne de salles de cinéma au Canada. Sauf que, sachant que le Canada et le Québec sont souvent considérés comme faisant partie du marché intérieur des États-Unis par Hollywood (pour ce qui est du calcul des recettes, notamment), il y a certainement des raisons de craindre que la pratique du prix variable s’étende au nord du 49e parallèle.

L’été dernier, Cineplex a augmenté de 1,50 $ le coût de ses billets pour les spectateurs qui en faisaient l’achat en ligne (à certaines exceptions). L’entreprise canadienne a déjà haussé le prix de certains billets de films attendus, comme The Last Jedi.

L’an dernier, AMC a testé cette stratégie avec le film The Batman. Les résultats ont dû être probants pour qu’elle en généralise la pratique à tous les films.

En revanche, la comédie 80 for Brady, mettant en vedette Jane Fonda, Lilly Tomlin, Sally Field et Rita Moreno, a attiré un nombre inattendu de spectateurs aux États-Unis depuis dix jours, malgré des critiques tièdes, grâce à une tarification spéciale : le prix des représentations en matinée a été reconduit toute la journée par AMC.

Résultat : ce film sans prétention a attiré plus de spectateurs à prix réduit que Knock at the Cabin, le plus récent champion des recettes aux guichets. La preuve, en espèces sonnantes et trébuchantes, que lorsque le prix est raisonnable, les spectateurs sont au rendez-vous.

PHOTO SCOTT GARFIELD, ASSOCIATED PRESS

La comédie 80 for Brady a fait de bonnes recettes aux États-Unis grâce à une tarification spéciale.

Mais qu’en est-il lorsqu’on augmente les prix ? Je lisais lundi la chronique de mon collègue Alexandre Pratt sur le coût exorbitant exigé des amateurs de soccer pour suivre leurs équipes préférées à la télé et sur d’innombrables plateformes numériques. Alex concluait, avec raison, qu’on risquait ainsi de tuer la poule aux œufs d’or de l’intérêt pour le soccer en Amérique du Nord.

Le scénario est différent, mais aussi inquiétant pour le cinéma en salle. Pour voir des films, parce que c’est mon métier, je suis abonné à de nombreuses plateformes numériques : Criterion (17,50 $ par mois), Netflix (19 $), Prime Video (10 $), Apple Tv+ (9 $), Disney+ (12 $) et Paramount+ (en essai gratuit cette semaine). Je me suis désabonné il y a quelques semaines de Club illico parce que l’offre de films y était franchement pauvre. C’est sans compter bien sûr mon abonnement au câble, qui à lui seul me coûte autant que toutes ces plateformes réunies.

J’ai la chance de voir bien des films gratuitement, grâce à mon travail. Mais je paie pour aller au cinéma au moins une fois par semaine. La plupart du temps, c’est pour voir un film avec mon fils sur écran IMAX, au coût de 19,99 $. En plus de mon abonnement mensuel au programme Scène+ (11,50 $). En plus du coût du stationnement (11 $ cette semaine près du Forum). Et c’est avant le maïs soufflé…

Bref, c’est rendu cher d’aller aux vues. Et la tendance est à la hausse. Les chaînes de cinéma jouent avec le feu en voulant rattraper les pertes subies pendant la pandémie.

Lorsque le prix d’un film en salle est supérieur à celui d’un abonnement mensuel à une plateforme numérique, il ne faut pas s’étonner que bien des gens préfèrent attendre qu’il soit offert sur Netflix ou Disney+ (où vient d’atterrir Wakanda Forever, moins de trois mois après avoir pris l’affiche).

Je me suis retrouvé au cinéma à New York, en famille, il n’y a pas longtemps. Je n’ai constaté qu’au moment de payer que le prix des billets était prohibitif (plus de 25 $ US par personne). J’ai payé par mégarde une prime pour voir un film d’animation quelconque dans une salle VIP, où mon fauteuil inclinable était un genre de La-Z-Boy. Est-ce que j’aurais préféré attendre de voir ce film chez moi dans le divan ? Certainement !

Le cinéma fut longtemps une sortie culturelle parmi les plus démocratiques et les moins onéreuses. Ce n’est plus le cas. Le cinéma devient de moins en moins un divertissement pour tous. Bientôt, les plus fortunés auront droit à des sièges réservés au milieu de la salle. Les autres n’auront qu’à manger des nachos, comme dirait Marie-Antoinette, et se magasiner un torticolis dans la première rangée. Sinon rester à la maison, où le prix est le même pour tous.