En découvrant le documentaire Pamela, une histoire d’amour sur Netflix, à propos du sort réservé par les médias à Pamela Anderson, j’ai repensé à toutes ces artistes qui ont été réduites à leur image, à leur corps sexualisé, au désir qu’elles ont pu susciter chez les hommes. À toutes ces héritières malheureuses de Marilyn Monroe qui ont défilé à la télé depuis 60 ans.

Pamela Anderson explique, dans ce documentaire de près de deux heures, le sentiment grisant de se réapproprier non seulement son image, mais aussi son destin et son estime de soi. C’est arrivé lorsqu’elle a posé pour le magazine Playboy au début des années 1990. Elle s’est sentie libérée.

« J’ai trouvé quelque chose que j’aimais faire », dit-elle dans ce film de Ryan White produit par son fils, Brandon Lee. Elle était jusque-là une jeune femme timide et renfermée, qui avait été découverte par hasard sur l’écran géant d’un match de football des Lions de la Colombie-Britannique, en 1989.

Pamela Anderson avait grandi dans un foyer violent, auprès d’un père alcoolique, dans un village de l’île de Vancouver, Ladysmith, où elle est retournée vivre récemment. Elle a été agressée pendant des années par une gardienne, dit-elle, violée à 12 ans par un homme de 25 ans, puis par une petite bande d’adolescents, quand elle avait 14 ans.

Devenir à 22 ans une égérie de Hugh Hefner, l’éditeur de Playboy – « le seul homme qui m’a respectée », a-t-elle confié au Times de Londres le week-end dernier –, lui a permis de se réconcilier avec sa sexualité et de lancer sa carrière de mannequin et d’actrice.

Mais cette image sulfureuse de sex-symbol, de fausse blonde pulpeuse et délurée, est devenue sa cage dorée. Surtout à partir de 1995, lorsqu’une vidéo maison de ses ébats avec son mari musicien Tommy Lee a été volée chez elle, dans un coffre-fort, par un entrepreneur revanchard. Et que l’affaire s’est retrouvée devant les tribunaux, dans un procès archimédiatisé au cours duquel on ne s’est pas gêné pour retourner contre elle l’image qu’elle projetait.

« Je me suis sentie violée », dit-elle dans Pamela, une histoire d’amour à propos du premier sextape de célébrités à inonder le web, à l’époque où ces vidéos intimes ne servaient pas de tremplin à la téléréalité. « Je savais que ma carrière était finie », ajoute la vedette de Baywatch, qui se présente devant la caméra sans fard (au sens propre et figuré). Une femme de 55 ans, plus célèbre bombe blonde de sa génération, toujours ricaneuse, mais portant les stigmates de nombreuses trahisons.

Elle n’a pas apprécié de voir le récit de la pire invasion de sa vie privée transformée en série de fiction de Disney, il y a un an, sans son consentement.

Pam & Tommy a eu beau recadrer l’histoire à son avantage et dénoncer les deux poids, deux mesures du regard que l’on porte sur la sexualité des hommes et des femmes (les uns considérés comme des tombeurs, les autres comme des traînées), Pamela Anderson dit en avoir fait des cauchemars.

« Je n’ai jamais regardé la vidéo ; je ne vais pas regarder ça, dit-elle dans le documentaire, tourné au moment de la diffusion de la série télé de Disney. Personne ne savait ce qui se passait dans nos têtes à ce moment-là. »

La diffusion « virale » de cette vidéo explicite de huit minutes a ouvert les vannes aux moqueries des commentateurs. Pamela Anderson est devenue la tête de Turc de Jay Leno, animateur du Tonight Show. Dans les images d’archives du documentaire de Netflix, on voit Leno ainsi que les intervieweurs Larry King et Matt Lauer (congédié il y a quelques années par NBC pour des allégations d’inconduite sexuelle) tour à tour interroger l’actrice à propos de ses implants mammaires.

« Je ne vois pas comment c’est intéressant, constate Pamela Anderson. C’est inapproprié de poser ces questions à des femmes. Il doit y avoir une frontière à ne pas franchir. »

PHOTO JORDAN STRAUSS, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Britney Spears à la première du film Once Upon a Time in Hollywood, le 22 juillet 2019

Elle a bien raison. Cette frontière a pourtant été allègrement franchie depuis des décennies. Dans Framing Britney Spears, documentaire de 2021 du New York Times sur la célèbre chanteuse pop américaine, on la voit elle aussi livrée en pâture aux animateurs de talk-shows de fin de soirée qui multiplient les commentaires sexistes à son sujet.

Les Américains n’ont pas le monopole des blagues de mononcles, tant s’en faut. Je suis tombé récemment sur une entrevue épouvantablement sexiste de l’animateur de l’émission britannique Top Gear, Jeremy Clarkson, en 2011, avec la comédienne Amber Heard. Elle s’y trouvait afin de parler de sa passion pour les voitures. Il n’a cessé de faire allusion aux scènes de nudité du film qui l’a révélée.

En 2007, plus près de chez nous, Guy A. Lepage a accueilli ainsi Nelly Arcan sur le plateau de Tout le monde en parle, au son de Quand on se donne (à une femme d’expérience) de Francis Martin : « Si on se fie à ses livres, elle ne manie pas que le verbe. »

Elle avait tiré une nouvelle de cette « expérience », rendue publique à titre posthume. Une écrivaine publiée trois fois aux éditions du Seuil, réduite à sa sexualité par l’animateur d’une émission suivie par un million de téléspectateurs. Imaginez toutes celles qui n’ont pas été en lice pour les prix Médicis et Femina...

C’est une évidence, et pourtant, il semble utile de le rappeler : ce n’est pas parce qu’une femme se dévoile, qu’elle se dénude dans les pages de Playboy, qu’elle se déguise en Lolita dans un vidéoclip ou qu’elle décrit son ancien métier de prostituée dans un roman qu’elle autorise qui que ce soit à la définir par sa « burqa de chair », comme le disait Nelly Arcan.

Il reste à espérer que les choses changent, que les jeunes générations soient moins sexistes que celles qui les ont précédées, que le sexisme ordinaire qui rend acceptable de tourner en dérision les interventions de chirurgie esthétique de Madonna soit une pratique, sinon en voie de disparition, du moins en perte de vitesse.

Je suis peut-être trop optimiste, mais j’ai l’impression que le sexisme décomplexé qu’a subi Pamela Anderson dans les médias il y a 30 ans serait moins facilement toléré aujourd’hui. Je suis aussi curieux de constater, parmi ce qui passe aujourd’hui pour des lubies de jeunes progressistes, ce qui sera considéré comme dépassé dans 30 ans. On appelle ça l’évolution des mœurs. Et peut-être même de l’espèce humaine.