Ainsi donc, Radio-Canada ne diffusera plus le Gala Québec Cinéma. Lorsque le diffuseur public a relégué la remise de prix du cinéma québécois à un dimanche de juin, il y a cinq ans, c’était l’assurer d’une mort certaine à plus ou moins brève échéance. L’ascenseur pour l’échafaud, en somme.

Le gala de cette année, raté, a tout de même réussi à attirer 488 000 téléspectateurs, c’est-à-dire l’équivalent de la première du nouveau talk-show de Stéphan Bureau à TVA. La formule avait grand besoin d’être dépoussiérée, du reste, comme l’ensemble des galas télévisés, qui n’ont plus la cote, au Québec comme ailleurs.

Plutôt que de passer le plumeau, Radio-Canada a décidé de faire table rase. Le diffuseur public offrira en 2023, en lieu et place du Gala Québec Cinéma, « une émission spéciale de variétés et d’entrevues diffusée au moment le plus opportun pour contribuer au rayonnement du cinéma d’ici ».

Rien de moins qu’une bouffée d’air frais. Ça manquait, les émissions de variétés et d’entrevues à Radio-Canada. En prime, a annoncé le diffuseur public lundi en fin d’après-midi, « on célébrera également le cinéma dans le cadre de la populaire émission Bonsoir bonsoir ! animée par Jean-Philippe Wauthier selon un concept qui sera précisé au printemps ».

On n’en demandait pas tant, surtout de la part d’un grand cinéphile comme Jean-Philippe ! La formule, tentée en 2020 en raison de la pandémie, avait été si concluante… Un quiz avec ça ?

Tirer sans plus de cérémonie la plogue d’un gala télévisé qui s’apprêtait à célébrer son 25e anniversaire, c’est un peu cheap de la part de n’importe quel diffuseur. Or, Radio-Canada n’est pas n’importe quel diffuseur. C’est un diffuseur public, qui a non seulement des responsabilités, mais aussi un mandat qui prévoit, en toutes lettres, qu’il doit « contribuer au développement du talent et de la culture au Canada ». Mettre en valeur le cinéma québécois fait partie de ce mandat.

« Après mûre réflexion, nous en sommes venus à la conclusion que d’autres stratégies peuvent nous permettre d’accroître plus efficacement la visibilité des films et des artistes du cinéma d’ici », a précisé par communiqué Radio-Canada. Ça ne devrait pas être trop compliqué.

Au cours de la prochaine semaine, le diffuseur public n’a prévu aucun film québécois à son antenne. Pas le moindre court métrage. Sa chaîne culturelle, ARTV, doit présenter deux films d’ici : Origami de Patrick Demers, samedi à 13 h 30 – une plage horaire prisée par les cinéphiles –, et Pour vivre ici de Bernard Émond, dimanche à 21 h. Les couche-tard qui ne sont pas abonnés à ARTV pourront voir le même film à Radio-Canada, le 4 novembre à 23 h 07.

Le seul autre film québécois qui est prévu à la grille de Radio-Canada dans les deux prochaines semaines est D’encre et de sang d’Alexis Fortier Gauthier, le dimanche 6 novembre à 2 h 07. Vous avez bien lu. Pas à 14 h 07. À 2 h 07 du matin. Qu’on vienne me dire ensuite, sans rire, que Radio-Canada a des stratégies afin « d’accroître plus efficacement la visibilité des films et des artistes du cinéma d’ici ». J’espère bien !

Radio-Canada a une chaîne tout entière consacrée à la culture, ARTV, où l’on pourra revoir, ce mardi, quatre heures d’épisodes des Belles histoires des pays d’en haut (1956-1970), trois heures de Moi et l’autre (1966-1971), une heure de La petite patrie (1974-1976), deux heures des Bougon, sept heures de séries étrangères et pas la moindre minute d’un film, d’ici ou d’ailleurs.

La seule « stratégie » élaborée par Radio-Canada, c’est celle d’avoir plus ou moins abandonné le cinéma québécois, qui n’attire pas assez de téléspectateurs à son goût. C’est la raison pour laquelle le diffuseur public a relégué le septième art à des plages horaires pas assez rentables pour qu’y soient diffusées des émissions dites originales, la nuit, l’été ou pendant les Fêtes. Et qu’il a mis un terme à la diffusion du Gala Québec Cinéma (et non pas aux galas qui célèbrent la télévision, la musique et l’humour).

Les conséquences de cette stratégie se font déjà sentir, notamment en ce qui a trait au financement de notre cinéma et à la cinéphilie, qui ne se renouvelle guère. Et c’est sans parler du sort réservé par le diffuseur public au cinéma documentaire.

Radio-Canada, je le répète, a un mandat à respecter. Je veux bien qu’on remplace un gala mal-aimé qui célèbre l’excellence du cinéma québécois par une formule plus conviviale et attrayante. Mais pas par de vagues promesses d’intégration de contenus dans des talk-shows ou des émissions de variétés. C’est l’équivalent de tenter de cacher des légumes dans une recette destinée à un enfant qui n’aime pas le brocoli. Ça fonctionne rarement.

J’ai une autre idée : plutôt qu’un gala ennuyeux, Radio-Canada devrait diffuser, à heure de grande écoute, les meilleurs films québécois de l’année, qui auraient enfin droit à cette fameuse visibilité que le diffuseur public fait miroiter par communiqué. Notre cinéma mérite mieux qu’on le laisse mourir à petit feu.