Le premier long métrage de la Québécoise Charlotte Le Bon, Falcon Lake, ouvre ce mercredi le 51e Festival du nouveau cinéma de Montréal, après avoir reçu un accueil exceptionnel à la Quinzaine des réalisateurs du Festival de Cannes et avant de prendre l’affiche, le 14 octobre. Rencontre.

Elle est devenue cinéaste par un concours de circonstances. Comme elle est devenue actrice par hasard. Comme elle est devenue une star de la télé française de manière fortuite. Comme elle est devenue mannequin par chance.

Charlotte Le Bon vivait dans les Laurentides et étudiait en arts plastiques au cégep Lionel-Groulx, à Sainte-Thérèse, lorsqu’elle a été repérée par le recruteur d’une agence de mannequins. Elle accompagnait sa mère, la comédienne Brigitte Paquette, à un guichet automatique. « Ze rest is history », comme on dit à Paris.

La jeune Charlotte a fait le tour du monde, de New York à Tokyo, puis a quitté le mannequinat à 23 ans, désabusée, pour s’installer à Paris, où elle s’est révélée dans toute sa spontanéité au bulletin météo décalé du Grand Journal, sur la populaire chaîne câblée de Canal+.

Il y a 10 ans, elle est passée du petit au grand écran, dans Astérix et Obélix : au service de Sa Majesté de Laurent Tirard. Puis elle a enchaîné les rôles au cinéma – une quinzaine en seulement cinq ans –, dans des productions françaises et américaines plus ou moins mémorables.

Parmi ses rôles les plus marquants, il y a celui de Victoire Doutreleau dans Yves Saint Laurent de Jalil Lespert, qui lui a valu d’être citée au César de la meilleure actrice dans un second rôle en 2015. Et c’est Jalil Lespert qui lui a proposé de lire, et éventuellement adapter au cinéma, la bande dessinée Une sœur, de Bastien Vivès.

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Pierre Niney et Charlotte Le Bon dans Yves Saint Laurent

Lespert est l’un des coproducteurs de Falcon Lake, le premier long métrage de Charlotte Le Bon, qui s’est approprié le récit et a décidé d’emblée de le transposer du bord de mer en Bretagne au bord d’un lac des Laurentides, où elle a grandi, après avoir passé les 10 premières années de sa vie à Montréal. Et où elle a acheté une maison il y a une dizaine d’années.

Les Laurentides, c’est vraiment le théâtre de mon adolescence. Tous mes étés, je les ai passés sur le bord des lacs, dans les forêts. Ce sont des paysages que j’ai l’impression de posséder. Transposer le récit dans un endroit que je connais par cœur, ça me rassurait. C’est un premier long métrage. J’avais besoin de me sentir bien chez moi.

Charlotte Le Bon

Falcon Lake, qui a été tourné à l’été 2021 près du bien nommé village de Gore, ouvre ce mercredi le 51e Festival du nouveau cinéma de Montréal. Ce récit initiatique, intime et poétique, qui s’inspire des codes du cinéma de genre, a reçu un accueil exceptionnel à la Quinzaine des réalisateurs du Festival de Cannes en mai dernier. Il prendra l’affiche, d’abord au Québec le 14 octobre, puis en France le 7 décembre.

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Monia Chokri et Charlotte Le Bon sur le plateau de tournage de Falcon Lake, à l’été 2021

Charlotte Le Bon, qui a coscénarisé le film avec François Choquet, raconte les premiers émois amoureux d’un Français de 13 ans (Joseph Engel), Bastien, qui vient passer quelques jours de vacances en famille dans un chalet au bord du lac où sa mère québécoise (Monia Chokri) a grandi en compagnie de son amie d’enfance (Karine Gonthier-Hyndman). Il tombe instantanément sous le charme de la fille de cette dernière, Chloé (Sara Montpetit), de trois ans son aînée, une excentrique qui s’intéresse aux histoires de fantômes et aux garçons de 19 ans.

Charlotte Le Bon a puisé non seulement dans les lieux de son adolescence, mais aussi dans les sentiments intenses qui l’habitaient à cette époque fertile en bouleversements. « C’est un fucking ravin à 13 et 16 ans, la différence d’âge ! », dit-elle, avec cet accent hybride particulier aux Québécois qui ont vécu longtemps en France. « J’ai été dans les deux positions. J’ai été l’amoureuse transie qui perd tous ses moyens et qui est prête à tout pour pouvoir séduire quelqu’un. Et j’ai été aussi celle qui apprend à se connaître, à connaître son désir à travers le regard des garçons plus vieux. »

L’adolescence, ce moment charnière souvent ingrat, ponctué de petites trahisons et de jalousies, où l’on peut se sentir à la merci de nos sentiments pour les autres, est un matériau fertile pour la création, qui a inspiré bien des cinéastes.

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Joseph Engel et Sara Montpetit dans Falcon Lake

« Mon adolescence est bien digérée, bien analysée, confie Charlotte Le Bon. Elle m’a fait beaucoup souffrir aussi ! Dans mes remerciements au générique, je salue toutes mes joies et tous mes traumas, de l’enfance à l’adolescence. Sans ça, je ne pense pas que j’aurais été capable d’écrire ce film-là. Les films de coming of age, c’est souvent des chroniques un peu innocentes, un peu douces, un peu mièvres même parfois. Alors que ce n’est pas du tout le souvenir que j’en ai. Il y a quelque chose d’absolument terrorisant dans le fait de tomber en amour pour la première fois. Il y a juste ça qui existe. »

C’est pour cette raison qu’elle a décidé de faire de Falcon Lake un récit atmosphérique, sur lequel plane une sourde inquiétude. « Je trouvais ça intéressant de pouvoir jouer avec les codes du film de genre, pour justement créer un miroir entre ces états qui nous terrorisent et qui sont de l’ordre de l’inconnu, donc de la mort presque, et les premiers émois amoureux. »

C’est ce choix qui, selon elle, a enfin donné un élan au scénario et aux bailleurs de fonds du film. « On n’arrivait pas à trouver du financement et je me prenais beaucoup de “Non” dans la gueule ! », dit-elle en riant, en parlant des refus successifs de la SODEC. C’était, convient-elle, pour le mieux.

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Charlotte Le Bon avec la comédienne principale de Falcon Lake, Sara Montpetit

Artiste multidisciplinaire – elle expose ses dessins, fait aussi de la photo –, Charlotte Le Bon semble avoir trouvé une vocation dans la réalisation. Elle a réalisé un court métrage, Judith Hôtel, présenté au Festival de Cannes en 2018, avant de consacrer le plus clair des quatre dernières années à Falcon Lake.

« Je pense que c’est Truffaut qui disait que la vie a beaucoup plus d’imagination que nous. C’est vraiment le cas pour moi. Le métier d’acteur m’est tombé dessus, vraiment par hasard. J’ai fait ça pendant 10 ans. C’est devenu mon école pour devenir réalisateur. Et depuis que j’ai commencé la réalisation, ça me paraît comme une évidence que je veux faire ça très longtemps. C’est un métier coup de cœur, qui est tellement complet et épanouissant parce que ça touche à tout ce que j’aime. La vie a tracé un chemin qui m’a donné tous les éléments, tous les outils que je devais avoir pour faire ce métier. J’ai vraiment juste envie de faire ça ! »

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Charlotte Le Bon et Christian Bale dans le film The Promise

Avant même que j’aie pu lui poser la question, elle ajoute : « Je vais continuer à jouer aussi ! » Même si elle travaille déjà sur un deuxième scénario de long métrage, on retrouvera donc celle que l’on a vue récemment au Québec dans la brillante série de François Létourneau et Jean-François Rivard C’est comme ça que je t’aime devant et derrière la caméra. Mais pas les deux en même temps.

Pour moi, ce sont deux exercices qui sont assez incompatibles. Le métier de réalisateur demande d’être dans le contrôle et le métier d’acteur, ça demande tout l’inverse. Le fait de devoir s’autojuger, s’autodiriger… Ce serait pour moi un exercice un peu narcissique.

Charlotte Le Bon

« Déjà, je déteste me voir à l’écran. Je serais vraiment maso de vouloir me filmer ! Mais j’admire ceux qui sont capables de le faire. Je ne sais pas comment ils font. »

Fébrile à la veille de présenter son film à toute sa famille, chez elle au Québec, Charlotte Le Bon est à la fois très lucide et franche lorsqu’elle aborde son parcours. « Pendant 10 ans, j’ai vraiment fait mon apprentissage à travers différents rôles qui, parfois, ne m’inspiraient pas particulièrement, pour être très honnête. Il y a plein de fois où je le faisais parce je savais que je devais continuer à apprendre. J’ai fait plein de films de merde, mais je n’ai aucun regret ! C’est important de se casser la gueule et de se sentir un peu humiliée parfois. Ça va m’arriver aussi comme réal, c’est sûr. Si j’ai la chance de continuer et de pouvoir en faire un deuxième. »

C’est la chance qu’on lui souhaite.

Falcon Lake sort en salle le 14 octobre

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