(Toronto) Vers la fin de The Fabelmans, film semi-autobiographique de Steven Spielberg, il y a une scène où l’un de ses tortionnaires du secondaire lui fait jurer de ne rien dire de ce qui vient de se passer entre eux. « Je le jure… à moins qu’un jour, j’en fasse un film ! », lui répond, narquois, le jeune Sammy Fabelman, alter ego de Spielberg.

Ce récit initiatique absolument charmant, chronique familiale doublée d’une ode au cinéma, regorge de ce type de clins d’œil et de mises en abyme. Présenté en primeur mondiale ce week-end, The Fabelmans était annoncé — avec raison – comme « l’évènement » du Festival international du film de Toronto (TIFF). Et pas seulement parce que Spielberg n’y avait encore jamais présenté un film.

Le plus grand des cinéastes populaires, Steven Spielberg est un génial caméléon qui se transforme au gré des histoires qu’il raconte. Cette fois-ci, c’est sa propre histoire (ou à peu près) qu’il met en scène. Celle de sa passion naissante pour le cinéma, au sein d’une famille excentrique, de sa petite enfance dans le New Jersey jusqu’à la fin de son adolescence dans le nord de la Californie, en passant par l’Arizona, qui l’a vu grandir dans les années 1950 et 1960.

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L’acteur Gabriel LaBelle sur le tapis rouge du film The Fabelmans, au théâtre Princess of Wales, dans le cadre du Festival international du film de Toronto, samedi

Le jeune Gabriel LaBelle, un acteur originaire de Vancouver, joue à merveille Sam, ce garçon ingénieux, timide et inquiet, passionné par le cinéma, qui réalise des films en 8 mm avec l’aide de ses sœurs ou de ses camarades scouts. Steven Spielberg avait 13 ans lorsqu’il a remporté un prix en Arizona pour un moyen métrage de 40 minutes, Escape to Nowhere, sur la Seconde Guerre mondiale.

Je l’ai montré aux acteurs de Saving Private Ryan avant le tournage de la scène du débarquement de la plage d’Omaha et ils ont quand même accepté de me suivre ! J’ai été la toute dernière personne à Hollywood à couper de la pellicule. L’odeur du celluloïd me manque.

Steven Spielberg

Le portrait que fait Spielberg de sa famille est plein de tendresse. Son père (Paul Dano) était un brillant ingénieur spécialisé dans l’informatique, qui encourageait son fils dans ce passe-temps qu’est le cinéma, mais espérait pour lui une carrière dans un domaine plus « concret ». Sa mère (Michelle Williams), une pianiste de formation, a abandonné sa carrière artistique pour élever ses enfants.

« Toi et moi, nous sommes des junkies d’art », lui dit son grand-oncle (Judd Hirsch), un ancien dompteur de lions du cirque Barnum, qui lui prédit une vie déchirée entre le cinéma et sa famille.

On reconnaît en eux ce qu’est devenu Spielberg, l’artiste de génie passionné par les mécanismes du cinéma et de la mise en scène, au point de s’imaginer filmant l’annonce de la séparation de ses parents à ses sœurs, afin d’en exploiter tout le potentiel dramatique…

« Je pensais que ce serait plus facile [de faire ce film], a avoué d’emblée Steven Spielberg en conférence de presse, dimanche. Je connais si bien l’histoire et les personnages. J’ai trouvé intimidant de recréer ce récit, même s’il est semi-autobiographique. »

Je ressentais le poids de la responsabilité de rendre compte de la vie de mes sœurs et de mes parents, qui ne sont plus là. Je n’avais pas de distance de mon sujet, alors que d’habitude, il y a toujours la caméra entre moi et les évènements.

Steven Spielberg

Ses parents sont morts récemment, sa mère en 2017 à 97 ans, et son père en 2020 à 103 ans, ce qui n’est sans doute pas étranger au fait que son film le plus personnel voit le jour aujourd’hui. La pandémie a aussi été une source de motivation, dit-il.

« Je voyais le bilan des morts et je me demandais jusqu’où ça irait. Si je voulais raconter cette histoire, ce récit initiatique d’un garçon qui a des parents très particuliers, c’était le temps de le faire », dit le cinéaste de Jaws et de Schindler’s List, qui aura bientôt 76 ans.

« Ce fut difficile par moments. La charge émotive était grande. J’ai poussé un soupir de soulagement à la fin en me disant : ‟Voilà un livre que je n’aurai pas besoin d’écrire !” »

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Le cinéaste Steven Spielberg, accompagné de sa femme Kate Capshaw lors de la première du film The Fabelmans au Festival international du film de Toronto, samedi

The Fabelmans démarre sur un ton naïf et enfantin, à la Hugo de Scorsese, ce qui m’a fait craindre le pire. Mais le scénario — coécrit par Spielberg avec son collaborateur de longue date Tony Kushner — devient de plus en plus dense et intéressant, à force d’explorer les zones d’ombre. Sous la joie de vivre des fabuleux Fabelman (comme l’aurait dit Orson Welles) se cachent des secrets et des blessures.

Ce film émouvant, rempli de tendresse et de nostalgie, d’humour et de mélancolie, est à la fois une leçon de cinéma et une démonstration des vérités et mensonges intrinsèques du cinéma.

« Les films sont des rêves qu’on n’oublie jamais », dit la mère de Sam, avant qu’il ne voie son premier long métrage, The Greatest Show on Earth de Cecil B. DeMille (« qui m’a traumatisé pendant des années », explique Steven Spielberg). Pour le meilleur et pour le pire.

« Quand j’ai réalisé E.T., j’avais en tête de faire un film sur le divorce de mes parents. Mais il y a un extraterrestre qui s’est mis entre nous et qui a fait dévier le récit ! », raconte Spielberg, à propos de son plus célèbre film, qui a fait la clôture du Festival de Cannes il y a 40 ans. E.T., le premier film que j’ai moi-même vu au cinéma — et que j’ai revu en salle il y a quelques semaines —, avait lui aussi ses clins d’œil au cinéma du vieux Hollywood, en particulier à The Quiet Man de John Ford.

Dans The Fabelmans, Sam, qui décide de quitter l’université et de faire des films, rencontre très brièvement, dans une scène délicieuse, le cinéaste de The Man Who Shot Liberty Valance (incarné par nul autre que David Lynch).

« Je ne dirai pas ce qui est authentique et ce qui est une reconstitution de mes souvenirs dans le film, a précisé Steven Spielberg en conférence de presse. Mais ce que dit John Ford dans le film est texto ce qu’il m’a dit à l’époque, de la première à la dernière phrase ! »

The Fabelmans doit prendre l’affiche en novembre.

Elles attendaient Harry

À 6 h 45, dimanche matin, alors que les rues du centre-ville de Toronto étaient désertes, j’ai croisé devant le Princess of Wales Theatre deux douzaines d’admirateurs (surtout des admiratrices) de Harry Styles… prévu sur le tapis rouge 12 heures plus tard. « Je suis arrivée à 6 h, mais il y en a plusieurs qui ont passé la nuit ici ! », m’a confié une jeune femme, accompagnée d’un ami. J’ai tenté de ne pas laisser paraître dans mon regard ma profonde incompréhension.

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Harry Styles rencontrait des admirateurs devant le théâtre Princess of Wales lors de la première du film My Policeman, au Festival international du film de Toronto, dimanche.

« La raison pour laquelle, à mon avis, cette histoire est si désolante est qu’elle s’intéresse au temps perdu. Et je crois que le temps perdu est la chose la plus désolante », déclarait quelques heures plus tard Harry Styles, pendant la conférence de presse du film My Policeman. Indeed, Harry…

Il y a moins d’une semaine, le chanteur et comédien s’est retrouvé au cœur d’un improbable psychodrame autour de cette question improbable : a-t-il ou pas craché sur son confrère Chris Pine lors de la première vénitienne du film controversé d’Olivia Wilde, Don’t Worry Darling ? Dimanche, je n’ai pas pris de risque : je me suis assis à plusieurs rangées de la scène…

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Les acteurs Harry Styles, Emma Corrin et David Dawson sur le tapis rouge de la première du film My Policeman, au théâtre Princess of Wales, dans le cadre du Festival international du film de Toronto, dimanche

Harry Styles était notamment de passage au TIFF afin de recevoir, en compagnie de l’ensemble de la distribution de My Policeman, le Tribute Award for Performance. Le film de Michael Grandage, dans lequel Styles incarne un policier gai épris d’un conservateur de musée qui préfère se marier plutôt que de risquer la prison — l’homosexualité étant un crime, notamment en Angleterre, dans les années 1950 —, est un drame classique, sans surprise et sans éclat, qui ne passera pas à l’histoire.

Je ne peux pas dire que j’ai été aussi convaincu que les dirigeants du TIFF par l’interprétation (terne et quelconque) de Styles dans cet apparent téléfilm tourné en partie, ironiquement, à Venise. Il a un joli sourire Pepsodent, de beaux yeux tant mieux, des fesses qui se connaissent (et que l’on voit bien à l’écran), mais son jeu est-il juste ? The jury is still out, comme on dit sur Bay Street.