Il y a 20 ans, le 2 août 2002, sortait en salle le premier long métrage réalisé par Ricardo Trogi, Québec-Montréal. Une comédie grinçante sur les relations hommes-femmes, filmée dans cinq voitures sur l’autoroute 20, de la capitale vers la métropole. Un succès critique et populaire (1,4 million de recettes), auréolé en 2003 de quatre prix Jutra, dont ceux du meilleur scénario, de la meilleure réalisation et du meilleur film. Regard dans le rétroviseur avec deux de ses coscénaristes, Ricardo Trogi et Patrice Robitaille.

À l’été 1999, fort d’une dizaine de courts métrages et d’une participation remarquée à La course destination monde, Ricardo Trogi devait réaliser avec ses amis Patrice Robitaille et Jean-Philippe Pearson un faux documentaire pour Télé-Québec. Mais après avoir vu les premières images d’un montage provisoire, le producteur a remercié les trois amis sans plus de préavis…

Se retrouvant le bec à l’eau, sans contrat pour l’été, le trio a décidé de dépoussiérer un concept de Robitaille pour un long métrage expérimental, qu’il imaginait filmé en temps réel dans une seule voiture entre Québec et Montréal.

PHOTO MICHEL GRAVEL, ARCHIVES LA PRESSE

Tournage du film Québec-Montréal, en août 2001

« Je le voyais comme un plan-séquence avec une caméra dans l’auto et un scénario improvisé autour d’un canevas. Les gars seraient allés pisser à Drummondville et on aurait continué à filmer sans eux dans l’auto ! », se rappelle en riant le comédien.

« Quand il m’en a parlé la première fois, je n’ai pas allumé. Pour un premier film, être pogné dans un char, ce n’est pas ce qui me faisait rêver d’un point de vue visuel », reconnaît Ricardo Trogi, que j’ai rencontré la semaine dernière à Radio-Canada, lieu de notre toute première entrevue, en 1994, pour La course (le sujet du prochain film de la série 1981).

C’est pourtant Trogi qui a redonné vie au projet, lorsqu’il a imaginé des ellipses et des histoires qu’il était possible de raconter simultanément. Le trio s’est mis au boulot, échangeant des idées, des répliques et des pétards. À l’époque, Robitaille et Trogi étaient pratiquement voisins, rue de Rouen. À l’automne 1999, la première ébauche du scénario de Québec-Montréal était prête.

« On avait écrit des histoires pour 17 voitures, mais on a réduit ça à 5 parce qu’on a bien vu que l’idée ne tenait pas la route ! », explique Trogi. Ses coscénaristes et lui avaient envie de se reconnaître au cinéma. D’entendre la langue et les préoccupations de sa génération, celle qui avait à l’époque 25-30 ans, au grand écran.

« Ce film-là, on l’a écrit beaucoup en réaction à ce qu’on voyait et à ce qu’on entendait au cinéma au Québec, dit-il. C’était souvent dans un français international. Les films étaient faits pour être présentés en Europe alors qu’en Europe, ce n’est pas la langue qui est parlée. C’était n’importe quoi. On voulait présenter la langue qu’on parle tous les jours. Notre gros cheval de bataille, c’était ça. »

Un succès critique et populaire

Le trio a proposé son scénario à la productrice Nicole Robert (GO Films), avec qui Trogi avait collaboré au projet avorté d’adaptation du roman L’avaleur de sable de Stéphane Bourguignon. « Les distributeurs n’étaient pas très intéressés par notre projet, se rappelle Patrice Robitaille. Dans mon souvenir, Nicole avait fait une entente avec un distributeur, en lui proposant un film avec des vedettes qui pouvait se vendre plus facilement. En contrepartie, le distributeur acceptait de prendre ce projet de jeunes créateurs inconnus. »

Ces jeunes créateurs n’allaient pas être inconnus longtemps. Québec-Montréal, salué par la critique pour son audace et son inventivité, a engrangé 1,4 million aux guichets. Le prochain film scénarisé par Trogi, Robitaille et Pearson, Horloge biologique, qui a pris l’affiche exactement trois ans plus tard, a accumulé des recettes phénoménales de 4,4 millions.

Au-delà de son succès, Québec-Montréal a surtout révélé une génération d’artistes talentueux (acteurs, auteurs, dramaturges, réalisateurs), qui a profondément marqué la culture populaire québécoise des deux dernières décennies. Que ce soient les projets de Trogi à la télé (Les Simone) et au cinéma (1981, 1987, 1991), le travail de Robitaille sur scène et à l’écran ou encore les pièces et les séries de François Létourneau (Les invincibles, Série noire, C’est comme ça que je t’aime), qui interprète l’un des rôles principaux du film.

Ils avaient, pour la plupart, entre 26 et 32 ans à la sortie du film et faisaient leurs premiers pas au cinéma : Trogi, Robitaille, Pearson, Létourneau, Pierre-François Legendre, Julie Le Breton, Stéphane Breton. Isabelle Blais, qui a remporté dans la foulée le prix Jutra de la meilleure actrice de soutien, avait à peine plus d’expérience et Benoît Gouin, le fameux « Michel Gauvin/Mike Gauvin » du film, arrivait au jeu après des études en médecine.

On découvrait la « gang de Québec ». Certains, comme Robitaille et Létourneau, se connaissaient depuis le cégep, où ils avaient fait du théâtre. La plupart, dont Trogi, Pearson, Legendre (et d’autres, tels que Rémi-Pierre Paquin) se sont rencontrés à l’Université Laval, où ils faisaient de l’impro.

« Je n’ai pas engagé d’inconnus, constate Trogi. Je connaissais Isabelle Blais parce qu’elle étudiait au Conservatoire avec Patrice. Rémi-Pierre, Martin Laroche, qui étaient aussi dans notre gang, ont auditionné pour des rôles, si je me souviens bien. J’étais content que les gens trouvent les acteurs bons, même s’ils n’étaient pas connus. »

PHOTO MARTIN TREMBLAY, ARCHIVES LA PRESSE

Isabelle Blais, après avoir remporté le prix de la meilleure actrice de soutien à la Soirée des Jutra, en 2003

Ils étaient effectivement tous très bons, même dans les rôles plus secondaires (Catherine-Anne Toupin et Geneviève Rochette, notamment). « Il y a une grande part de chance d’avoir rencontré des gens talentueux. Mais j’ai aussi l’impression qu’il y a quelque chose de stimulant dans le fait d’être entouré de gens de talent. Tant mieux si ce qu’on a fait a eu une résonance », constate Patrice Robitaille, que j’ai joint au téléphone alors qu’il allait chercher ses enfants au camp d’été où ils avaient passé la semaine, dans la région de Québec.

« C’est comme dans C’est comme ça que je t’aime ! », dit Robitaille. Au même moment, François Létourneau, auteur de cette délirante série de Radio-Canada, faisait le même trajet Montréal-Québec afin de retrouver ses propres enfants au même camp. Ça ne s’invente pas.

Ce qui a mal vieilli

Ce qui a moins bien vieilli que le jeu des acteurs, ce sont les images de Québec-Montréal. Le film a été tourné en MiniDV, comme les courts métrages précédents de Trogi, dont C’est arrivé près de chez nous, à propos d’un séducteur en série (Robitaille) qui parle de ses conquêtes. « Si j’avais à le refaire, je le ferais autrement », reconnaît le cinéaste. « C’est le support technique qu’on avait, avec peu de moyens. Il est daté, mais c’est la vie », ajoute Patrice Robitaille. Le film se retrouve sur aucune plateforme de diffusion, seulement en DVD.

Le propos, lui, a-t-il mal vieilli ? Le film met en scène des personnages masculins qui ne se présentent pas sous leur meilleur jour, une constante dans l’œuvre collective de la « gang de Québec » (autant dans Québec-Montréal qu’Horloge biologique ou Les invincibles, par exemple).

PHOTO SARAH MONGEAU-BIRKETT, LA PRESSE

Le réalisateur Ricardo Trogi pour les 20 ans de Québec-Montréal

Leur discours passerait probablement moins bien aujourd’hui auprès des jeunes. Ils ne voient pas les choses de la même manière. Je ne suis pas sûr que j’aurais envie de me frotter à ce que ça pourrait susciter comme réaction !

Ricardo Trogi, à propos des personnages masculins de l’époque

Il y a 20 ans, le film a surtout été salué comme une bouffée d’air frais dans le paysage cinématographique québécois, avec ses dialogues incisifs et francs, drôles et acides, qui témoignaient à la fois d’une époque et d’une génération. Ce n’est pas pour rien que Québec-Montréal fut le grand gagnant de la Soirée des Jutra, en 2003.

« J’ai l’impression qu’on saluait l’audace et le courage de la prise de parole, dit Patrice Robitaille à propos des prix remportés par le film. On n’en avait pas tellement conscience et c’était tant mieux. Sinon, la prise de parole aurait été un peu forcée et c’est quelque chose qui me plaît moins. On avait envie de dire des choses, mais le message n’était pas trop frontal, pour reprendre une expression à la mode. »

Le comédien croit aussi, avec raison, que cette comédie faisait « le pont entre le populaire et le plus intello ». On en a retenu des scènes mémorables.

Ma préférée étant celle où le personnage de Pierre-François Legendre tient à se rendre jusqu’à « l’Indien », où l’essence est moins chère, ce qui provoque l’exaspération de sa blonde (Julie Le Breton), une panne et la dissolution de son couple.

« J’ai la prétention de croire que Québec-Montréal a donné à certains auteurs le goût d’écrire dans leur propre langue, dit Ricardo Trogi. C’est un ton que j’ai retrouvé ailleurs par la suite. Mais je n’ai pas d’autre prétention ! »

Après leurs deux films scénarisés à six mains, Ricardo Trogi est passé à des projets solos, Patrice Robitaille a été sollicité de toutes parts comme acteur et Jean-Philippe Pearson s’est installé dans la région de Florence, en Italie, où il vit toujours. « On s’est écrit pas plus tard que la semaine dernière », dit Robitaille.

Le trio n’a pas eu de projet concret de retravailler ensemble à un autre scénario. « On aurait pu miser sur nous plus que ça, mais on avait envie de voir ce que les autres avaient à nous proposer, dit Trogi. Cela dit, je suis sûr que si on faisait une suite, le public de Québec-Montréal serait au rendez-vous ! » Ça, c’est l’évidence même.