Confier le rôle-titre d’un film à une comédienne accusée publiquement d’inconduites sexuelles et de propos racistes s’apparente-t-il à une banalisation des gestes et des paroles qui lui sont reprochés ? Je me suis de nouveau posé la question cette semaine, en découvrant le nouveau film de Mariloup Wolfe, Arlette.

Malgré la dénonciation de Safia Nolin qui visait l’animatrice et comédienne, la réalisatrice a choisi Maripier Morin pour camper cette styliste, chroniqueuse et directrice d’un magazine de mode, propulsée à la tête du ministère de la Culture. Mariloup Wolfe n’est pas revenue sur sa décision après la publication des enquêtes de La Presse et du Devoir révélant que d’autres personnes reprochaient à Maripier Morin des propos racistes et sexuels déplacés, des attouchements sexuels non sollicités et des agressions physiques ayant eu lieu entre 2017 et 2020.

Il y a bien des raisons pour lesquelles on ne reverra pas de sitôt Julien Lacroix dans un premier rôle au cinéma, Éric Salvail à l’animation d’un gala télévisé ou Philippe Bond en spectacle sur scène, mais que l’on pourra voir Maripier Morin dans pratiquement toutes les scènes d’Arlette, dans une semaine. Contrairement à d’autres, elle a reconnu l’essentiel des faits et méfaits qui lui sont reprochés, elle soigne son alcoolisme et sa toxicomanie, et elle semble avoir pris des mesures concrètes afin que ces comportements ne se reproduisent plus.

Il reste que la question se pose : ce personnage aurait-il pu être interprété par quelqu’un d’autre ? La réponse est, sans contredit, oui.

Maripier Morin se tire bien d’affaire, elle est même très juste dans l’émotion, mais prétendre qu’aucune autre actrice n’aurait pu aussi bien incarner Arlette serait ridicule.

Ce choix, comme on dit en chinois, est un statement. Un parti pris. Celui de la réalisatrice et des producteurs du film. Le parti pris consiste à faire une distinction nette et complète entre les actes commis par une personne dans sa vie privée et son métier d’artiste. Séparons l’actrice et la femme. C’est un point de vue qui se défend. Rappelons qu’Anne Casabonne, devenue elle-même une politicienne controversée, fait aussi partie de la distribution d’Arlette, dans le rôle d’une journaliste…

Ce parti pris est assorti d’un pari : que le public sera au rendez-vous malgré (ou grâce à ?) la controverse. Je ne parierais pas là-dessus. Et pas pour les raisons auxquelles on pourrait spontanément penser.

PHOTO DOMINICK GRAVEL, LA PRESSE

Maripier Morin revient au cinéma dans le rôle d’Arlette.

Si le choix d’afficher bien en vue le nom de Maripier Morin au générique risque de provoquer un ressac chez certains, l’épine dans le pied d’Arlette se trouve ailleurs : le film n’est pas très réussi. Son scénario est peu crédible et mal ficelé, avec des dialogues à thèse convenus (notamment sur le rapport à la culture et le néolibéralisme), des pivots dramatiques sans grand intérêt et une intrigue aussi passionnante que le suspense entourant le dévoilement d’un budget provincial.

Le synopsis d’Arlette pourrait se résumer ainsi : la nouvelle ministre de la Culture, néophyte ambitieuse devenue la coqueluche des médias, arrivera-t-elle à convaincre le ministre des Finances, conservateur tout aussi ambitieux soutenu par l’establishment économique (David La Haye, réduit à la caricature), d’abandonner son idée d’une taxe sur le livre et de respecter sa promesse électorale d’accorder 100 millions aux artistes ? On dirait la description d’un reportage au bulletin de nouvelles télévisé.

Construit comme un opéra campé à la cour royale, Arlette a des accents du film Le Confort et l’indifférence de Denys Arcand (avec ses références au Prince de Machiavel). Arlette est la nouvelle favorite du roi, en quelque sorte. Un pion sur l’échiquier du premier ministre (Gilbert Sicotte, égal à lui-même), qui prépare sa succession.

Le film s’appuie sur quelques idées qui ne tiennent pas la route. « Une femme à la Culture », clame le titre d’un quotidien après la nomination d’Arlette, comme si c’était exceptionnel (depuis le milieu des années 1980, le portefeuille a été détenu plus de 95 % du temps par une femme). Il suggère aussi qu’il serait inédit qu’une personnalité médiatique sans expérience politique puisse devenir ministre du jour au lendemain. Parlez-en à Caroline Proulx.

La présence de Paul Ahmarani, en attaché de presse de la ministre, m’a rappelé à quel point le film de Mariloup Wolfe souffre de la comparaison avec Bunker, le cirque, série télé satirique sur le même thème – les coulisses du pouvoir – de Luc Dionne (dans laquelle jouait aussi Ahmarani, il y a 20 ans).

Inévitablement et, on ose croire, involontairement, le scénario d’Arlette renvoie parfois le spectateur à la vie privée de Maripier Morin.

« Vous allez être guillotinée sur la place publique », dit à la nouvelle ministre son chef de cabinet (le truculent Benoît Brière). On la voit ensuite, dans sa voiture de fonction, encaisser les sarcasmes sexistes et misogynes d’animateurs de radio-poubelle de Québec.

Un peu plus et on croirait que dans le flou artistique qu’installe le film entre la fiction et la réalité, on nous présente Maripier Morin comme une victime. Alors que si on remplaçait dans ce dialogue de troglodytes radiophonique le prénom d’Arlette par celui de Safia, on se rapprocherait davantage de la vérité.

Dans le film, une Arlette intoxiquée se sert abondamment de l’alcool et de son charme pour enjôler des députés d’arrière-ban et les rallier à sa cause. Mais elle ne termine pas la soirée en les mordant, les giflant, les embrassant ou les agrippant sans leur consentement… Évidemment, Arlette est une œuvre de fiction, à ne pas confondre avec la réalité.

Est-il trop tôt pour la réhabilitation de Maripier Morin ? Je me demande ce qu’en pensent ses victimes. Rien ne l’empêche de faire des films, d’accorder des entrevues, d’être accueillie sur le plateau de Sucré salé. C’est au public, en revanche, de juger s’il a envie de la voir dans ce rôle particulier.