Suis-je satisfaite ou déçue du verdict rendu dans le procès en diffamation intenté par Johnny Depp contre Amber Heard ? En vérité, je n’espérais rien d’autre de ce procès qu’il finisse, peu importe le verdict.

Ce freak show a assez duré : six longues semaines de déballage intime consternant, en plus des affrontements quotidiens sur les réseaux sociaux entre les pro et les anti Depp ou Heard. Les fans de Depp étant bien plus nombreux, parce qu’il est bien plus célèbre qu’elle. Moi, Depp, je l’ai découvert beau comme un dieu en 1990, quand Amber Heard avait 4 ans, dans un film de John Waters, Cry-Baby, et tout ça ressemblait aux films les plus fuckés de John Waters.

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Les fans de Johnny Depp réagissent au verdict rendu dans le procès en diffamation intenté par leur favori contre Amber Heard.

C’était impossible d’y échapper. J’ai rarement vu une affaire qui suscite autant de passion.

Quinze minutes avant le prononcé du verdict, les commentaires sur les sites où l’on diffusait l’annonce en direct étaient en train d’exploser.

Il ne faut pas oublier qu’il s’agissait d’un procès au civil avec jury dans une cause de diffamation et non d’un procès criminel pour violence conjugale, même si les témoignages ont surtout porté là-dessus, Heard et Depp s’accusant mutuellement de toutes sortes d’agressions. Photos et enregistrements à l’appui. Ce n’était pas beau à voir ni à entendre, mais c’est devenu un show très populaire.

Le mot « coupable » n’a donc pas été prononcé. Le jury devait déterminer si, oui ou non, Amber Heard avait diffamé son ex-mari dans une tribune écrite en 2018 et publiée par le Washington Post, où elle se présentait comme une « figure publique de la violence conjugale » sans nommer Johnny Depp. Le jury a conclu que oui, parce que l’acteur était identifiable même sans être nommé, et qu’elle aurait agi par malveillance. Il a aussi estimé qu’Amber Heard avait été diffamée dans un média par l’avocat de Depp qui affirmait que les allégations de l’actrice étaient un canular.

Bref, c’est une victoire pour Johnny Depp. Il réclamait 50 millions de dollars en dommages et intérêts ; Amber Heard a doublé la mise en demandant en retour 100 millions. Le jury a établi 15 millions pour lui, et 2 millions pour elle. On se demande si ça pourra couvrir les frais des avocats…

« Je suis dévastée par le fait que la montagne de preuves n’a pas été suffisante pour faire face au pouvoir, à l’influence et à l’ascendant bien plus importants de mon ex-mari », a dit Amber Heard après la lecture du verdict.

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Amber Heard (au centre) et ses avocats lors de la lecture du verdict

Je suis encore plus déçue par ce que ce verdict signifie pour les autres femmes. C’est un revers. Cela remet en cause l’idée que la violence envers les femmes doit être prise au sérieux.

Amber Heard

De son côté, Johnny Depp n’était pas au tribunal pour entendre le verdict, mais en Angleterre, où on l’a vu participer aux spectacles de Jeff Beck pendant les quelques jours des délibérations. « Le jury m’a rendu à la vie », a-t-il déclaré. « Depuis le début, l’objectif de porter cette cause devant la justice était de révéler la vérité, peu importe le résultat. Je me sens en paix d’y être parvenu. »

Ce n’était pas tant une question d’argent pour Johnny Depp que de réputation. La mannequin Kate Moss, qui a témoigné, a fait taire une rumeur selon laquelle il l’avait poussée dans des escaliers alors qu’ils formaient un couple célèbre dans les années 1990. Complètement faux, a-t-elle dit, et c’était bien sûr l’un des moments forts de ce procès télévisé — entre autres pour les nostalgiques de la génération 90.

Mais avec tout ce qu’on a entendu au tribunal sur la consommation de drogues et d’alcool de Johnny Depp, les termes violents qu’il employait pour parler de sa femme, en plus des portes d’armoires qu’il détruit quand il se fâche, on se demande si un studio frileux comme Disney voudra quand même s’associer avec lui, malgré sa victoire.

Pour retrouver sa réputation, Johnny Depp était vraiment prêt à tout montrer. Je pense que c’est ce qui lui a attiré de la sympathie.

La bataille reposait sur la crédibilité d’Amber Heard, à qui l’on reprochait au fond d’avoir écrit dans un article être une figure publique victime de violence conjugale. Le moins qu’on puisse dire est qu’elle n’a pas passé le test auprès de l’opinion publique et du jury. Après une ou deux semaines de procès, elle n’affrontait pas seulement Johnny Depp, mais l’Amérique au complet. Alors qu’en Angleterre, Depp avait perdu en 2020 sa poursuite en diffamation contre le journal The Sun qui l’avait qualifié de « batteur de femme ».

Au Québec, un procès comme celui de Depp contre Heard ne pourrait pas avoir lieu. Mon collègue Yves Boisvert me rappelle que les procès au civil avec jury ont été abolis ici en 1976. Cela aurait duré moins longtemps, les sommes n’auraient pas été les mêmes. En plus, ça n’aurait pas été télévisé. Les images du procès ont généré une quantité phénoménale de mèmes, de parodies et de détournements des témoignages d’Amber Heard, sur toutes les plateformes. Alors qu’elle parlait tout de même de violence conjugale en détail. Les gens sont libres de la croire ou non, mais je ne sais pas ce que ça dit du climat actuel quand on ridiculise en masse ce genre de propos pour générer des clics. Alors que les membres du jury ne sont pas séquestrés et qu’ils peuvent scroller sur Twitter, TikTok ou Instagram.

Au terme de ce procès que je commençais à trouver franchement interminable, je ne vois rien de très transcendant à retenir, ni non plus de véritable gagnant.