Les Oscars sont élitistes, les Oscars sont déconnectés, les Oscars snobent le grand public. On a accusé les Oscars de tous les maux depuis que les finalistes de la 94e remise de prix ont été dévoilés la semaine dernière. Et que le champion du box-office, Spider-Man : No Way Home, ne s’y trouvait pas.

Lundi, la fameuse Académie qui chapeaute les Oscars a annoncé la création d’un nouveau prix en prévision de son gala du 27 mars prochain, à Los Angeles. Le prix du film le plus populaire de l’année, qui sera accordé en vertu d’un vote du public sur Twitter. Il sera permis de voter jusqu’à 20 fois par jour pour son film préféré.

Et voilà comment on transforme un évènement auquel il reste un minimum de crédibilité en concours de popularité (encore un). En bradant sa réputation, en dévaluant l’ensemble de ses prix et en portant ombrage à ses véritables lauréats. Heureusement que le ridicule ne tue pas, parce que je ne donnerais pas cher de la peau de ceux qui ont participé à cette réunion Zoom.

Personne ne va rester debout jusqu’à minuit pour savoir si un road movie japonais sous-titré de trois heures sur le deuil d’un metteur en scène de Tchekhov va gagner l’Oscar du meilleur film. Mais que faire ? Organisons un concours sur un réseau social que ne fréquente pas la génération Z en espérant qu’au bout du compte, Zendaya et son chum viennent cueillir un prix !

Du génie. Je sais bien que les cotes d’écoute des Oscars sont en chute libre depuis quelques années. Mais quel manque de subtilité. Quelle façon maladroite de remercier Spider-Man d’avoir sauvé le cinéma hollywoodien de la pandémie.

Dix millions de téléspectateurs étaient au rendez-vous des Oscars, en 2021, une baisse de 56 % par rapport à l’édition précédente. Il s’agit du plus petit auditoire de l’histoire de la cérémonie. L’excellent Nomadland de Chloé Zhao a remporté la plus prestigieuse des statuettes du cinéma américain.

« Quand avons-nous décidé que le meilleur film devait être sérieux ? Quand est-ce devenu un préalable pour être finaliste aux Oscars ? », a demandé l’animateur de la cérémonie des Oscars de 2017 et 2018, Jimmy Kimmel, le soir même où les finalistes du 94e gala ont été annoncés. Il s’offusquait de l’absence de Spider-Man parmi les finalistes.

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L’animateur Jimmy Kimmel

Ce qui est ironique, c’est que Kimmel a posé ces questions alors que Don’t Look Up, une satire rocambolesque, et Licorice Pizza, pas très « sérieux » comme son nom l’indique, sont finalistes. Et que depuis que la catégorie du meilleur film accueille jusqu’à dix finalistes, on y a vu des œuvres aussi peu « sérieuses » que Up, Toy Story 3, Hugo, Mad Max : Fury Road, La La Land, Get Out, Bohemian Rhapsody, Black Panther et Jojo Rabbit.

Il y a deux ans, Parasite, hybride de comédie sociale et de film de genre – des Bougon coréens se retrouvant dans un film d’horreur –, a remporté l’Oscar du meilleur film.

J’ai vu Spider-Man : No Way Home, dès qu’il a repris l’affiche au début du mois. C’est un très bon divertissement, rempli d’effets spéciaux et de références à d’autres films de superhéros. C’est sans doute l’un des meilleurs films de l’« univers Marvel ». Ce n’est pas, en revanche, un chef-d’œuvre du septième art.

Mon fils de 15 ans, qui est un fanboy de Marvel, dirait peut-être le contraire. Mais pour relancer Jimmy Kimmel : depuis quand est-ce que les Oscars devraient récompenser les films qu’affectionnent de manière obsessive les garçons de 15 ans ?

Les Oscars ne sont pas les MTV Movie Awards. Je ne prétends pas que les films de superhéros devraient être exclus des Oscars. À preuve, Heath Ledger a remporté un Oscar (pleinement mérité) pour son rôle du Joker dans The Dark Night. Andrew Garfield n’aurait pas non plus été un intrus dans la catégorie du meilleur acteur dans un second rôle pour Spider-Man. Pas plus que JK Simmons pour Being the Ricardos. J’ai eu du plaisir à voir Spider-Man, mais ce n’est pas The Power of the Dog.

Ce qui n’a pas empêché Jimmy Kimmel, encore lui, d’ironiser que le film de Jane Campion avait été nommé autant de fois aux Oscars (12 fois) qu’il avait de spectateurs.

Une seule personne aurait vu The Power of the Dog et il mériterait tout de même de remporter l’Oscar du meilleur film. La cérémonie des Oscars n’est pas le gala Artis. Si elle demeure, de manière générale, consensuelle et américano-centriste – malgré les exceptions qui confirment la règle –, elle continue de récompenser la valeur artistique au détriment de la popularité (qui, elle, se mesure chaque semaine au box-office).

S’il y a moins de gens qui regardent les Oscars, ce n’est pas tant parce que les finalistes sont moins populaires (une robe de gala est une robe de gala). Hormis les années exceptionnelles, où les choix de l’Académie s’accordent avec ceux du grand public et qu’un film comme Titanic est plébiscité, les candidats dans les catégories de pointe ne sont pas les poids lourds du box-office.

Pourquoi alors les gens regardent-ils de moins en moins les Oscars ? Notamment parce que de plus en plus de possibilités s’offrent à eux et que, dans un paysage télévisuel qui a énormément évolué, la soirée des Oscars reste une émission désespérément ennuyeuse.

Ces dernières années, il n’y avait plus d’animateur pour accueillir le public avec un monologue d’ouverture comique, raté ou controversé. L’animation à tour de rôle d’Amy Schumer, Regina Hall et Wanda Sykes ne m’inspire guère confiance, mais ce sera toujours mieux qu’un DJ mutique qui meuble le temps jusqu’à la pause.

Il y a certainement d’autres solutions pour raviver l’intérêt du public pour les Oscars qu’une tentative désespérée de le racoler en laissant n’importe qui voter (jusqu’à 20 fois par jour !) pour n’importe quoi.

J’ai beau être un cinéphile pur et dur, qui admire les différents corps de métier du cinéma, remettre autant de prix techniques en ondes à d’illustres inconnus est antitélévisuel. Si l’on retranchait de moitié les prix décernés, et du même coup, la moitié de la durée de cet interminable gala de remerciements malaisés, je suis convaincu qu’il y aurait plus de téléspectateurs au rendez-vous.

D’ici là, ce que je souhaite aux dirigeants des Oscars, afin qu’ils prennent la pleine mesure de leur bêtise, c’est qu’un film aussi mauvais que Dear Evan Hansen – parmi les moins bien cotés de 2021 sur l’agrégateur Rotten Tomatoes (33 % d’avis favorables de critiques, contre 88 % de la part du public) – remporte un Oscar.

Sur ce, vous m’excuserez. J’ai une comédie musicale médiocre à faire gagner.