Si Denis Villeneuve remporte un Golden Globe dimanche pour sa réalisation de Dune, son prix vaudra-t-il quelque chose ?

La 79e cérémonie de remise de prix organisée par la Hollywood Foreign Press Association (HFPA) aura lieu comme à l’accoutumée en direct du Beverly Hilton Hotel, mais sans animateur, sans lauréats, sans public et, surtout, sans télédiffusion. Les gagnants seront dévoilés en temps réel sur le site web et les médias sociaux des Golden Globes. Et ce ne sera pas en raison du variant Omicron.

L’évènement qui lançait traditionnellement la « saison des galas » a perdu des plumes et beaucoup de son lustre depuis un an. En février dernier, une enquête du Los Angeles Times a révélé de graves manquements éthiques, des pratiques financières douteuses et une absence de diversité chez ses 87 membres votants.

Les Golden Globes ne sont pas sortis du bourbier. Les changements proposés en mai – mise à jour du code de conduite, remaniement du conseil d’administration, ajout de 21 membres, dont six journalistes noirs – par la HFPA n’ont pas eu l’heur de rassurer l’industrie du cinéma, qui boycotte la cérémonie du 9 janvier. Aucune star hollywoodienne n’a accepté de présenter un prix, même virtuellement.

Des accusations de versement de pots-de-vin entachent depuis plusieurs années le processus de sélection des finalistes aux Golden Globes.

La Hollywood Foreign Press Association, composée de quelques dizaines de scribes plus ou moins actifs dans leurs médias internationaux respectifs, est considérée comme un club privé de pique-assiette susceptibles d’échanger un vote favorable contre une invitation dans un hôtel de luxe et sur un plateau de tournage à Paris.

Ce dernier scandale, révélé par le L.A. Times et mettant en cause la série Emily in Paris, semble avoir été la goutte qui a fait déborder le vase de la tolérance au manque de professionnalisme de la HFPA. Ça, et le fait que l’Association ne comptait dans ses rangs, il y a un an, aucun journaliste noir… mais un nonagénaire officiellement sourd et aveugle. C’en était trop, tout d’un coup, pour Hollywood. Dans la foulée, même Tom Cruise a décidé de rendre ses trois statuettes.

PHOTO PAUL DRINKWATER, ARCHIVES REUTERS

L’humoriste britannique Ricky Gervais a animé à maintes reprises la soirée des Golden Globes.

L’opportunisme et l’absence de crédibilité de certains pseudo-journalistes de la HFPA sont pourtant connus depuis longtemps. Le décapant animateur Ricky Gervais y faisait allusion il y a 12 ans déjà, en plein gala. D’autres enquêtes ont été menées avant celle du L.A. Times, au moins un documentaire dévastateur y a été consacré (The Golden Globes : Hollywood’s Dirty Little Secret, en 2004), mais personne ne semblait y accorder trop d’importance jusqu’à l’an dernier. Autres temps, autres mœurs…

Contre vents et marées, il faut dire que les Golden Globes sont toujours demeurés très populaires.

Alors même que la cote d’écoute des autres galas déclinait de manière constante, celle des Globes s’est maintenue bon an, mal an à 20 millions de téléspectateurs. Le réseau NBC a renouvelé le contrat de diffusion du gala pour 60 millions de dollars par an en 2018. Money talks, comme on dit à Santa Monica. Tant que chacun y trouve son compte, n’est-ce pas ?

Certains prétendront sans doute que c’est la mouvance « woke » qui a eu raison des Golden Globes. Pourquoi diable une association qui représente des journalistes du monde entier devrait-elle être contrainte d’inclure des collègues noirs ? Encore un coup de la dictature du politiquement correct. (J’ironise, pour ceux dont le radar ne se rend pas au deuxième degré.)

Toujours est-il qu’il n’y aura pas de tapis rouge, pas de vedettes, pas de monologue d’ouverture grinçant, pas de présentations trop longues ni de discours de remerciement avinés dimanche soir à la télé. Bref, tout ce qui faisait des Golden Globes cet évènement mondain parmi les plus prisés de Hollywood. Une remise de prix décoincée, réunissant des vedettes du petit comme du grand écran dans une ambiance décontractée, beaucoup moins guindée que celle des Oscars.

Faut-il s’en désoler ?

Une soirée du genre, désinvolte, aurait peut-être été la bienvenue dans l’actuel contexte pandémique. On se change les idées avec ce qu’on peut.

Pour certains, ce sont les robes de soirée extravagantes. Pour d’autres, les discours écolo-vaseux de Joaquin Phoenix ou les blagues délicieusement déplacées de Ricky Gervais.

Il reste que j’ai toujours trouvé qu’on accordait trop d’importance aux résultats des Golden Globes. Ils ne sont pas, comme on le prétend, des indicateurs fiables des Oscars, le Super Bowl du cinéma hollywoodien (dont l’importance, dans le grand ordre des choses, est elle-même toute relative).

Par ailleurs, c’est en quelque sorte un juste retour des choses que ses finalistes aient été dévoilés dans une certaine indifférence à la mi-décembre. Je n’ai entendu personne s’indigner du fait que CODA, le remake américain du film français La famille Bélier, soit en lice pour le meilleur film dramatique, en compagnie de The Power of the Dog, King Richard, Belfast et Dune. Il y a deux ans à peine, certains auraient pesté.

Ce qui me ramène à la question que je posais en début de chronique : si Denis Villeneuve remporte dimanche le prix du meilleur réalisateur à la barbe de son mentor Steven Spielberg, de la grande Jane Campion, de Maggie Gyllenhaal et de Kenneth Branagh, son prix vaudra-t-il quelque chose ? La réponse, c’est moui…

Car si les Golden Globes ont mauvaise presse, qu’ils souffrent depuis des années d’un déficit de crédibilité, et qu’ils sont à l’instar des Oscars très américano et anglocentristes, leur palmarès n’est pas honteux. Il est au contraire en phase avec la critique, de manière générale.

Les favoris de cette 79e cérémonie, The Power of the Dog (cité sept fois) et Succession (cinq fois), sont respectivement mon film et ma série télé préférés de 2021. Ce sont des choix plutôt consensuels chez la critique grand public, avec laquelle je m’accorde d’ordinaire. Ce qui n’est pas très original.

Dans la catégorie du meilleur film dans une langue autre que l’anglais, on retrouve assez logiquement Mères parallèles de Pedro Almodóvar, La main de Dieu de Paolo Sorrentino, Un héros d’Asghar Farhadi, Drive my Car de Ryusuke Hamaguchi et Compartiment no 6 de Juho Kuosmanen, des films que j’ai eu l’occasion de voir (à l’exception du dernier) et que j’ai beaucoup appréciés.

Gagner un Golden Globe, depuis presque 80 ans, se plaçait bien dans un curriculum vitæ. La cérémonie demeurait jusqu’à récemment un rouage important dans la campagne de promotion d’un film. Ceux qui aspirent à des prix prennent souvent l’affiche à la fin ou au début de l’année. C’est un prix qui avait, malgré tout, une aura de prestige. Qu’elle soit surfaite ou pas.

Faudra-t-il se réjouir si Denis Villeneuve gagne un prix ? En cette matière comme en bien d’autres, le chauvinisme risque de dicter la marche à suivre.