« C’est l’histoire d’une brillante élève de cégep, déçue par une note donnée par un prof qu’elle respecte. Elle porte le voile. C’est une musulmane…

– Si elle porte le voile, on se doute que c’est une musulmane, papa !

— Elle aurait pu juste porter un voile ! »

Bienvenue dans mon quotidien. Où chaque pléonasme, chaque tautologie est relevée sur-le-champ par Fiston-le-pointilleux.

« C’est l’histoire d’une brillante élève de cégep, musulmane, déçue par une note donnée par son prof de philo. C’est un excellent prof, qui donne un cours sur Spinoza…

– Spinazzola ? Ah, non. Ça, c’est le joueur italien.

– Tout ne se résume pas à tes références de foot ! »

Ils ont ri. Ils et elles. Nous nous sommes retrouvés à table, pour la première fois, à six : parents, Fistons et amies. Des ados de 15 et 17 ans. J’ai préparé des campanelle à la sauce tomate. On n’est jamais trop prudent avec les adolescents. Du jour au lendemain, ils peuvent changer d’orientation alimentaire. Le mangeur de burgers de la veille se transforme en végane, et vice versa. On croise les doigts pour qu’ils soient flexitariens. Le compromis a bien meilleur goût.

« C’est l’histoire d’une élève musulmane au cégep qui demande une révision de sa note en philo, parce que son prof l’a fait échouer et qu’elle a peur pour sa cote R et son admission à l’université. Sa dissertation était bien commencée, mais elle a cité un passage du Coran alors que le prof avait précisé qu’aucun texte religieux ne pouvait servir d’argumentaire…

– Moi aussi, je dois rencontrer ma prof de philo demain pour parler de ma première dissertation. J’ai été déçue de ma note. Je ne comprends pas ce qui s’est passé.

– Tu as cité un texte religieux, toi aussi ? » R. est l’amie de Fiston. C’est une brillante élève au cégep qui aime bien sa prof de philo, mais qui s’inquiète (trop), comme bien des élèves du collégial, des répercussions d’une mauvaise note sur sa cote R.

J’ai souri à la synchronicité de nos deux histoires. Celle que je tentais péniblement de leur raconter est le point de départ d’Une révision, premier long métrage de Catherine Therrien, d’après un scénario de Louis Godbout et Normand Corbeil, deux anciens professeurs de philosophie, qui sera à l’affiche jeudi.

« C’est un film québécois. Je pense qu’il pourrait vous plaire. » J’ai senti que leur intérêt n’était pas aussi vif que lorsque je leur ai raconté ma rencontre impromptue avec Denis Villeneuve, mon voisin de table dans un bar la veille. Oui, chère R., j’étais à un degré de séparation de Timothée Chalamet…

Ils protesteraient sans doute en chœur et diraient que j’exagère, mais ils ont des préjugés sur le cinéma québécois. Pour eux, c’est un cinéma de papa. Un papa exaspéré par la quantité de séries médiocres qu’ils engloutissent machinalement sur Netflix, victimes de la mode. Et voilà que je leur donne raison en parlant comme un vieux…

Le principal reproche que ces ados font à la plupart des films québécois, c’est qu’ils ne s’y reconnaissent pas. Les dialogues des personnages de leur âge sonnent faux à leurs oreilles.

Comme s’ils avaient été écrits par des scénaristes de la génération de leurs parents (ce qui est souvent le cas). Fiston me donne un exemple : une scène d’Antigone de Sophie Deraspe au cours de laquelle des adolescents se mettent spontanément à siffloter un air de Félix Leclerc.

« J’ai l’impression qu’on nous présente comme on nous imagine, ou comme on aimerait que l’on soit, plutôt que comme on est réellement », dit-il. Une idée fantasmée que les vieux se font des jeunes, en somme. « Justement, je pense qu’Une révision se rapproche davantage de ce que vous êtes et de vos préoccupations », lui dis-je, pour finir de tenter de le convaincre.

Ce film percutant, qui m’a beaucoup plu, est on ne peut plus dans l’air du temps. On y traite d’éthique et de culture religieuse, de pédagogie et d’éducation, de questions identitaires et de rectitude politique.

Jusqu’où vont les institutions pour montrer un beau profil ? Faisons-nous « le bien » lorsque notre bienveillance est de façade, pour nous donner bonne conscience ? À quel point peut-on nuire, à soi et aux autres, lorsque l’on tient mordicus à ses principes et que l’on refuse les compromis ? Même, ou à plus forte raison, lorsque l’on a la conviction d’avoir raison.

C’est dans ses nuances qu’Une révision trouve toute sa richesse. Dans son refus des réponses toutes faites, du manichéisme, de la confirmation des préjugés et des a priori. Dans ce film comme dans la vie, l’obstination des uns se reflète dans le miroir de l’intransigeance des autres. Elles sont les deux faces d’une même pièce.

L’inclination antireligieuse de bien des intellectuels athées, dans le Québec traumatisé par la Grande Noirceur, s’oppose, à grand renfort de récits des Lumières, à la foi réputée inébranlable de ceux qui s’en remettent à l’interprétation millénaire de textes sacrés. Les uns reprochent aux autres tantôt leur paternalisme, tantôt leur crédulité.

La vérité, c’est qu’on peut être un professeur de philosophie ouvert d’esprit, exégète de Spinoza (voire de Pascal), et ne pas voir l’angle mort de sa propre intolérance religieuse. Comme on peut être une brillante élève, de bonne foi et à la foi vacillante, qui ne mesure pas la portée de ses actes.

Une révision aurait pu être un film à thèse ou un pamphlet cynique sur l’époque soi-disant liberticide, à la manière d’une satire de Denys Arcand. Heureusement, c’est une œuvre qui, malgré un rebondissement superflu et une conclusion fleur bleue, invite à la réflexion. Par le plus ingénieux des mécanismes : l’empathie pour des personnages complexes, magnifiquement interprétés par Nour Belkhiria et Patrice Robitaille (la cégépienne et le prof), crédibles dans leurs zones d’ombre et leurs doutes, leurs contradictions et leurs paradoxes.

Une scène en particulier, pendant une émission de radio où le prof, qui est aussi essayiste, est confronté par une animatrice, une jeune féministe et un militant racisé, m’a pourtant fait craindre le pire. Le film, à ce moment, cède au cliché et à la caricature woke. Le prof, qui a mon âge, tient soudainement un discours semblable à celui des baby-boomers qui prétendent que c’est la gauche qui a changé, surtout pas eux.

J’ai tout à coup mieux compris la réserve qu’exprimaient mes ados.

Une révision ouvrira le 27festival Cinemania le 2 novembre. Il prendra l’affiche en salle le 4 novembre.