Neuf longs métrages pourraient obtenir dimanche l'Oscar du meilleur film. Même si chacun d'entre eux ferait un lauréat honorable, certains suscitent un engouement plus fort auprès de nos journalistes. Pour chaque titre, ils mesurent les forces et les faiblesses. Et comment ces films s'inscrivent dans l'air du temps.
Call Me by Your Name
Pour
Le long métrage de Luca Guadagnino, inspiré du roman d'André Aciman, est tout simplement l'une des oeuvres cinématographiques les plus accomplies de la dernière année. Les artisans de ce film sont parvenus à traduire le passage du premier amour de façon délicate, juste et sensible. En empruntant le point de vue d'Elio (remarquable Timothée Chalamet), le récit aborde aussi les contradictions d'une étape charnière de la vie d'un garçon ayant déjà un pied dans l'antichambre du monde des adultes, sans avoir tout à fait quitté encore celui de l'adolescence. À la fois beau et bouleversant.
Contre
Même s'il le mériterait, il serait étonnant que Call Me by Your Name reparte avec l'Oscar du meilleur film. En revanche, il pourrait bien obtenir l'Oscar du meilleur scénario adapté, surtout depuis le prix attribué par la Writers Guild Association.
Parce qu'on est en 2018
Certains spectateurs ont eu du mal à accepter l'idée qu'un adolescent de 17 ans (interprété par un acteur qui en avait 20 au moment du tournage) s'engage dans une histoire d'amour avec un homme de sept ans son aîné, même s'il s'agit d'une relation on ne peut plus consentante. De là à nuire aux chances du film? Pas vraiment.
- Marc-André Lussier, La Presse
Notes obtenues
Rotten Tomatoes: 96% d'approbation dans les médias recensés
Metacritic: 93 % d'approbation dans les médias recensés
La Presse+: ****
Mediafilm: cote 3 (très bon)
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Darkest Hour
Pour
Darkest Hour raconte la même histoire que Dunkirk de Christopher Nolan, mais de l'intérieur. C'est un défi supplémentaire que les artisans du film relèvent avec brio grâce à la performance de Gary Oldman dans la peau de Winston Churchill. D'aucuns prédisent à M. Oldman l'Oscar du meilleur acteur.
Contre
Le travail de Gary Oldman éclipse tout le reste. Le film possède de beaux attributs (scénario, mise en scène, interprétation), mais on ne décèle pas d'équilibre entre eux, comme c'est le cas chez d'autres concurrents, tels Dunkirk ou Three Billboards Outside Ebbing, Missouri.
Parce qu'on est en 2018
Un roi, un premier ministre, des députés, des soldats. Des hommes blancs, il n'y a que ça dans le film. D'ailleurs, on remarque que les deux actrices de soutien, Lily James et Kristin Scott Thomas, n'ont pas fait le plein de sélections dans les galas. C'est moins en raison de la qualité de leur jeu que de la présence écrasante d'Oldman.
- André Duchesne, La Presse
Notes obtenues
Rotten Tomatoes: 86% d'approbation dans les médias recensés
Metacritic: 75% d'approbation dans les médias recensés
La Presse+: ***1/2
Mediafilm: cote 4 (bon)
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Dunkirk
Pour
Parce qu'il est magnifiquement réalisé et que c'est un véritable tour de force cinématographique. Dunkirk est à mon sens le film en lice aux Oscars le mieux réalisé. Christopher Nolan a limité les effets spéciaux à dessein. Il a tourné sur place, à Dunkerque, avec des avions et des navires de guerre d'époque authentiques. Dunkirk est une superproduction d'auteur qui a eu un succès public, contrairement au Blade Runner 2049 de Denis Villeneuve. C'est un suspense inventif, brillamment déconstruit, immersif, qui tient en haleine malgré une quasi-absence de dialogues.
Contre
Plusieurs films de guerre ont déjà été primés aux Oscars. Et de très bons. Dunkirk risque d'en souffrir. D'autant plus qu'il s'intéresse à la Seconde Guerre mondiale, un conflit couvert de long en large par Hollywood. C'est aussi une proposition froide, qui laisse peu de place à l'émotion et n'est pas aussi marquante que d'autres films à cet égard. Enfin, Dunkirk a pris l'affiche l'été dernier, et s'est peut-être un peu fait oublier depuis par les membres votants de l'Académie.
Parce qu'on est en 2018
Christopher Nolan est un homme blanc, blond, aux yeux bleus. Son film ne met pratiquement en scène que des hommes blancs. On lui a d'ailleurs reproché de ne pas avoir mis en scène des combattants d'origine indienne, qui ont pourtant été plusieurs, en 1940, à attendre d'être évacués par l'armée anglaise à Dunkerque. Bref, il n'y aura pas d'«effet 2018» pour Dunkirk.
- Marc Cassivi, La Presse
Notes obtenues
Rotten Tomatoes: 93% d'approbation dans les médias recensés
Metacritic: 94% d'approbation dans les médias recensés
La Presse+: ****1/2
Mediafilm: cote 2 (remarquable)
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Get Out
Pour
Avec un budget de 5 millions, Jordan Peele a réussi tout un exploit avec son premier film: amasser plus de 250 millions au box-office mondial et se tailler une place de choix parmi les finalistes aux Oscars. Tout ça avec un film d'horreur qui propose un angle inédit dans le genre: le racisme. Inspiré par une blague d'Eddie Murphy qui se demandait pourquoi les Blancs, dans les films d'horreur, ne sortent jamais de la maison quand ils sont menacés, peu importe par quoi, Jordan Peele fait ressentir, peut-être plus que n'importe quel film de «conscientisation», le malaise d'être noir en Amérique. Il a carrément renouvelé le genre et contribué à une année record pour le cinéma d'horreur en 2017.
Contre
Le principal obstacle à une victoire de Get Out est surtout qu'il s'agit d'un film d'horreur, justement, ce que l'Académie récompense très rarement en général. Si ce film est diablement efficace et qu'il cause la surprise par son thème inexploité jusqu'alors, il n'en demeure pas moins un film qui n'a pas les ambitions esthétiques (ni le budget) des autres films sélectionnés.
Parce qu'on est en 2018
Get Out est une formidable réponse à la controverse #oscarsowhite, qui dénonçait l'absence d'artisans noirs dans les sélections. Ajoutons que Jordan Peele, aussi finaliste comme meilleur réalisateur, est seulement le cinquième cinéaste noir de l'histoire à recevoir cet honneur, aux côtés de John Singleton, Lee Daniels, Steve McQueen et Barry Jenkins.
- Chantal Guy, La Presse
Notes obtenues
Rotten Tomatoes: 99% d'approbation dans les médias recensés
Metacritic: 84% d'approbation dans les médias recensés
La Presse+: n/d
Mediafilm: n/d
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Lady Bird
Pour
Parce que rarement a-t-on vu l'histoire d'une relation mère-fille aussi bien racontée au cinéma. Greta Gerwig réalise le portrait doux-amer d'une adolescente qui cherche sa place dans le monde, sur fond d'une Amérique post-11-Septembre qui a perdu ses illusions (le récit se passe à Sacramento en 2002). Ce film est drôle, touchant et illustre avec justesse la complexité des relations humaines.
Contre
Ironiquement, Lady Bird sera peut-être pénalisé par la grande justesse de son propos. Hollywood aime les histoires avec des courbes et des rebondissements dramatiques, des descentes en enfer suivies de rédemptions. Ici, Christine (alias Lady Bird) va s'inscrire dans un cours de théâtre à New York et nous laisser sur une fin ouverte... comme la vie. Et aussi parce que c'est un premier film d'une cinéaste indépendante qui aura d'autres occasions de remporter un Oscar.
Parce qu'on est en 2018
Écrit et réalisé par une femme avec deux actrices dans les rôles principaux, Lady Bird est la preuve que les femmes ne doivent pas hésiter à prendre le contrôle de leurs histoires et de leurs projets. En écrivant son scénario, Greta Gerwig ne pensait pas pouvoir le réaliser toute seule. Elle a eu «le courage de passer à l'acte», a-t-elle dit en entrevue. Tant mieux pour nous!
- Luc Boulanger, La Presse
Notes obtenues
Rotten Tomatoes: 99% d'approbation dans les médias recensés
Metacritic: 94% d'approbation dans les médias recensés
La Presse+: ***1/2
Mediafilm: cote 4 (bon)
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Phantom Thread
Pour
Parce que ce film est une splendeur de tous les instants, aussi maniaque dans le détail que l'est Reynolds Woodcock, le couturier le plus célèbre de Londres au coeur de l'histoire. On retrouve ce trio d'enfer qu'est Paul Thomas Anderson à la réalisation, Daniel Day-Lewis dans le rôle principal et Jonny Greenwood à la bande sonore, les mêmes qui nous avaient donné le chef-d'oeuvre There Will Be Blood. Et on trouve aussi une grande révélation, qui les domine tous: Vicky Krieps, interprète d'Alma, la muse et maîtresse de Woodcock.
Contre
Phantom Thread n'a pas le souffle épique de There Will Be Blood, et s'il a été célébré unanimement par la critique, il n'a pas vraiment rejoint le grand public. Chez les cinéphiles, nombreux sont ceux qui ont trouvé ce film soporifique, compte tenu du caractère monastique du personnage.
Parce qu'on est en 2018
Après #metoo, on trouve intéressant que dans ce film, le grand Daniel Day-Lewis, qui a annoncé que ce serait son dernier rôle, ne cesse de rapetisser devant la puissance de Vicky Krieps, qui rayonne et l'éclipse, littéralement.
- Chantal Guy, La Presse
Notes obtenues
Rotten Tomatoes: 91% d'approbation dans les médias recensés
Metacritic: 90% d'approbation dans les médias recensés
La Presse+: *** 1/2
Mediafilm: cote 2 (remarquable)
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The Post
Pour
Un an après l'élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis, le film ne pouvait pas tomber plus à point pour rappeler l'importance des médias dans nos démocraties. Il était temps aussi de faire un film sur cette histoire qui, avant le Watergate, a mis le quotidien The Washington Post sur la carte des grands médias américains.
Contre
The Post raconte les dessous d'une enquête journalistique du point de vue des patrons, alors que deux oeuvres comparables, All The President's Men et Spotlight le faisaient du point de vue des journalistes. Avec pour effet que The Post est moins dans l'action et dans le développement de la nouvelle.
Parce qu'on est en 2018
Si le film dévoile le sexisme autour du personnage de Katharine Graham (Meryl Streep), il aurait pu aller plus loin. The Washington Post appartenait à Eugene Meyer, le père de Mme Graham. En quittant ses fonctions en 1946, Meyer a cédé la majorité de ses actions à Phil Graham, mari de Katharine, affirmant qu'«aucun homme ne devrait se trouver dans la position de travailler pour sa femme».
- André Duchesne, La Presse
Notes obtenues
Rotten Tomatoes: 88% d'approbation dans les médias recensés
Metacritic: 83% d'approbation dans les médias recensés
La Presse+: ****
Mediafilm: cote 4 (bon)
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The Shape of Water
Pour
Fort de ses 13 citations, soit plus que tout autre candidat, ce film arrive aux Oscars avec une longueur d'avance et une ribambelle de prix remportés un peu partout, notamment aux Producers Guild Awards (PGA). Guillermo del Toro a de son côté été sacré par la Directors Guild Association. Depuis le lancement à la Mostra de Venise, où il a obtenu le Lion d'or, la cote de The Shape of Water a toujours été constante.
Contre
Certains admirateurs du cinéaste mexicain, spécialisé dans les drames fantastiques, estiment qu'il s'est un peu assagi et que The Shape of Water est un peu trop accessible à leur goût. Une déclaration de Jean-Pierre Jeunet, déçu d'avoir été «copié», et une allégation de plagiat de la part de la famille de Paul Zindel, un dramaturge mort en 2003, sont venues gâcher la fête un peu, mais ces remontrances, fortement niées par le cinéaste et la production, ne semblent pas avoir le moindre effet sur le vote.
Parce qu'on est en 2018
Construite comme une ode à toutes les différences, cette fable campée au beau milieu de la guerre froide prend une nouvelle résonance à une époque où l'on se questionne beaucoup sur les notions d'identité et d'intolérance.
- Marc-André Lussier, La Presse
Notes obtenues
Rotten Tomatoes: 92% d'approbation dans les médias recensés
Metacritic: 87% d'approbation dans les médias recensés
La Presse+: ***1/2
Mediafilm: cote 2 (remarquable)
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Three Billboards Outside Ebbing, Missouri
Pour
Rarement a-t-on vu un western contemporain saisir avec autant d'humour, d'âpreté et de violence l'Amérique blanche et ouvrière d'aujourd'hui. Campé dans un bled perdu du Missouri, le film raconte avec brio et plusieurs rebondissements la rage d'une femme en guerre contre l'ineptie des autorités locales et qui ne pardonne à personne, pas même à elle-même, l'assassinat de sa fille.
Contre
Le film est écrit et réalisé par Martin McDonagh, un étranger européen, qui n'est pas issu du «sérial» hollywoodien et qui, de ce fait, manquera d'alliés. Aussi, son refus de la rectitude politique lui a attiré les foudres des bien-pensants à cause des remarques désobligeantes servies au personnage du nain (Peter Dinkage) et de la rédemption d'un policier (Sam Rockwell) après que celui-ci a, entre autres, torturé un Noir.
Parce qu'on est en 2018
À une époque qui carbure à l'extrémisme et à la simplification à outrance, la complexité des personnages de ce film, qui peuvent aussi bien se montrer odieux que d'une immense humanité et grandeur d'âme, fait du bien.
- Nathalie Petrowski, La Presse
Notes obtenues
Rotten Tomatoes: 93% d'approbation dans les médias recensés
Metacritic: 88% d'approbation dans les médias recensés
La Presse+: ****
Mediafilm: 3 (très bon)