Dimanche soir, lorsque Michael Haneke a remporté l'Oscar du meilleur film étranger pour Amour, les honneurs ont rejailli sur son traducteur, le Montréalais Robert Gray. Mais il y avait aussi une petite part de ce dernier dans le film Rebelle du Québécois Kim Nguyen, en nomination dans la même catégorie.

Comment cela est-il possible? Parce que Robert Gray est un traducteur trilingue qui passe le plus facilement du monde du français à l'anglais et à l'allemand. Et un traducteur qui, depuis trente ans, consacre exclusivement son travail au cinéma.

Sa feuille de route est impressionnante. M. Gray s'est entre autres occupé de la traduction (sous-titrage) de toutes les oeuvres canadiennes en nomination pour l'Oscar du meilleur film étranger depuis Le déclin de l'empire américain de Denys Arcand.

«Au cours des trente dernières années durant lesquelles j'ai eu à traduire des sous-titres, j'ai touché à une très grande partie de la production québécoise de longs métrages de fiction et de documentaires», indiquait-il dimanche, à quelques heures de la cérémonie des Oscars.

En février 2012, c'est lui qui a supervisé le sous-titrage en allemand du film Rebelle inscrit en compétition officielle à la Berlinale. Au cours des derniers mois, il a travaillé avec le cinéaste allemand Ulrich Seidl et l'a suivi aux festivals de Cannes, Berlin et Venise pour présenter la trilogie Paradis réalisée par ce dernier.

Ces derniers jours à Hollywood, M. Gray suivait pas à pas Michael Haneke et la comédienne française Emmanuelle Riva, en nomination pour l'Oscar du meilleur rôle féminin (Amour) encore une fois à titre de traducteur. Si Emmanuelle Riva avait remporté la statuette, M. Gray l'aurait accompagnée sur scène pour traduire ses remerciements.

Michael Haneke

À travers tout ce travail, c'est la liaison professionnelle qui lie M. Gray au réalisateur Michael Haneke qui est la plus fascinante.

Les deux hommes se sont rencontrés à Cannes en 1989 où M. Haneke présentait Le septième continent à la Quinzaine des réalisateurs. Durant une conférence de presse, M. Gray a traduit les commentaires du réalisateur de l'allemand vers le français et l'anglais. M. Haneke lui a alors demandé de lui servir d'interprète pour ses entrevues. Et tout s'est enchaîné.

«J'ai traduit pour lui tous les films qu'il a présentés à Cannes, sauf le remake américain de Funny Games dit M. Gray. J'anime ses conférences de presse à Cannes. Parfois, je sers de traducteur pour des entrevues téléphoniques d'un continent à l'autre.»

Cette longue association va dans le sens des valeurs du réalisateur. «M. Haneke est quelqu'un de très fidèle, assure Robert Gray. Que l'on soit technicien ou comédien, il aime travailler avec les mêmes personnes. Quant à moi, il m'a dit un jour trouver ma présence rassurante.»

Haneke est capable de s'exprimer en anglais. On l'a constaté dimanche soir sur la scène du Dolby Theatre. Mais il préfère être flanqué de son traducteur pour les échanges plus techniques.

Si Robert Gray s'est intéressé à l'allemand, c'est entre autres en raison de son intérêt pour la littérature issue du pays de Goethe. Il affectionne Thomas Mann et Gunter Grass. Au cinéma, il a été séduit par les oeuvres de Herzog, Wim Wenders et Fassbinder avec qui il a travaillé.

Au quotidien, la recherche du bon mot, de la bonne expression lui procure une grande satisfaction. «J'adorerais être écrivain mais je ne le suis pas, lance Robert Gray. Mais en étant traducteur, je m'assure de travailler chaque jour avec les mots et ce, sans vivre avec l'angoisse de la page blanche!»