(Cannes) En attribuant la récompense suprême à Anatomie d’une chute, le jury a couronné l’un des films favoris des festivaliers et a du même coup consacré une réalisatrice pour la troisième fois de l’histoire du festival. Sous la gouverne du président Ruben Östlund, les neuf jurés ont annoncé un palmarès consensuel. Ou presque.

Les trois grands favoris des festivaliers ont été primés à leur juste valeur à la cérémonie de clôture du 76e Festival de Cannes. Anatomie d’une chute, formidable drame judiciaire de Justine Triet, repart avec la prestigieuse Palme d’or ; le Grand Prix, au deuxième rang du tableau d’honneur, a été remis au glaçant The Zone of Interest, de Jonathan Glazer, et Les feuilles mortes, d’Aki Kaurismäki, probablement le film le plus attachant de la sélection, a obtenu le prix du jury.

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Le réalisateur Jonathan Glazer

Lors d’une conférence de presse tenue après la cérémonie, le président Ruben Östlund, lui-même lauréat de la Palme l’an dernier grâce à Triangle of Sadness (Sans filtre), n’a pas voulu expliquer vraiment comment les décisions furent prises. « Nous avons eu beaucoup de discussions et tout le monde s’est entendu pour reconnaître que la sélection était très forte, s’est-il contenté de dire. Tous ces films avaient le souci d’entraîner le spectateur avec eux. C’est exactement ce que le cinéma doit être. Et j’espère qu’ils auront tous droit à de belles carrières. »

Un drame judiciaire passionnant

Onzième Palme d’or française de l’histoire du festival, et seulement la troisième attribuée à une réalisatrice après Jane Campion (The Piano en 1993) et Julia Ducournau (Titane en 2021), Anatomie d’une chute, de Justine Triet, est un drame judiciaire dans lequel on tente de recréer les circonstances de la chute mortelle qu’a faite un homme après s’être défenestré depuis l’étage supérieur du chalet qu’il occupe avec sa famille non loin de Grenoble. Mais cette chute, apprendra-t-on au fil des éléments révélés tout au long d’une enquête passionnante, est aussi celle du couple qu’il formait avec sa femme d’origine allemande (Sandra Hüller). S’ajoute ainsi à l’affaire la dissection chirurgicale d’une relation de couple. La société américaine Neon a acquis les droits de distribution de ce long métrage qu’Entract Films relaiera au Québec.

Visiblement bouleversée, Justine Triet, à qui l’on doit notamment La bataille de Solférino et Sybil, a profité de l’occasion pour évoquer les mouvements de protestation qui secouent la France depuis des mois à cause de la réforme des retraites imposée par le gouvernement. « Cette protestation historique, extrêmement puissante et unanime, est niée et réprimée de façon choquante, a-t-elle déclaré. Tout ça éclate dans plusieurs aspects de la société et le cinéma n’y échappe pas. La marchandisation de la culture est en train de casser une exception culturelle française sans laquelle je ne serais pas là. Je dédie cette Palme à tous les jeunes réalisateurs et réalisatrices qui n’arrivent pas à tourner. J’ai pu faire ma place il y a 15 ans dans un monde un peu moins hostile, où il était encore possible de se tromper et de recommencer. »

Une ovation pour Sandra Hüller

The Zone of Interest, lauréat du Grand prix, est ce drame dans lequel un commandant nazi, responsable des opérations du camp d’Auschwitz, rêve à sa petite vie de banlieue avec sa famille pendant que les chambres à gaz crachent leur fumée juste à côté. Le prix de la critique internationale lui a aussi été décerné. Sur la scène du Grand Théâtre Lumière, Jonathan Glazer a tenu à rendre hommage à Martin Amis, auteur récemment disparu, dont le roman a inspiré le film.

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L’actrice Sandra Hüller

Les deux longs métrages ayant obtenu les plus hautes distinctions ont une actrice en commun : Sandra Hüller. Un règlement empêchant le jury d’attribuer plus d’un prix à une même production a fait en sorte que la comédienne n’a pu mettre la main sur un prix d’interprétation (ce choix aurait été tout à fait justifié pour l’une ou l’autre de ses deux performances), mais le public du Lumière lui a néanmoins fait une belle ovation. À la surprise générale (et à celle de la lauréate !), ce prix est plutôt allé à Merve Dizdar, magnifique dans Les herbes sèches, un film de Nuri Bilge Ceylan dans lequel elle tient plutôt un rôle de soutien. « Je dédie ce prix à toutes les femmes qui, comme Nuray [le prénom du personnage qu’elle joue], luttent pour exister en ce monde et qui gardent espoir », a-t-elle déclaré.

Quant au prix du jury, le troisième dans la hiérarchie du palmarès, il est allé à la comédie mélancolique d’Aki Kaurismäki, Les feuilles mortes. Le cinéaste finlandais étant absent, les deux acteurs principaux de son film, Alma Pöysti et Jussi Vatanen, ont lu un message que le cinéaste leur a fait parvenir : « Je suis profondément honoré d’avoir participé à ce festival qui continue à faire vivre le cinéma. Merci et Twist & Shout ! »

Sept films au tableau d’honneur

Perfect Days, qui marque le beau retour à la fiction de Wim Wenders, a valu à son superbe comédien, Kōji Yakusho, le prix d’interprétation masculine. Ce dernier, vu notamment dans des films de Shohei Imamura (dont L’anguille, Palme d’or en 1997), aussi dans Babel (Alejandro González Iñárritu), campe avec brio un homme ayant trouvé un nouveau sens à sa vie en travaillant à nettoyer les toilettes publiques de Tokyo. Ce long métrage a également obtenu les faveurs du jury du prix œcuménique.

PHOTO LOIC VENANCE, AGENCE FRANCE-PRESSE

L’acteur Kōji Yakusho

La passion de Dodin Bouffant, film avec Juliette Binoche et Benoît Magimel célébrant l’art d’aimer et l’art de cuisiner, a valu à Tran Anh Hùng le prix de la mise en scène, et Monster, de Hirokazu Kore-eda, a été primé grâce au scénario, écrit par Sakamoto Yuji. Signalons que ce très beau film a aussi obtenu vendredi la Queer Palm, décernée à une production traitant de sujets liés à la communauté LGBTQ+.

En tout, sept longs métrages figurent au tableau d’honneur, laissant ainsi plusieurs pointures sur la touche, à commencer par les vétérans Ken Loach, dont le The Old Oak a été écarté du palmarès, et Marco Bellocchio (L’enlèvement), bien que ces deux films aient pourtant eu d’ardents défenseurs au sein de la communauté festivalière. Nanni Moretti, avec son autofiction Vers un avenir radieux, n’a pas convaincu le jury non plus, pas plus qu’Alice Rohrwacher, qui, avec La chimera, a pourtant proposé un merveilleux moment de cinéma. Une bien mauvaise journée pour l’Italie, à vrai dire.

Mais, comme l’a précisé le président du jury à maintes reprises au cours de la conférence de presse, la sélection était vraiment solide cette année et l’on ne peut qu’acquiescer. Nous serions bien malvenus de contester les choix qui ont été faits, d’autant que plusieurs de nos favoris ont été primés. Une belle année cannoise en somme !

Le palmarès du Festival de Cannes

PHOTO DANIEL COLE, ASSOCIATED PRESS

  • Palme d’or : Justine Triet, Anatomie d’une chute
  • Grand Prix : Jonathan Glazer, The Zone of Interest
  • Prix du jury : Aki Kaurismäki, Les feuilles mortes
  • Prix du scénario : Sakamoto Yuji, Monster (Kore-eda)
  • Prix de la mise en scène : Tran Anh Hùng, La passion de Dodin Bouffant
  • Prix d’interprétation féminine : Merve Dizdar, Les herbes sèches (Nuri Bilge Ceylan)
  • Prix d’interprétation masculine : Kôji Yakusho, Perfect Days (Wim Wenders)
  • La Caméra d’or : Bên Trong Vo Ken Vang, L’arbre aux papillons d’or