Filmé en partie à Montréal, le film biographique sur Neil Bogart, fondateur de la maison de disques Casablanca, voit finalement le jour. Histoire d’une grosse galère.

Ce fut long. Ardu. Compliqué. Les acteurs ont changé. L’argent a manqué. Les producteurs se sont multipliés. Mais voilà. Après une galère d’au moins 10 ans, le film Spinning Gold sort finalement sur les écrans ce vendredi.

Surtout ne pas confondre avec Solid Gold, bar de danseuses du nord de Montréal. Il s’agit bien de Spinning Gold, film biographique musical consacré à Neil Bogart, fondateur des disques Casablanca, label incontournable des années disco.

Son nom ne vous dit peut-être rien, mais les artistes qu’il avait dans son écurie sont bien connus. Entre 1974 et 1980, c’est lui qui a révélé Village People et Funkadelic, mais aussi Donna Summer et le groupe Kiss.

Le succès, mais à quel prix ! Flambeur, gambler, magouilleur, cocaïnomane, Neil Bogart est allé très bas avant d’atteindre les sommets.

Le film, réalisé par son propre fils, Timothy Scott Bogart, raconte comment Casablanca s’est endettée de 7 millions de dollars (37 millions, en argent de 2023) avant de commencer à engendrer des profits en surfant sur la vague disco.

La maison aurait probablement mis la clé sous la porte, si ce n’avait été l’optimisme inébranlable de son président, son flair artistique et sa capacité à convaincre les bailleurs de fonds… y compris la pègre.

Un tournage compliqué

Le feuilleton entourant le tournage de Spinning Gold est à l’image du personnage principal : du flou et des déboires financiers.

Au départ, c’est Spike Lee qui doit réaliser le film, tandis que le rôle principal est réservé à Justin Timberlake. La distribution inclurait aussi Chris Rock et Samuel L. Jackson, mais les rumeurs restent sans suite. Nous sommes en 2013.

Le projet reprend en 2019. On apprend que le tournage aura lieu à Montréal, sous la direction de Timothy Scott Bogart, qui coproduit et signe le scénario. Cette fois, c’est un acteur de Broadway (Jeremy Jordan) qui incarnera Neil Bogart.

La production ne tarde pas à dérailler. Fin juillet, l’équipe technique – qui compte environ 150 salariés, dont plusieurs Québécois – démissionne en bloc parce qu’elle n’a pas été payée.

L’histoire est rapportée dans les médias. Le tournage s’interrompt brutalement.

« Ça fait 37 ans que je suis dans le milieu, je n’avais jamais vu un truc comme ça », confie un Montréalais qui travaillait alors sur le plateau.

Selon un article du journal Métro publié au moment des faits, la production doit alors 600 000 $ à l’équipe technique.

Celle-ci sera finalement dédommagée par un certain Alex Habrich. Cet homme d’affaires québécois n’a rien à voir avec le cinéma. Mais il a loué sa grosse maison de Baie-D’Urfé pour le tournage. Quand il apprend que Timothy Scott Bogart cherche du financement pour boucler le tournage, il s’engage dans l’aventure. Il se rend vite compte que le bateau prend l’eau, non sans avoir englouti 2,5 millions de dollars dans le projet, qui a toutes les allures d’un éléphant blanc.

« Je n’aurais jamais dû embarquer là-dedans, dit-il aujourd’hui à La Presse. J’étais innocent. Mais j’ai beaucoup appris. »

Stoppé pendant deux ans, le tournage sera finalement conclu au New Jersey. Mais Montréal reste reconnaissable dans certaines scènes.

On reconnaît entre autres la salle de bal du Ritz-Carlton et quelques commerces de la rue Sherbrooke (Encore Books and Records, Atelier Matthieu cheminée), censés représenter le Brooklyn des années 1960.

Le désastre financier s’est pour sa part transformé en bataille juridique, Alex Habrich et Timothy Scott Bogart étant actuellement devant les tribunaux de Los Angeles pour régler leurs différends. On vous épargne les détails.

Un film biographique cliché

Avec tout ça, on allait presque oublier de commenter le film. Qui n’est ni bon ni mauvais, juste un film biographique dans la moyenne, avec tous les clichés liés au genre. Il y a des perruques, de fausses moustaches, des phrases du genre : « Pour y croire, mec, il faut avoir des couilles » et la reconstitution d’époque est limite caricaturale. Clone de Justin Timberlake, Jeremy Jordan s’en tire correctement dans le rôle principal, le reste de la distribution est à la hauteur.

Il reste la musique (excellente) et un personnage fascinant, comme il ne s’en fait plus. Les années 1970 étaient l’époque de tous les excès. Les contrats de disques étaient signés entre deux lignes de coke. Les planchers de danse lumineux se transformaient en baisodromes. Neil Bogart était au centre de ce tourbillon. Au point de s’user prématurément : il est mort du cancer à l’âge de 39 ans, en 1982. Mais il a fait vibrer son époque. Pour le meilleur et le moins bon.