Le réalisateur de Deux femmes en or, Bonheur d’occasion et Les tisserands du pouvoir, Claude Fournier, s’est éteint jeudi après-midi au CHUM, à Montréal, des suites d’un infarctus, entouré de ses proches. Il avait 91 ans.

« C’était un homme qui s’intéressait à tout, c’est ça qui était passionnant de vivre avec lui, a confié à La Presse sa conjointe des 53 dernières années, Marie-José Raymond. J’ai eu une chance immense de partager ma vie avec quelqu’un comme ça. »

Claude Fournier a eu un malaise cardiaque pendant qu’il était en vacances en Martinique avec Mme Raymond et des amis, explique celle-ci. Il a été hospitalisé au Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM) à son retour, il y a environ une semaine. Il est mort jeudi après-midi, entouré notamment de son frère jumeau Guy Fournier, de Mme Raymond et de ses enfants.

« C’est une grosse perte, parce qu’on a passé notre vie ensemble, on est nés ensemble et on pensait qu’on aurait peut-être la chance de mourir ensemble », a souligné Guy Fournier au bout du fil, des trémolos dans la voix. Les deux frères sont nés en juillet 1931 à Waterloo, en Estrie. Dans les dernières années, ils vivaient tout près l’un de l’autre à l’île des Sœurs.

Un cinéaste prolifique

Si Claude Fournier a amorcé sa carrière à Radio-Canada et à l’Office national du film, puis en réalisant de nombreux documentaires, c’est avec Deux femmes en or (1970) qu’il a gravé son nom dans le grand livre de l’histoire du cinéma québécois.

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Claude Fournier à la première du film Deux femmes en or au théâtre Saint-Denis, en mai 1970

Avec L’initiation et Valérie de Denis Héroux, le premier long métrage de fiction du réalisateur aura contribué à l’avènement de ce qu’on appelle le film de fesses. Mettant en vedette Monique Mercure et Louise Turcot, Deux femmes en or dépeint les folichonneries de deux banlieusardes qui chassent leurs blues en faisant des galipettes avec des livreurs et des réparateurs.

Succès populaire, le film comique sera cependant malmené par la critique. « On voulait dire que le sexe, c’est le fun et ça peut être amusant. Tu peux rire tout en baisant. Et ma blonde, avec laquelle j’étais d’accord, voulait rappeler que les femmes peuvent aimer le sexe », se remémorait Claude Fournier en entrevue avec La Presse en 2020.

Claude Fournier se mesure en 1983 à l’adaptation au grand écran d’un classique de la littérature francophone, le roman Bonheur d’occasion de Gabrielle Roy, dont il a cosigné le scénario avec Marie-José Raymond, sa grande complice sur les plans tant professionnel que personnel.

C’est d’ailleurs avec elle qu’il a tourné Notre été avec André (2018), qui sera son ultime film. Cette incursion dans l’appartement d’André Brassard aura donné pour la dernière fois la parole au légendaire metteur en scène, un projet témoignant bien de l’importance que la préservation de la mémoire culturelle collective revêtait pour le réalisateur.

En 2008, Pierre Karl Péladeau avait d’ailleurs placé la mise à feu de son projet de numérisation et de restauration du patrimoine cinématographique québécois, Éléphant – mémoire du cinéma québécois, entre les mains de Claude Fournier et de Marie-José Raymond. Le couple a été à la tête de l’organisme jusqu’en 2018.

D’une grande discrétion

« C’est quelqu’un qui était d’une discrétion sur lui-même, et qui mérite que les gens s’intéressent à son œuvre, autant comme poète que comme écrivain et cinéaste », soutient Mme Raymond.

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Marie-José Raymond et Claude Fournier, en 1979

« Je pense que Claude avait une passion infinie pour le cinéma, et pour le cinéma québécois, renchérit Guy Fournier. Et on devrait retenir de lui tout ce qu’il a fait pour [Éléphant – mémoire du cinéma]. »

« Il a passé des journées et des nuits dans des salles de montage à numériser tous les grands films du cinéma québécois », renchérit le conseiller à la Ville de Montréal Serge Sasseville.

En 2009, Claude Fournier a publié une autobiographie, intitulée À force de vivre, où il dépeint une vie qui débute dans une famille peu nantie. « On avait passé une enfance extrêmement difficile, se souvient son frère Guy Fournier. On a fait nos études aux crochets des [institutions religieuses]. Ça a toujours été, jusqu’à ce qu’on ait 25 ou 26 ans, extrêmement difficile financièrement. »

Ce récit met en lumière sa plume, selon sa conjointe. « C’était un homme d’une grande complexité, qui n’était pas seulement cinéaste, c’était aussi un grand écrivain. Son autobiographie, quant à moi, c’est un livre qui illustre son talent. »

Et passionné

Depuis avril 2022, Claude Fournier manifestait quotidiennement avec Marie-José Raymond et Serge Sasseville devant le consulat de Russie à Montréal, en opposition à l’invasion de l’Ukraine par la Russie.

« Il arrivait tous les jours avec des bricolages, des dessins peu flatteurs de Vladimir Poutine, que les employés se dépêchaient d’enlever », se souvient Serge Sasseville, qui a aussi livré un témoignage à la mémoire de M. Fournier sur les réseaux sociaux.

Et il y était tous les jours, même à Noël, ajoute le conseiller municipal. « Oui, c’était un passionné de culture, mais aussi un homme de causes, souligne-t-il. La guerre en Ukraine, pour lui, c’était quelque chose de très personnel. »

« Il n’y a pas d’âge pour arrêter », peut-on encore lire sur la page Twitter de Claude Fournier. Et il incarnait bien cette phrase, soutient son frère. Claude Fournier visionnait 10 films par semaine, continuait de filmer en utilisant son iPhone et apprenait même à utiliser un nouveau logiciel de montage, alors qu’il en maîtrisait déjà un, énumère son jumeau. « C’était un peu audacieux, mais je trouvais ça admirable ! »