(Park City, Utah) Le festival phare du cinéma indépendant se poursuit jusqu’à ce dimanche. Moins de 300 films et séries ont été sélectionnés parmi 16 000 soumissions pour le festival campé au cœur des montagnes de Park City. La crème de la crème. Et après six jours à côtoyer ces œuvres, notre constat est clair : les programmateurs n’ont pas cherché à offrir un menu qui ferait consensus.

Toute la gamme des émotions

PHOTO CHARLES SYKES, INVISION, FOURNIE PAR ASSOCAITED PRESS

Alexander Skarsgård, Mia Goth, Cleopatra Coleman et Brandon Cronenberg à la première d’Infinity Pool à Sundance

« On ne tente pas d’échapper aux œuvres provocantes », a dit John Nein, responsable de la programmation, lors de la journée de lancement. Parlez-en aux plus de 1000 personnes qui ont assisté à la projection du troublant Infinity Pool de Brandon Cronenberg, au Grand Theatre de Salt Lake City, dimanche soir. Nous y étions et nous avons vu des gens quitter la salle. Provocante, cette programmation, mais également ludique (Theatre Camp de Molly Gordon et Nick Lieberman), profondément bouleversante (20 Days in Mariupol de Mstyslav Tchernov), engagée (Twice Colonized de Lin Alluna) ou simplement divertissante (Cassandro de Roger Ross Williams). Les cinéphiles y ont certainement trouvé leur compte, tout comme les membres de l’industrie, qui ont conclu de nombreuses ententes. Le film Passages (un de nos favoris), d’Ira Sachs, mettant en vedette Adèle Exarchopoulos, s’est trouvé un distributeur juste après sa première et se retrouvera dans les cinémas des États-Unis et de l’Europe (espérons que le Canada suivra). Theatre Camp, autre succès de cette édition, a été acheté par Searchlight. Les rumeurs veulent que des diffuseurs en ligne aient aussi mis la main sur cette comédie où l’on retrouve Ben Platt, Jimmy Tattro et Noah Gavin.

La mort en face

PHOTO TAYLOR JEWELL, INVISION

Brittany O’Grady, Dave Merheje, Parvesh Cheena et Daisy Ridley, acteurs de Sometimes I Think About Dying

Presque aucun des films que nous avons vus à Sundance ne nous a déçue. Il n’est toutefois pas possible de taire le ravissement que nous a fait ressentir Sometimes I Think About Dying. Ce film de Rachel Lambert met en vedette Daisy Ridley (Stars Wars) dans le rôle de Fran, une femme dont la vie monotone la mène souvent à rêvasser. Lorsqu’elle se perd dans ses pensées, Fran s’imagine en train de mourir. Un nouveau collègue vient lui apporter de la lumière. Ce deuxième long métrage de Lambert ne semble pas avoir de visées grand public et représente bien le côté « films indépendants » que Sundance promeut. Dans une discussion suivant la première, la cinéaste s’est ouverte en décrivant ce film poétique et subtil comme un « exposé de la tyrannie [qui règne] dans [sa] tête ». Elle-même a déjà pensé à la mort. Son film se veut surtout une méditation sur ce que la connexion avec les autres permet, sur la menace de l’isolement et l’impression de ne pas avoir sa place dans le monde.

Xavier Dolan, absent mais applaudi

IMAGE FOURNIE PAR CLUB ILLICO

La nuit où Laurier Gaudreault s’est réveillé

Sans mettre le pied en Utah, Xavier Dolan a fait parler de lui à Sundance. Deux épisodes de sa série The Night Logan Woke Up, version sous-titrée de La nuit où Laurier Gaudreault s’est réveillé, y ont été projetés. Lors de la présentation de mardi, Kim Yutani, directrice de la programmation de Sundance, a annoncé que Dolan avait dû annuler sa présence en raison de « complications de voyage ». Elle a ensuite eu de bons mots pour le cinéaste québécois, que l’organisation admire, a-t-elle dit. Les festivaliers qui assistaient à la première, quelques jours plus tôt, partageaient son enthousiasme. Toutes les personnes rencontrées par La Presse après le visionnement ont affirmé vouloir voir la suite de la série. « Je ne connaissais pas le réalisateur ni son travail, nous a dit Jill, venue de La Nouvelle-Orléans avec son conjoint. Ça m’a beaucoup impressionnée. J’ai aimé les acteurs, la façon de raconter l’histoire, le fait de devoir assembler les morceaux du puzzle de l’intrigue. » Pour Ann, c’est la ressemblance avec le Michigan, d’où elle vient, qui l’a le plus frappée et attirée. « Ça aurait pu être une de nos banlieues », a-t-elle expliqué. Elle a trouvé la série « difficile à regarder », car on sent dans les deux premiers épisodes que quelque chose d’« intensément tragique » se prépare. Aucune annonce n’a été faite quant à l’éventuelle distribution aux États-Unis. Au Québec, la série peut être vue sur Club illico.

La grande relève avec A Thousand and One

IMAGE FOURNIE PAR LE FESTIVAL DE SUNDANCE

A Thousand and One

Il n’est pas toujours justifié qu’un film dure deux heures, surtout lorsque l’action est lente. Pourtant, en visionnant A Thousand and One, jamais nous n’avons trouvé une scène trop longue ou un passage trop peu stimulant. L’histoire d’Inez, qui kidnappe son fils Terry en sortant de prison pour éviter qu’il soit renvoyé dans un foyer d’accueil, se déroule sur des années. On a toujours le pressentiment que quelque chose de grave risque d’arriver, mais longtemps, on reste l’observateur des heurts et des joies de cette famille à laquelle on ne peut s’empêcher de s’attacher. Inez est une femme forte, au caractère confrontant, qui ne dit jamais « je t’aime » mais dont les gestes, parfois maladroits, débordent d’amour. Le New York du film, celui des années 1990 et du début des années 2000, change en même temps que les protagonistes. Produit par Lena Waithe (Master of None, The Chi), le film est écrit et réalisé par A. V. Rockwell, une cinéaste de talent dont le parcours est intimement lié à Sundance : l’Institut Sundance lui a accordé une bourse à ses débuts, l’a sélectionnée pour participer à des formations et lance désormais son premier long métrage, qui met en vedette l’incroyable Teyana Taylor dans son premier grand rôle. Le film sera présenté en salle au printemps, mais aucune date n’a encore été annoncée pour une sortie hors des États-Unis.

Place au nouveau cinéma

PHOTO JEN FAIRCHILD, FOURNIE PAR L’INSTITUT SUNDANCE

Les réalisateurs de sept courts métrages projetés à Sundance, dont le Québécois Alec Pronovost, à droite

Quelque 45 cinéastes présentaient leur premier projet à Sundance cette année. La catégorie des courts métrages recèle notamment de ces petites perles qui font rêver aux prouesses que leurs créateurs pourraient accomplir ensuite. Parmi les 14 courts métrages que nous avons pu voir (sur 64 au programme), les deux œuvres québécoises ont été des moments forts. Simo, d’Aziz Zoromba, et Piscine Pro, d’Alec Pronovost, ont généré beaucoup d’enthousiasme. C’est finalement ce que l’on retient le plus de cette première semaine du festival : les cinéastes les plus établis en ont encore beaucoup à dire, mais la relève est bien présente et l’avenir du cinéma est brillant. Mentionnons finalement que les billets pour Sundance ne sont pas donnés (1000 $ CAN pour un forfait de 10 films). Heureusement, le volet en ligne, ouvert à tous, offre la possibilité d’avoir un petit bout de Sundance sans se ruiner. Le festival célébrera ses 40 ans l’an prochain. Pour le bien du cinéma, on lui en souhaite au moins 40 autres.