(Cannes) « On vous a déjà dit que vous ressemblez à Tom Hanks ? » Comme nous étions à la fête de la première mondiale d’Elvis de Baz Luhrmann, je n’ai pas osé lui demander si elle voulait dire Tom Hanks dans le rôle du colonel Parker, avec son double menton de vieux pélican. Je ne lui ai pas non plus demandé « Quel âge me donnez-vous ? » Elle n’aurait pas saisi la référence à la vieille publicité d’Oil of Olay.

Je n’aurai pas encore 50 ans cette année. Tom Hanks aura 66 ans dans un mois et demi. Lorsqu’il m’est passé sous le nez au Palais des Festivals, jeudi midi, en route vers la conférence de presse d’Elvis (et moi vers les toilettes), a-t-il jeté un regard dans ma direction parce que deux douzaines de photographes criaient « Tom ! Tom ! Tom ! » ? Ou parce qu’il a reconnu furtivement en moi un sosie ?

« Dieu a créé pour chaque personne 40 sosies », dit le personnage principal de Boy From Heaven de Tarik Saleh, film présenté en compétition il y a une semaine. En route vers les toilettes, j’ai aussi croisé Monia Chokri, membre du jury des courts métrages, qui remettait ses prix jeudi soir, puis toute l’équipe du film belge Close, mon coup de cœur du Festival. Mais je m’égare.

« Oui, quelques fois. » C’est ce que j’ai répondu à la jeune femme rencontrée près du bar du Palais Stéphanie Beach, en bord de mer près de la Croisette, qui m’avait posé cette question sur Tom Hanks. Ça m’est même déjà arrivé à Cannes, directement sur le tapis rouge, pendant la montée des marches de la projection gala de Mommy de Xavier Dolan. N’est-ce pas, Julianne Côté ?

Devrais-je être flatté qu’une jeune femme me trouve une vague ressemblance avec un acteur de 17 ans mon aîné, pas spécialement reconnu pour la finesse de ses traits, simplement parce qu’il a la particularité d’être mondialement connu ? Je répondrai à cette première question par une seconde : aimeriez-vous, messieurs, qu’on vous laisse entendre que vous avez tous les attributs physiques de Forrest Gump ? C’est ce que je pensais.

Ce que j’ai omis de préciser, c’est que cette question qui se voulait un compliment – je crois, dans le contexte – n’était pas désintéressée. La jeune femme espérait que je lui refile en douce le bracelet qui m’identifiait comme un invité de cette fête privée pour qu’elle puisse y faire entrer une amie.

Je ne vous dirai pas si je lui ai donné mon bracelet, plus ou moins discrètement, en risquant d’empirer la tendinite que j’ai à l’index à force de comprimer ma main pour la faire passer dans un cerceau synthétique. Ce serait hasardeux. Je ne voudrais pas qu’on rechigne à m’offrir d’autres invitations à des soirées à l’avenir.

La jeune femme, quoi qu’il en soit, m’a remercié pour mes valeureux efforts et a aussitôt offert de me payer un verre. Puis elle a ri, d’un rire bref et sec, parce que les verres étaient gratuits, et elle est aussitôt partie. De toute façon, j’avais déjà bu un Negroni et je lorgnais la sortie.

J’étais arrivé sur le tapis rouge de la première d’Elvis, me faufilant en zigzags entre les starlettes et leurs robes de bal, au son de Blue Suede Shoes. J’ai quitté le party d’Elvis, où l’on servait – en hommage d’un goût douteux – des frites et des burgers, au moment où le DJ a intégré le rythme de Small Town Boy à celui de Tainted Love, comme au 98,5 FM le dimanche. En n’ayant entendu aucune chanson du King.

Je ne vous dirai pas si j’avais encore mon bracelet, mais rendu en haut de l’escalier, après avoir parcouru le tapis rouge de 300 mètres qui menait vers la sortie, épié par des dizaines de badauds massés contre la clôture espérant apercevoir une vedette (et forcément déçus de ne pas reconnaître en moi Tom Hanks), je ne me suis pas souvenu que des agents de sécurité coupent d’ordinaire les bracelets à la sortie des partys. Heureusement, parce que j’en aurais eu des sueurs froides…

J’étais entré à la fête en coupant une file de dizaines de personnes tentant de s’y faufiler sur la seule foi de leurs « Je vous jure que je suis sur la liste » ou « Je connais bien untel ». Ils n’avaient pas de bracelet magique. Une autre jeune femme, sortant d’un petit bosquet près de la sortie, m’a demandé si je lui offrirais bien le mien.

J’avais bien failli ne pas aller à cette fête très courue. Je n’ai pas 50 ans, mais je n’ai plus 20 ans, comme le chantait Charles Aznavour. Je venais d’écrire en vitesse ma critique d’Elvis après la projection gala, il était presque minuit et mon lit me faisait des yeux doux quand je suis sorti.

Ce qui m’a convaincu, c’est que j’avais raté la fête donnée chez Albane pour Crimes of the Future de David Cronenberg, deux jours plus tôt, pour cause de « Je-suis-trop-vieux-pour-aller-dans-des-partys-qui-commencent-à-minuit ». Je me suis dit qu’il fallait que je me botte le derrière et que mes lecteurs les plus mondains avaient le droit de savoir si Priscilla sort toujours en boîte.

Je n’espérais pas tant une rencontre fortuite avec Sharon Stone, Kylie Minogue, Shakira ou Emmanuelle Béart – toutes aperçues sur le tapis rouge – qu’un face-à-face avec Tom Hanks, à qui j’aurais enfin pu poser la question : « Dis-moi Tom, trouves-tu qu’on se ressemble ? »

Je n’ai croisé personne que j’aurais pu reconnaître, même pas Robert Lewandowski. La seule qui m’a adressé la parole est cette jeune femme qui voulait mon bracelet sans me payer un verre.

« L’humiliation est mon moteur », avais-je dit, prescient, à mes consœurs du Devoir et du Soleil, plus tôt dans la journée, en leur racontant qu’un stylo avait coulé dans mon sac à dos et qu’il avait taché, non seulement mes calepins et mes doigts, mais d’une façon que je ne m’explique pas, le collet de ma chemise blanche. Ma seule chemise blanche. Celle que je dois impérativement porter avec un costard et le nœud papillon que j’ai emprunté à mon beau-frère il y a désormais 15 ans pour espérer être admis dans les soirées et les projections gala du Festival.

J’ai été rassuré par le fait que ma voisine à la projection d’Elvis, une consœur du New York Times que je croise souvent dans les festivals, n’avait pas remarqué la tache d’encre sur ma chemise froissée. Elle m’a même complimenté sur mon costume bleu en me demandant, peut-être à la blague, il était « de qui ? ». Comme je ne saisis pas toujours l’ironie, je lui ai répondu.

En rentrant de la fête, sur une Croisette plus animée qu’à son habitude en cette année de « retour à la normale » du Festival de Cannes, les messieurs en costard-nœud pap et dames en robe de soirée côtoyaient les jeunes en camisole ou en t-shirt. Ils étaient quelques centaines au Cinéma de la plage, transformé pour l’occasion en karaoké géant, chantant en chœur avec Aznavour. « Il me seeemble que la misèèèère serait moins pénible au soleil… »