(Cannes) Des représentants du cinéma ukrainien ont demandé jeudi à Cannes l’exclusion totale des films russes à l’international, y compris ceux de Kirill Serebrennikov, au lendemain de l’ouverture par ce dernier, en rupture avec le régime, de la compétition.

« Nous pensons vraiment que tout ce qui est russe doit être effacé », a indiqué à l’AFP Andrew Fesiak, producteur ukrainien de films, lors d’une conférence sur la « propagande russe », hébergée par le pavillon américain au Marché du film.

« Les cinéastes russes ne peuvent pas prétendre que tout va bien et qu’ils n’ont rien à se reprocher », a-t-il affirmé, « au moment où les cinéastes ukrainiens sont forcés d’arrêter de faire des films parce qu’ils doivent, ou fuir pour sauver leur vie, ou prendre les armes ».

Au sujet de la présence en compétition du film La femme de Tchaïkovski, il a estimé que son réalisateur « Serebrennikov n’est pas un opposant, pas du tout », rappelant que « toute sa carrière a été financée par l’argent du gouvernement russe ».

« Le film a été financé par des entreprises russes indépendantes, des fonds privés », s’est défendu le réalisateur russe auprès de l’AFP jeudi après-midi.

« Je comprends totalement pourquoi ils disent ce qu’ils disent, parce qu’ils sont dans une situation terrible […] pour eux, c’est même difficile d’entendre parler russe », a-t-il répondu à ses détracteurs ukrainiens, « mais évincer la culture russe serait une erreur énorme ».

Le Festival de Cannes a décidé de ne pas accueillir de représentation officielle russe ni de Russes qui défendent la ligne du Kremlin au sujet de l’Ukraine. Mais, sur la même ligne que les autres grands évènements culturels mondiaux, son délégué général Thierry Frémaux a défendu lundi devant les journalistes l’idée d’accueillir des dissidents russes : « il y a des Russes artistes, journalistes, qui ont quitté la Russie. Kirill Serebrennikov est un homme qui a considéré que s’il ne quittait pas la Russie, il se rendait complice de cette guerre ».

Également metteur en scène, Serebrennikov est désormais installé à Berlin. Il avait affirmé à l’AFP fin avril avoir quitté sa Russie natale pour une question de « conscience ».

M. Frémaux avait précisé lundi que l’idée d’un « boycottage total » avait été demandée « non pas par les autorités ukrainiennes, mais par des ultras, des gens qui sont très radicaux ». « C’est une position que je peux comprendre […] parce que ce sont des gens qui sont sous les bombes », avait-il reconnu.

Dans une tribune du Monde, Alexandre Rodnianski, producteur de cinéma ukrainien qui a travaillé vingt ans en Russie, s’est insurgé contre l’idée d’un « boycottage », assurant que « les sélections des plus grands festivals de cinéma ont toujours inclus les témoignages honnêtes sur l’état actuel des choses en Russie » et que « dans la vie de ceux qui ont commis le massacre de Boutcha, le rôle de la culture était plus que minime. C’est la télévision propagandiste qui les a élevés ».

« Aujourd’hui, seule l’authentique culture russe peut servir d’appui pour aider à changer le pays », conclut Rodnianski.