Dix ans après avoir fait honneur à l’art gastronomique dans Les saveurs du palais, Catherine Frot aborde une autre spécialité bien française : la création d’une rose. La fine fleur, deuxième long métrage de Pierre Pinaud, prend cependant le prétexte d’une pratique artisanale pour proposer un portrait de société.

Oui, il y a des fleurs dans La fine fleur. Mais pas seulement. Eve, le personnage qu’interprète Catherine Frot dans ce deuxième long métrage de Pierre Pinaud (Parlez-moi de vous), exerce bien son métier de créatrice de roses en fine artisane, mais elle doit néanmoins composer avec les nouvelles réalités de la société moderne. Pour sauver sa modeste exploitation, très renommée mais au bord de la faillite, l’experte accepte d’embaucher trois jeunes sans expérience grâce à un programme de réinsertion sociale. Elle devra leur enseigner les rudiments de son art afin d’assurer la survie de son entreprise.

À l’époque des Saveurs du palais, film à succès de Christian Vincent, Catherine Frot avait dû apprendre les gestes de la cuisinière du président de la République française afin que son personnage soit crédible à l’écran.

Pour La fine fleur, l’actrice a emprunté le même parcours préparatoire – apprendre à faire l’hybridation des roses, par exemple – afin de donner vie à cette femme terrienne qui exerce son art depuis toujours.

« Je n’ai pourtant pas la main verte du tout ! reconnaît l’actrice au cours d’un entretien en visioconférence accordé à La Presse. Je n’ai aucune plante chez moi. Cela dit, j’adore apprendre les rudiments d’un métier au profit d’un rôle. Ça pique ma curiosité et j’ai l’impression de me transporter de la même manière que lorsque je pars en voyage. Avant, je regardais les roses en les trouvant belles, comme tout le monde, mais maintenant, je les observe de beaucoup plus près. J’apprécie davantage leurs caractéristiques, comme on peut le faire des êtres humains. Ce film parle de la beauté des fleurs, mais aussi de celle des relations humaines. »

Une comédie sociale

L’idée de La fine fleur est venue à Pierre Pinaud, dont la passion pour les fleurs et les jardins lui a été transmise par sa mère et sa grand-mère, quand il a découvert, il y a quelques années, que la création de roses était une spécialité très française, un peu comme la création de parfums. Admiratif des films de Frank Capra et des comédies sociales que réalise parfois Ken Loach – son modèle est The Angel’s Share (La part des anges) –, le cinéaste a voulu évoquer ce monde très singulier qui, comme tout autre, doit suivre le mouvement de la performance et de la compétitivité.

PHOTO FOURNIE PAR SPHÈRE FILMS

Dans La fine fleur, un film de Pierre Pinaud, Catherine Frot est entourée de Marie Petiot, Fatsah Bouyahmed et Melan Omerta.

« Mon intérêt était d’aller au-delà de cet univers de beauté pour dire quelque chose d’important sur le plan social, indique-t-il. Cette course effrénée vers la performance laisse forcément sur la touche des laissés-pour-compte. S’ils n’ont pas eu les mêmes chances dans la vie, ils ont quand même le droit d’avoir une place dans la société, d’autant que plusieurs d’entre eux disposent de talents qu’ils n’ont jamais pu exploiter. Et puis, ceux qui tiennent à garder leur entreprise sur des bases artisanales en ne cherchant pas à produire toujours plus et pour moins cher devraient avoir le choix de le faire. »

L’esprit français

Le choix de confier le rôle d’Eve à Catherine Frot s’est imposé très vite. Aux yeux du cinéaste, la comédienne, célèbre grâce à ses performances césarisées dans Un air de famille et Marguerite, incarne la quintessence de l’esprit français. Quelque chose dans l’élégance, dans cette façon de bien représenter l’art de vivre à la française, comme elle l’avait si bien fait dans Les saveurs du palais.

Il me fallait aussi une grande actrice parce que le spectre d’émotions à travers lequel Eve passe est très large. On passe de la comédie au drame, mais on reste toujours sur le fil, sans basculer d’un côté ou de l’autre. Il fallait toujours rester dans une grande finesse.

Pierre Pinaud

À ce chapitre, Catherine Frot précise que cet équilibre, difficile à trouver, a fait l’objet de grandes discussions entre le cinéaste et elle.

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Catherine Frot a dû apprendre les rudiments du métier au profit du rôle qu’elle tient dans La fine fleur, un film de Pierre Pinaud.

« Quand j’ai lu le scénario, je me suis dit que ça pouvait donner quelque chose de formidable, mais que la ligne sur laquelle nous allions devoir nous tenir allait être très fine. Le ton d’un film est toujours très important. C’est même crucial. Il suffit de partir sur une fausse note pour tout faire dérailler. On se demandait toujours où était la limite, où se situe le trop, le pas assez, bref, nous avons été très attentifs et je crois que tout ce travail a porté ses fruits. »

L’actrice a par ailleurs beaucoup apprécié son entrée dans l’univers de cette femme de caractère, qui résiste comme elle peut à la production industrielle pour se maintenir au sommet de son art. Et consacrer son expertise à la création de cette rose parfaite qu’on pourrait primer dans les concours.

« J’ai été particulièrement touchée par le fait que cette femme arrive à une étape de sa vie où se produit un incroyable embouteillage d’émotions dans sa tête. Elle est tout juste entre son avant et son après. C’est comme si les portes s’ouvraient devant elle tout à coup. Tous les personnages de cette histoire retrouvent d’ailleurs leur potentiel de dignité. C’est un beau film de sentiments et de parcours individuels », conclut-elle.

La fine fleur prendra l’affiche le 6 mai.