Pour son premier grand rôle au cinéma, dans le long métrage Inès, de Renée Beaulieu, Rosalie Bonenfant est de toutes les scènes. Des scènes où l’émotion à vif est filmée de très près, pour lesquelles l’actrice a laissé un peu d’elle-même. Entretien avec la réalisatrice et la comédienne, à la veille de la première du film, dans le cadre des Rendez-vous Québec Cinéma.

Dans le sympathique décor du bar Emerald, avenue du Parc, Rosalie Bonenfant et Renée Beaulieu prennent la pose pour les photographes de presse. C’est un mardi matin, il est tôt, mais l’actrice et la réalisatrice se prêtent au jeu. On les sent complices (Rosalie nous dira plus tard qu’elle considère Renée comme une « amie », « même si ça sonne improbable »), mais aussi enthousiastes à l’idée de parler de leur film, dont la sortie aura lieu le 6 mai.

Quelques minutes plus tard, attablée avec La Presse pour discuter de son premier rôle dans le film, Rosalie Bonenfant compare l’effet des flashs des photographes de si bonne heure à celui que nous avons dû ressentir en visionnant Inès la veille, tout aussi tôt le matin. « Regarder Inès pour commencer sa journée, ça doit donner un drôle de ton », lance-t-elle, tout sourire.

Regarder Inès à n’importe quel moment de la journée est une expérience potentiellement bouleversante. Rosalie Bonenfant confie avoir pleuré lorsqu’elle a lu le scénario pour la première fois, tout comme lorsqu’elle a vu le produit final, qu’elle a trouvé « tellement touchant ». Au premier contact avec l’histoire imaginée par Renée Beaulieu, elle n’a pas seulement été chamboulée. Elle a également su, tout de suite, que ce rôle était pour elle.

Ce métier demande qu’on se présente pour convaincre quelqu’un de nous choisir. Mais quand j’ai lu le breakdown [version détaillée du scénario] pour Inès, je me suis dit que je ne pouvais pas arriver à l’audition pour la convaincre de me trouver bonne. Je devais aller lui montrer pourquoi elle voulait travailler avec moi.

Rosalie Bonenfant

Rosalie était la dernière en audition et tout de suite, Renée Beaulieu a su qu’elle serait son Inès, raconte la réalisatrice.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

La réalisatrice Renée Beaulieu

Elle est arrivée avec une si grande vulnérabilité, une si grande authenticité. Elle a cette capacité d’abandon au-delà des peurs, au-delà du ridicule.

Renée Beaulieu

Avoir 20 ans

En tournage, la réalisatrice a fait « totalement confiance » à son actrice pour qu’elle s’imprègne du rôle. « Renée m’a dit très tôt qu’elle n’allait pas me materner, dit Rosalie Bonenfant. Elle m’a dit que c’est quelque chose que je devais vivre par moi-même. »

Alors, Rosalie a plongé dans Inès. « Il y avait un parallèle entre ce qu’elle vit et ce moment-là dans ma vie, ajoute l’actrice. C’est une histoire de coming of age, et pour moi aussi. C’était mon plus grand rêve qui se passait, j’avais 23 ans, je n’étais pas si loin d’Inès. Il y a une intériorité que je partage avec elle, une grande vulnérabilité que je ne montre pas souvent. Le chemin émotif était à une valve d’être accessible. »

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Rosalie Bonenfant

Inès vient d’avoir 20 ans. Sa mère est vivante, mais un évènement l’a rendue inapte à communiquer. Avec son père (interprété par Roy Dupuis), la relation est fusionnelle, comme si elle en était restée au stade où elle était quand Inès avait 10 ans et que la tête de sa mère a quitté son corps. Devenue adulte, la jeune femme cherche qui elle est. La dépendance, le sexe, le manque de sommeil, la maladie mentale forment un cocktail destructeur qui mènera Inès à la déchéance.

« Dans mon entourage, des gens ont vécu ce passage-là assez durement. Je pense que c’est une période difficile d’emblée. Mais si on y ajoute des troubles de santé mentale, on entre dans un état de grand déséquilibre », dit Renée Beaulieu.

Descente aux enfers

« Il y a une espèce de trou béant dans Inès, mais elle ne sait pas nécessairement pourquoi, observe Rosalie Bonenfant. Elle cherche quelque chose à quoi s’accrocher, mais c’est le néant. C’est une détresse tellement inhérente qu’il ne faut pas chercher à l’intellectualiser. »

« Tout se passe dans les yeux, il n’y a pas énormément de dialogues », ajoute-t-elle. En effet, Renée Beaulieu dépeint la douleur d’Inès par l’image surtout, en filmant de très près son personnage.

La caméra avait deux plans : derrière elle ou devant elle, et that’s it. Parce que ce n’est pas un récit objectif, je ne dis pas que les filles de 20 ans vivent ça en général. Je veux parler de la maladie mentale qu’on ne voit pas. Alors on est collés sur elle pour le vivre avec elle.

Renée Beaulieu

PHOTO FOURNIE PAR FILMOPTION INTERNATIONAL

Scène du film Inès

L’interprétation de cette « descente aux enfers », comme la décrit Renée Beaulieu, a demandé à Rosalie Bonenfant d’y laisser un peu d’elle-même.

À ce jour, après plus de deux ans, je ne sais pas encore si j’ai joué. J’ai l’impression d’avoir vécu.

Rosalie Bonenfant

« Peut-être parce que je ne suis pas nécessairement formée comme comédienne, ajoute-t-elle en riant. Je n’ai pas appris à inventer une émotion. Je n’ai pas eu le choix de trouver mes propres émotions et de les prêter à Inès. »

Après une des scènes les plus prenantes, se souvient-elle, lorsqu’elle est rentrée chez elle, son corps n’était pas encore sorti de l’état dans lequel elle l’avait plongé pendant le tournage. « Je me suis démaquillée, je suis allée me doucher, je me suis mise en pyjama. Quand je me suis assise sur mon lit, mes mains tremblaient et mes yeux coulaient. Je ne sanglotais pas, mais mon corps avait subi quelque chose et ça ne s’est pas arrêté tout de suite. Je n’étais pas en détresse, mais je me disais que quelque chose s’était passé pour vrai. »

Actrice et plus

Rosalie Bonenfant est actrice, mais elle aussi auteure, animatrice télé et radio, chroniqueuse, scénariste, parolière. Entre son ouvrage La fois où j’ai écrit un livre, son rôle à l’animation de Deux hommes en or et Rosalie ou de sa propre émission C’est quoi l’trip ?, en plus de tant d’autres projets, Rosalie Bonenfant n’a pas pu laisser le jeu prendre toute la place qu’elle souhaite dans sa vie.

« [Être actrice], c’est ce que je veux faire depuis toujours, dit-elle. Je n’ai jamais arrêté de vouloir faire ça. J’ai même l’impression que ça a teinté ma gratitude par rapport à mes contrats dans les dernières années, parce que je me disais que c’est tellement le fun, que je suis vraiment reconnaissante, mais ce n’est pas ça, mon destin, au bout du compte. C’est pas ça que je veux le plus faire. » Prête à tout essayer, elle s’est laissé porter par les occasions, tout en craignant qu’on oublie que sa passion, son but, c’est le jeu.

Inès est donc un tournant pour l’actrice de 25 ans, qui montera cette année sur les planches du théâtre pour La Corriveau, puis ira tourner un autre film en France. Son visage sur l’affiche est la meilleure façon de se présenter. « Ça va passer ou ça va casser. Soit le film va sortir et les gens vont dire : “Oh boy, on comprend pourquoi elle chronique, cette fille-là…”, soit ils vont se dire : “Wow, c’est une super carte de visite !” », lance-t-elle, sur ce ton farceur qu’elle a souvent au long de notre discussion. Quoi qu’il en soit, ajoute-t-elle, « ce film, c’est un vrai tour de force et [elle a] hâte que les gens puissent le voir ».

Inès sera présenté en première ce jeudi dans le cadre des Rendez-vous Québec Cinéma, puis dans tous les cinémas dès le 6 mai.