Dans Le bruit des moteurs, premier long métrage de Philippe Grégoire, un homme dans la vingtaine revient chez lui après avoir été suspendu par son employeur. Au lieu d’y trouver un certain réconfort, il doit faire face à une ambiance étouffante. La Presse en discute avec le réalisateur et le comédien Robert Naylor.

Entendre le bruit d’un moteur, peu importe où l’on est sur la planète, ramène forcément la personne qui l’entend à une évidence : ce bruit a une provenance humaine. Ce qui peut avoir un côté rassurant. Mais pas nécessairement…

Prenons le cas d’Alexandre (Robert Naylor) dans Le bruit des moteurs, de Philippe Grégoire. Instructeur de tirs dans une école de douaniers, Alexandre est suspendu et renvoyé pour cause de sexualité compulsive.

Alexandre débarque chez sa mère, Johanne (Marie-Thérèse Fortin), à Napierville en lui faisant croire être en vacances. Johanne administre la piste de course du coin et fiston y retrouve le bruit familier des moteurs rugissants et des roues tournant à toute vitesse.

Rassurant ? Pas du tout ! Le monde a bien changé dans son village. Le plus beau pays du monde n’est plus ce qu’il était. Et lorsqu’un « crime », à savoir un tapissage de notes de type Post-it avec des dessins à caractère sexuel, est découvert dans la communauté, c’est vers lui que les yeux se tournent.

Derrière ce scénario singulier, servi par une mise en scène qui l’est autant, Philippe Grégoire constate, dénonce, met en garde.

J’avais envie de parler de la façon dont on traite les gens lorsqu’ils reviennent chez eux. En revenant dans son village, Alexandre se retrouve dans la position de l’étranger.

Philippe Grégoire, réalisateur

Autre sujet qui préoccupe le cinéaste : l’interprétation de la sexualité d’autrui. Ici, Alexandre est perçu comme ayant une sexualité débridée. « Pourquoi la sexualité est-elle un sujet si attirant, attrayant, obsédant ? demande M. Grégoire. J’ai pour opinion que lorsqu’on a un rapport sexuel entre personnes consentantes adultes, ça les regarde et ne regarde pas les autres. »

PHOTO FOURNIE PAR FUNFILM DISTRIBUTION

Robert Naylor est Alexandre dans Le bruit des moteurs.

Et le cinéaste manifeste aussi une inquiétude face aux courants de droite. Ayant lui-même travaillé aux douanes et vécu la période de l’armement des douaniers sous le gouvernement Harper, il qualifie cette période de « point de non-retour ».

Tous ces sujets de préoccupation sont représentés sous un même chapeau : la frontière.

Que le personnage central travaille dans le milieu de la douane n’est pas fortuit. Il s’y rattache toute cette idée d’une ligne de démarcation entre les « eux » et les « nous ».

Lui-même dépassé par les évènements, Alexandre va trouver un certain réconfort auprès d’Aðalbjörg (Tanja Björk), mystérieuse jeune Islandaise qui affectionne les courses de voitures et les films d’André Forcier (une influence évidente chez le cinéaste).

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Tanja Björk dans Le bruit des moteurs

Un miroir

Sorti de nulle part, ce personnage féminin aux allures de fée ou d’elfe (elle vient d’Islande, ce n’est pas un hasard) force le spectateur à prendre position. Est-elle réelle ou est-ce l’amie imaginaire d’Alexandre comme les enfants s’en créent parfois ?

Je crois qu’elle est un peu comme un miroir pour lui. Dans son village où il côtoie toujours le même monde, les mêmes philosophies, Alex tombe soudainement sur une pilote de drag un peu bad ass qui le bouscule, mais s’intéresse à lui et à son histoire. Elle est comme un ange. Un peu surréelle.

Robert Naylor

Le comédien a visiblement été séduit par le caractère atypique du scénario, qu’il qualifie de « proposition audacieuse ». « Le film n’a pas une trame narrative simple, dit-il. C’est un film avec une présence, une atmosphère », dans lequel le personnage d’Alexandre est comme un déversoir pour la colère, le trop-plein d’émotions des gens de son entourage.

En Naylor, Philippe Grégoire a vu un jeune homme ayant assez de vécu au cinéma pour savoir comment mener le film, ayant plusieurs intérêts et qui pourrait avoir un regard critique sur le projet.

C’est le genre de situation qu’affectionne M. Grégoire. « J’adore le cinéma qui nous amène à la discussion, dit-il. J’aime faire travailler un peu les gens. Comme spectateur, j’aime qu’on me signifie que j’ai mon bout de chemin à faire. Je pourrais écrire des scénarios très clairs, avec des relations de cause à effet, etc. Au contraire, je laisse des parties ouvertes. »

Que le spectateur en soit donc averti. Le bruit des moteurs n’est pas une mécanique tournant au quart de tour. À lui d’ouvrir le capot pour voir ce qu’il y a là-dessous !

En salle le 25 février