(Berlin) Plusieurs des films présentés à la Berlinale mettent de l’avant des histoires à caractère intime comportant peu de personnages, un effet direct de la pandémie. C’est ce qu’ont en commun Avec amour et acharnement, de Claire Denis, et Good Luck to You, Leo Grande, de Sophie Hyde. Ces deux longs métrages nous donnent aussi l’occasion de voir deux grandes performances d’actrices…

Vénérée par la classe cinéphile, plus particulièrement adulée par la presse anglo-saxonne, Claire Denis fréquente le festival de Berlin depuis longtemps, mais s’amène cette année pour la première fois avec un film sélectionné en compétition officielle. Le récit d’Avec amour et acharnement, drame qu’elle a coécrit avec l’autrice Christine Angot (tout comme Un beau soleil intérieur), est construit autour d’une relation amoureuse que la cinéaste française s’attardera à étudier en empruntant sa manière bien à elle, qui déconcerte et fascine à la fois.

Les premières séquences pourraient presque laisser croire à un drame romantique à l’eau de rose. On y voit Sara (Juliette Binoche) et Jean (Vincent Lindon) à la mer, en train de s’offrir une baignade dans un endroit aussi paradisiaque qu’isolé.

PHOTO FOURNIE PAR LA BERLINALE

Juliette Binoche et Vincent Lindon sont les têtes d’affiche d’Avec amour et acharnement, de Claire Denis.

Il la tient doucement pour la faire flotter, l’embrasse au passage, bref, cet homme et cette femme, qui partagent leur amour depuis neuf ans, semblent filer le parfait bonheur ensemble. Ils s’aiment tout autant dans leur vie de tous les jours, mais, progressivement, des jours plus tumultueux se pointent à l’horizon.

Dans l’intimité des personnages

Quand Jean annonce à sa bien-aimée que son vieil ami François (Grégoire Colin), qu’il n’a pas vu depuis longtemps, souhaiterait monter un nouveau projet professionnel avec lui, Sara n’en fait pas trop de cas. C’est en apercevant ce dernier subrepticement dans la rue que le trouble s’installe. Croyant avoir relégué la passion amoureuse qu’elle a vécue à l’époque avec cet ami de Jean au rayon des souvenirs bien assumés, bien réglés, Sara ne peut s’empêcher de laisser monter la vague d’émotions qui la submerge. Qui fait ressurgir des sentiments – réciproques – que les anciens amants ont partagés à une autre étape de leur vie.

Empruntant les points de vue de Sara et de Jean, Claire Denis filme ses personnages de très près, souvent en gros plans, dans des endroits plus restreints et clos, pour bien être dans l’intimité des protagonistes. Comme plusieurs des films montrés dans cette Berlinale, Avec amour et acharnement a été tourné pendant une période de confinement.

« On ne pouvait rien changer à ça, et c’est la raison pour laquelle la réalité de la pandémie existe aussi dans le film », a expliqué la réalisatrice au cours d’une conférence de presse en marge de la première projection officielle. « Nous avons tourné quelques scènes dans le métro et il était impossible de faire comme si la pandémie n’existait pas. Les personnages portent aussi le masque dans quelques séquences se déroulant à l’extérieur de l’appartement. »

La partie portant sur la crise du couple est fort bien menée, d’autant qu’on ne pouvait soupçonner l’ampleur dramatique de certaines scènes, compte tenu de l’harmonie qui semblait lier ces deux êtres au départ.

Les retrouvailles entre Sara et François ne sont pas simples non plus.

Les ramifications que greffent les autrices à leur histoire semblent en revanche plus artificielles, sinon superflues. Mis à part le bonheur de voir Bulle Ogier dans le rôle de la mère de Jean, on comprend mal pourquoi le lien entre ce dernier et son fils Marcus (Issa Perica), né d’une mère antillaise, n’est pas mieux développé. Ni pourquoi les témoignages des invités de Sara, animatrice de radio à RFI, ne s’intègrent pas mieux au récit.

Cela dit, Juliette Binoche et Vincent Lindon se sont jetés corps et âme dans ce drame fébrile, truffé de sentiments incontrôlables, souvent tourné caméra à l’épaule. Les deux vedettes offrent, une fois de plus, de remarquables performances.

PHOTO JOHN MACDOUGALL, AGENCE FRANCE-PRESSE

Juliette Binoche et Vincent Lindon photographiés juste avant la projection d’Avec amour et acharnement, samedi

« Une relation de couple, c’est une aventure, a déclaré Claire Denis. Ça bouge toujours, ça n’est pas stable. Il y avait une grande confiance entre Juliette, Vincent et moi, grâce à laquelle nous avons pu aller loin, sans avoir peur. Nous n’avons pas fait plus d’une ou deux prises d’une même scène et notre travail, à Éric Gautier [le directeur photo] et moi, a été de les suivre en courant ! »

Avoir un orgasme. Ou pas.

Ç’aurait pu être une pièce de théâtre. On s’étonne d’ailleurs que le scénario de Good Luck to You, Leo Grande, écrit par Katy Brand, n’en ait pas une au départ. Portée à l’écran par la cinéaste australienne Sophie Hyde (52 Tuesdays), cette comédie dramatique met en effet en scène deux personnages pendant pratiquement tout le film. Nancy est une jeune veuve de 55 ans ; Leo est un travailleur du sexe qui, du haut de sa glorieuse vingtaine, est au sommet de sa profession.

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Daryl McCormack et Emma Thompson dans Good Luck to You, Leo Grande, de Sophie Hyde

Cette femme, qui a enseigné toute sa vie à Londres, ne s’est jamais permis le moindre écart, a été fidèle à un mari aussi ennuyant que sa propre vie pendant trois décennies. Mort il y a deux ans, il est le seul homme que Nancy ait connu de toute son existence et cette dernière n’a jamais atteint l’orgasme avec lui. Ni toute seule, à vrai dire. Une vie entière à faire semblant…

C’est pour enfin connaître ce sentiment d’extase qu’elle s’est résignée, après des mois d’hésitation, à faire appel aux bons services de Leo. Le récit, divisé en quatre rencontres, décrira ainsi l’évolution d’une femme qui tente de s’accorder enfin une sexualité satisfaisante. Pourtant, les nombreuses discussions entre deux êtres qui, forcément, se révéleront progressivement l’un à l’autre ratisseront beaucoup plus large.

Daryl McCormack (Pixie, The Wheel of Time) est excellent dans un rôle qui dépasse celui du simple faire-valoir. Mais ce film doit évidemment tout à Emma Thompson.

Dans ce personnage qui se désespère de sa propre psychorigidité et de tous les blocages qui lui ont empoisonné la vie, l’actrice module sa partition avec une parfaite maîtrise en se mettant à nu sans faux-fuyants. Dans tous les sens du terme.

Good Luck to You, Leo Grande est présenté à Berlin dans la section Berlinale Special.