(Berlin) Comme partout ailleurs dans le monde, la vague Omicron a fait des siennes en Allemagne et a failli compromettre la tenue de la Berlinale. Depuis le début du festival, nombreux sont ceux qui évoquent l’importance du cinéma et de la culture en général. Et qui tiennent à lancer un message important au monde entier.

Oui, c’est plus compliqué. Peut-être pas autant que pour les valeureux collègues couvrant les Jeux olympiques à Pékin, mais il reste que le protocole sanitaire que doivent obligatoirement suivre professionnels et journalistes à la Berlinale est très strict. L’accréditation est accordée seulement aux personnes pleinement vaccinées, et celles-ci doivent tous les jours présenter un test antigénique négatif afin d’avoir droit de passage dans les lieux où se déroulent les activités. Le « badge » simple ne suffit plus non plus pour avoir accès aux films, dans la mesure où il faut également réserver des billets en ligne, deux jours à l’avance, pour assister aux projections destinées à la presse, lesquelles ont lieu dans des salles où seulement 50 % des sièges peuvent être occupés.

Pour l’instant, tout baigne. La plupart des festivaliers font contre fortune bon cœur, étant tous réunis ici pour une même communion, celle de l’amour du cinéma. Avant même que le festival ne s’ouvre officiellement jeudi, les professions de foi envers le septième art ont marqué tous les discours.

Comme un « retour à l’église »…

Au cours de la conférence de presse tenue par les membres du jury, présidé cette année par le cinéaste américain M. Night Shyamalan, plusieurs d’entre eux ont d’ailleurs souligné à quel point l’absence de cinéma sur grand écran avait été vécue comme une privation au cours des deux dernières années. Et les a forcés à une réflexion au bout de laquelle leur conviction s’est accrue. Le producteur franco-tunisien Saïd Ben Saïd, qui compte à son actif des films de Paul Verhoeven et de David Cronenberg, estime qu’à ses yeux, le cinéma est une religion et, à ce titre, il voit la tenue du festival comme un « retour à l’église ».

Ryūsuke Hamaguchi, dont le film Drive My Car est un triomphe, a évoqué de son côté le clivage entre le cinéma commercial et le cinéma d’auteur, qu’un festival comme la Berlinale peut tenter de rétrécir en construisant des ponts.

PHOTO STEFANIE LOOS, AGENCE FRANCE-PRESSE

La cinéaste zimbabwéenne Tsitsi Dangarembga, membre du jury que préside M. Night Shyamalan, a salué le travail des organisateurs de grands festivals, « bien au fait du pouvoir transformateur du cinéma ».

« Dans le passé, ce clivage n’existait pas. La Berlinale est là pour rappeler qu’un film qualifié d’“art et essai” peut aussi rejoindre le public », a-t-il affirmé. De son côté, la cinéaste zimbabwéenne Tsitsi Dangarembga, aussi membre du jury, a fait valoir qu’en revoyant récemment les films dans lesquels a joué le regretté Sidney Poitier dans leur ordre chronologique, elle a réalisé combien, au cours des années 1950 et 1960, les grands studios américains produisaient des films où étaient abordés de grands thèmes sociaux. « La question est de savoir quand ce clivage a commencé et d’où il vient », a-t-elle dit en saluant le travail des organisateurs de grands festivals, « bien au fait du pouvoir transformateur du cinéma ».

Le cinéma compte

Sur la scène du Berlinale Palast, lors d’une soirée d’ouverture où l’émotion était palpable, le codirecteur Carlo Chatrian a plaidé pour un retour à la « normalité ».

« Les films nous ont aidés à tenir au cours des deux dernières années, a-t-il déclaré. La pandémie n’est pas terminée et personne ne sait quand elle prendra fin. Nous savons qu’il faut être prudents et prendre les mesures appropriées. Mais nous croyons qu’il est aussi temps de reprendre enfin ce qui nous a tant manqué. »

La ministre de la Culture d’Allemagne, Claudia Roth, a de son côté rendu hommage aux travailleurs de la santé, invités par la Berlinale (ils ont eu droit à une ovation sincère), et a lancé un vibrant message :

« Cette année, la Berlinale envoie un signal important au monde entier : la culture compte, le cinéma compte ! », a-t-elle déclaré.

Violence au féminin

Présenté en compétition officielle vendredi, La ligne a tracé un sillon particulier en ce début de festival. Le nouveau film de la cinéaste franco-suisse Ursula Meier (Home, L’enfant d’en haut) explore en effet le phénomène de la violence chez un personnage féminin. Le film commence d’ailleurs par une crise de rage filmée au ralenti sur un air de Vivaldi, au cours de laquelle Margaret (Stéphanie Blanchoud), une jeune musicienne, s’en prend violemment à sa mère (Valeria Bruni Tedeschi), au point que cette dernière se retrouve à l’hôpital pour soigner ses blessures.

Cette scène frontale servira de prétexte pour explorer aussi les formes de violence plus sourdes qui peuvent surgir au sein d’une famille. Le drame est d’autant plus exacerbé que la musique est au centre de la vie des deux femmes. Cette agression a en effet rendu Christina à moitié sourde, si bien qu’elle ne peut désormais plus exercer le métier qui la fait vivre. Sa fille n’a désormais plus le droit d’approcher sa mère à moins de 100 mètres de la maison (d’où le titre du film), au grand dam des deux sœurs de Margaret.

PHOTO STEFANIE LOOS, AGENCE FRANCE-PRESSE

La cinéaste Ursula Meier était accompagnée par Stéphanie Blanchoud, Benjamin Biolay, Elli Spagnolo, India Hair et Valeria Bruni Tedeschi pour la projection officielle de son film La ligne.

L’idée du film est née d’un désir de Stéphanie Blanchoud et d’Ursula Meier de travailler ensemble sur un projet et de se concentrer sur un personnage féminin violent.

« C’est plus rarement montré au cinéma, a fait valoir la cinéaste au cours d’une conférence de presse tenue en marge de la présentation du film. On le fait souvent du côté des hommes, ou alors pour des adolescentes animées d’un sentiment de révolte. Mais le portrait d’une adulte dont la violence ne découle pas d’un problème lié à la drogue ou à l’alcool nous semblait plus inédit. »

Stéphanie Blanchoud, qui fait aussi de la musique et de la mise en scène, ajoute que ce point de départ a forcé les deux femmes, qui ont coécrit le scénario du film avec Antoine Jaccoud, à se poser des questions auxquelles elles n’auraient peut-être pas pensé si le protagoniste de leur histoire était un homme.

Truffé parfois de teintes d’humour, aussi parsemé de chansons qui font vraiment contraste avec la lourdeur intrinsèque de quelques scènes (Benjamin Biolay a participé à la trame musicale en plus de tenir un rôle), La ligne se distingue par cette façon d’explorer une situation plus complexe qu’elle ne pourrait le paraître de prime abord. La qualité d’ensemble de l’interprétation, dominée par deux actrices remarquables, est aussi à souligner.