Hospitalisé depuis le 30 décembre dernier après avoir subi un AVC, le réalisateur Jean-Claude Lord, connu pour son travail sur la série Lance et compte et des films comme Bingo et Parlez-nous d’amour, est mort samedi à l’âge de 78 ans, a annoncé son fils Jean-Sébastien sur Facebook.

Réalisateur, scénariste, monteur et producteur, Jean-Claude Lord a rayonné tant au cinéma qu’à la télévision depuis ses débuts il y a un demi-siècle. Il s’est inscrit dans l’histoire du cinéma et de la télévision au pays en signant une quinzaine de films et une trentaine de séries télévisées, documentaires, téléréalités et téléfilms.

À la fois populaire et politique, son cinéma avait souvent un message à livrer. Le réalisateur a touché le public du septième art à travers des œuvres marquantes et accessibles. « J’aime les sujets d’actualité qui peuvent provoquer les gens en les divertissant, aimait-il dire. La réalité dépasse toujours la fiction. Que peut-on y faire ? ! »

Le réalisateur était très critique envers l’autorité, le patronat, les élites culturelles et politiques. À ses yeux, le pouvoir absolu finit toujours par corrompre absolument. « Les plus pourris sont ceux qui sont à la tête du système, de cette espèce d’empire d’argent », témoigne Lord en introduction à Parlez-nous d’amour, son film culte diffusé sur la plateforme Éléphant.

« C’était quelqu’un de très directif. Il avait une tête de cochon incroyable et il se battait beaucoup pour ses idées. Dans la vie de tous les jours, c’était un père aimant, très fier de ses enfants et qui était toujours derrière nous », a indiqué à La Presse son fils Jean-Sébastien Lord.

« Il avait toujours une façon efficace de s’adresser au grand public. Lui-même ne se définissait pas nécessairement comme un artiste, mais plutôt comme un communicateur. Il voulait parler aux gens, faire réfléchir et brasser la cage », ajoute-t-il.

« Sa rigueur, sa façon de travailler, le respect des gens avec qui il travaillait, ce sont toutes des choses que j’essaie d’appliquer dans mon travail », dit son fils, qui est également réalisateur.

Un réalisateur exigeant et préparé

« Je ne serais pas devenu l’acteur que je suis aujourd’hui si je n’avais pas croisé Jean-Claude Lord », affirme d’emblée Denis Bouchard, qui incarnait Lucien Lulu Boivin dans Lance et compte, dont la première saison a été réalisée par Jean-Claude Lord. « Il a révolutionné la télévision québécoise », dit-il.

« Il travaillait très rapidement. Il fallait que tu sois très bien préparé, il ne fallait pas apprendre ses textes en arrivant sur le plateau. Il était très exigeant. Il savait exactement ce qu’il voulait et, surtout, il adorait les acteurs », détaille l’acteur.

Marc Messier, qui incarnait Marc Gagnon dans la série télévisée, abonde dans le même sens. « Jean-Claude était extrêmement préparé, il participait au texte et il savait exactement ce qu’il voulait », dit-il.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, ARCHIVES LA PRESSE

Le réalisateur Jean-Claude Lord et les acteurs Marc Messier et Carl Marotte, en 2003

Jean-Claude Lord est à l’origine de plusieurs carrières d’acteur, comme celle de Marina Orsini, estime M. Messier. « J’avais plusieurs scènes avec un personnage qui s’appelait Suzie Lambert. Quand je lui ai demandé qui allait jouer le personnage, il m’avait dit qu’il avait choisi une fille qui était très bonne et intense. C’était Marina Orisini. Il a pris une chance en choisissant une fille de 17 ans qui n’avait pas d’expérience. On voit aujourd’hui l’actrice qu’elle est devenue », dit-il.

Le réalisateur a lancé les carrières de plusieurs autres actrices québécoises dans les années 70 et 80, comme Isabel Richer, Geneviève Brouillette… sans oublier Lise Thouin, sa conjointe et la mère de ses deux enfants, Marie-Noëlle Lord et Jean-Sébastien Lord.

Jean-Claude Lord a légué une grande ouverture à la culture populaire, estime Réjean Tremblay, auteur de Lance et compte. « On a trop souvent tendance à mépriser le peuple. Lui n’a jamais travaillé pour les élites », dit-il.

« Quand j’allais sur le plateau de Lance et compte, c’était lui, le patron. Je me sentais comme un visiteur privilégié, parce que c’était son univers. J’avais un profond respect pour son travail », se remémore-t-il.

Les réactions ont également afflué sur les réseaux sociaux.

Du grand au petit écran

Issu d’un milieu populaire, Jean-Claude Lord a été influencé dans sa jeunesse par des films grand public avec un aspect sociopolitique, comme la comédie musicale West Side Story ou Z, de Costa-Gavras. Dans l’un de ses premiers films, Délivrez-nous du mal, réalisé en 1966, Lord met en scène un couple d’amants homosexuels interprétés par Yvon Deschamps et Guy Godin. Sans doute l’un des premiers couples gais du cinéma québécois. Ce qui est exceptionnel pour un créateur hétérosexuel à cette époque, encore marquée par le sceau de la religion catholique au Québec.

Par la suite, il va s’intéresser à un groupe d’étudiants et de militants dans Bingo, l’un des plus gros succès commerciaux du cinéma québécois dans les années 1970 ; et aussi à un scandale environnemental, dans le suspense Panique, où une usine verse des produits chimiques dans l’eau du Saint-Laurent, contaminant des milliers d’enfants dans la métropole. On lui doit aussi Les colombes en 1972 ; Parlez-nous d'amour, charge cruelle et virulente contre l’industrie des variétés à la télévision signée par un certain Michel Tremblay ; Éclair au chocolat en 1978, ainsi que le classique jeunesse La grenouille et la baleine, avec la jeune Fanny Lauzier et Marina Orsini, l’une de ses muses.

Après le cinéma, la télévision a été le terrain de jeu de Jean-Claude Lord. Il a réalisé la première saison de la série culte Lance et compte, qui lui a valu un prix Gémeaux, en 1987. Il va révolutionner la façon de tourner des séries sur les plateaux de télé québécois, mais il va aussi être taxé de populisme. « Ce qu’on me reprochait beaucoup ici, au Québec – ma nature américaine, mon style américain –, c’était un atout [pour Lance et compte], explique-t-il aujourd’hui. Mais ça, je ne le savais pas avant », a-t-il confié au micro de Stéphan Bureau en mai 2019.

Dans les années 2000, il signe les nombreuses suites de cette populaire série, écrite par Réjean Tremblay, sur le milieu du hockey professionnel. Il a aussi réalisé Diva, Jasmine, Lobby et Quadra, une dramatique qui a lancé la carrière télé de Maxime Denommée, en 2000.

Plus récemment, le cinéaste a fait quelques longs métrages en anglais, dont le thriller d’épouvante Visiting Hours, mettant en vedette William Shatner et Michael Ironside. Lord a aussi tourné des épisodes de 30 vies et de la première saison de District 31, en 2016.

Les honneurs

En 2017, Jean-Claude Lord a reçu le prix Guy-Mauffette pour l’ensemble de sa carrière, un des prix les plus prestigieux décernés par le gouvernement du Québec à un créateur pour sa contribution remarquable au domaine de l’audiovisuel.

Lors des Gémeaux en 2017, Gabriel Pelletier, président de l’Association des réalisateurs et réalisatrices du Québec, a décrit ainsi l’apport de Jean-Claude Lord au paysage culturel : « Son plus inestimable legs à la vie culturelle québécoise aura été de réaliser des œuvres divertissantes qui, pour la plupart, nous auront également fait réfléchir. »

Durant plus d’un demi-siècle, malgré les obstacles qui se sont dressés devant lui, Jean-Claude Lord s’est toujours battu pour porter à l’écran ses convictions sociales. « Je suis quelqu’un qui sait se battre pour ses idées et qui a réussi à en concrétiser au moins une douzaine, ce qui justifie selon moi près de 55 ans de métier », a-t-il déclaré en novembre 2017, en recevant son Prix du Québec.

Les cérémonies pour commémorer sa vie auront lieu ultérieurement « au moment où les conditions sanitaires pourront se prêter à un rassemblement plus significatif », a écrit son fils Jean-Sébastien sur Facebook.