No Time to Die, Stranger Things, Star Wars : les effets visuels de ces films ou séries ont été conçus à… Montréal. Depuis une dizaine d’années, la métropole est devenue une référence du secteur dans le monde. À quoi doit-elle son expertise ? Décryptage.

Plaque tournante

À l’entrée du studio Rodeo FX, les visiteurs sont accueillis par une vitrine de statuettes dorées. Des Visual Effects Society Awards (les Oscars des effets visuels) et des Emmy, pour lesquels ils ont reçu trois sélections cette année pour WandaVision, The Falcon and The Winter Soldier et Lovecraft Country.

Il y a 15 ans à peine, les locaux de Rodeo FX se limitaient au sous-sol d’un immeuble du Vieux-Montréal. Actuellement, la boîte compte 700 employés répartis entre Québec, Los Angeles, Toronto, Vancouver, Munich et Montréal. On oublie une ville ? « Pour l’instant, non ! », lance Solène Lavigne Lalonde, directrice du marketing et des communications.

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Mikael Damant-Sirois, vice-président VFX opérations, et Solène Lavigne Lalonde, directrice du marketing et des communications chez Rodeo FX

Le succès fulgurant de Rodeo FX est à l’image de sa ville natale. En une petite décennie, Montréal est devenu le troisième hub mondial, après Londres et Vancouver. Des superproductions et des séries à succès, comme Games of Thrones, Shang-Chi et la légende des dix anneaux, The Mandalorian, Arrival, Hunger Games et It, portent la signature d’entreprises locales comme Rodeo FX et Hybride (propriété d’Ubisoft).

D’autres films comme le dernier James Bond, No Time To Die, ont été réalisés dans les studios montréalais de sociétés étrangères.

« Aujourd’hui, il y a fort à parier que la plupart des films et des séries que les gens consomment, même sur les grandes plateformes, sont des projets sur lesquels des artistes québécois ont travaillé », affirme Christine Maestracci, nouvelle PDG du Bureau du cinéma et de la télévision du Québec (BCTQ).

En chiffres, le secteur enregistre une croissance annuelle de 27 % depuis les 10 dernières années, et un volume d’affaires qui surpasse celui des tournages étrangers avec 622 millions de dollars en 2019, selon le dernier rapport du BCTQ.

Une culture de qualité

Qu’est-ce qui fait donc la marque québécoise ? La qualité, la créativité et l’innovation, nous répondent les acteurs du secteur à qui La Presse a parlé.

« La situation géographique et politique du Québec fait en sorte qu’on n’a pas le choix d’innover. On est toujours comparés à des compagnies qui ont beaucoup plus de budget que nous. Il faut être très imaginatif pour avoir la même qualité que nos compétiteurs », atteste Pierre Raymond, cofondateur d’Hybride, première société en effets visuels au Québec.

IMAGE FOURNIE PAR LUCASFILM

Image du film Star Wars : L’ascension de Skywalker, dont les effets visuels ont été en partie réalisés chez Hybride

La boîte, qui souffle cette année ses 30 bougies, était la première à faire le pont avec Hollywood avec des productions de série B comme la saga jeunesse Spy Kids, 300 et Sin City. À Los Angeles, le mot se passait à propos de cette petite boîte de gaulois, nichée dans la forêt des Laurentides, qui faisait des miracles avec presque rien.

« Hollywood ne va jamais payer moins cher pour des effets visuels s’il y a un risque au niveau de la qualité. Ce qu’ils peuvent faire, c’est acheter plus d’effets visuels pour le même montant, mais ils ne vont jamais lésiner sur la qualité », poursuit Pierre Raymond.

Faire plus avec moins, c’est la spécialité québécoise, ajoute le professeur à l’École des arts numériques, de l’animation et du design François Lord. Ça, et sa culture de qualité.

« On a une habitude de qualité au Québec en télévision et au cinéma, qui n’existe pas nécessairement ailleurs. Si tu veux faire une publicité ou un film et que tu veux aller rejoindre les gens, t’es obligé de mettre un certain niveau de qualité, sinon les Québécois ne seront pas intéressés », argue-t-il.

De Los Angeles à Londres

Le Québec n’a pas toujours été au centre de l’échiquier mondial. À leurs débuts, les activités liées au secteur des effets visuels se concentraient en Californie, affirme François Lord. « Quand je suis sorti de l’école, il fallait aller à Los Angeles si on voulait travailler sur de gros films », se souvient François Lord, qui a aussi travaillé chez Rodeo FX.

Puis, avec la saga Harry Potter, les emplois et les projets se sont déplacés vers Londres, qui a vu naître les géants Framestore, Double Negative et MPC. Montréal était le pied-à-terre idéal pour ces entreprises d’envergure anglaises qui souhaitaient s’étendre de l’autre côté de l’Atlantique. La métropole offre des crédits d’impôt parmi les meilleurs au monde. La qualité de sa formation fournit une main-d’œuvre abondante, et le coût de la vie somme toute bas attire les talents étrangers.

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Des concepteurs de rendu graphique 3D chez Rodeo FX

Aujourd’hui, les artistes québécois n’ont plus à s’expatrier pour décrocher des contrats intéressants. La crème des productions passe par les studios de Montréal.

En 2021, le BCTQ a recensé 6250 emplois dans le secteur des effets visuels et de l’animation au Québec. Et d’ici 2023, on prévoit un apport de 3000 employés supplémentaires pour répondre à la demande, qui ne se dément pas.

Prochain pôle mondial ?

Après un recul en 2020, la pandémie ayant mis un frein aux tournages, le secteur reprend de plus belle, affirme Christine Maestracci. Et il est fort à parier que Montréal deviendra le premier pôle mondial.

Hybride a récemment ajouté trois titres à son portfolio : The Book of Boba Fett, Invasion et Jurassic World : Dominion. Rodeo FX planche lui aussi sur d’importants projets (dont la quatrième saison de Stranger Things) qui verront prochainement le jour.

« Il y a un foisonnement du secteur des effets visuels au Québec. Nous avons créé toutes les conditions pour avoir un secteur extrêmement solide et qui s’est positionné de façon exceptionnelle à l’international. Maintenant, il faut maintenir cet écosystème et lui permettre d’aller encore plus loin », conclut Christine Maestracci.