Sa composition électrique dans Red Rocket, le nouveau film de Sean Baker, lui a valu de figurer parmi les plus sérieux candidats au prix d’interprétation du Festival de Cannes. Pourtant, rien ne prédestinait Simon Rex à devenir un jour un acteur qu’on célébrerait dans les plus hautes sphères du cinéma d’auteur. Entretien avec un homme qui compte garder les pieds bien sur terre.

Il n’a jamais pensé devenir acteur un jour. En fait, l’idée ne lui aurait jamais traversé l’esprit, n’eût été Gus Van Sant. En 1996, alors VJ au réseau MTV, Simon Rex s’est présenté à une audition, à l’invitation du réalisateur de My Own Private Idaho.

« Ça fait 25 ans de cela, pouvez-vous le croire ? s’étonne celui qui tient aujourd’hui la vedette dans Red Rocket, le nouveau long métrage de Sean Baker (The Florida Project). Gus a voulu me voir à l’époque parce qu’il envisageait de peut-être m’offrir un petit rôle dans Good Will Hunting, raconte Simon Rex au cours d’un entretien en visioconférence accordé à La Presse.

« Il m’a convoqué, je me suis présenté, j’ai livré quelques répliques avec Matt Damon, mais Gus a tout arrêté assez rapidement. Il m’a dit que je n’étais pas prêt à exercer ce métier, que si je voulais devenir un acteur un jour, il me fallait aller étudier. Même si je n’avais jamais joué de ma vie auparavant, il estimait que je devrais aller dans cette direction parce qu’il détectait chez moi un je-ne-sais-quoi. C’est ce que j’ai fait. »

Sans Gus Van Sant, je ne serais pas en train de vous parler aujourd’hui.

Simon Rex

Un monde brutal

Dans Red Rocket, le premier film dans lequel on lui a confié un rôle principal, Simon Rex, qu’on a vu notamment dans Scary Movie 3 et 4, incarne une tête d’affiche du cinéma porno sur le retour qui, après avoir vécu quelques années à Los Angeles, glanant même au passage quelques trophées attribués aux meilleures performances du genre, est forcé de revenir dans son bled perdu du Texas. Sans le sou, cohabitant avec son ancienne femme et la mère de cette dernière, l’homme utilise tous les moyens à sa disposition pour essayer de s’en tirer.

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Simon Rex (à gauche) dans une scène de Red Rocket, un film de Sean Baker

Campant son intrigue au moment où s’amorçait la campagne présidentielle de 2016, Sean Baker brosse le portrait de gens coincés dans un monde brutal, qui doivent mesurer toutes les options possibles pour arriver à survivre dans une société qui ne leur laisse guère de chance. Mikey Saber, le personnage qu’incarne Simon Rex, fait partie de ces individus dotés d’un charisme parfois salutaire, mais qui n’en sont pas moins insupportables tant ils semblent toujours choisir la pire chose à faire. Jusqu’au jour où le charme ne suffit plus.

« J’ai essayé de faire en sorte que malgré les actions de Mikey, toutes horribles, le spectateur puisse quand même éprouver assez de sympathie pour avoir envie de le suivre pendant deux heures, souligne Simon Rex. Cet équilibre était difficile à trouver et constituait l’un des nombreux défis à relever. Ayant toujours travaillé en comédie, il est certain qu’un rôle dramatique était nouveau pour moi. Il me fallait jouer vrai, être vulnérable, aller dans la nuance et la subtilité, parce que la caméra capte vraiment tout. C’était vraiment un défi. Ça, et courir tout nu dans un quartier plus ou moins malfamé ! »

Une approche très crue

À ce chapitre, Red Rocket a été conçu dans un contexte particulier. Simon Rex était chez lui, retiré dans le désert de Mojave en Californie, quand on lui a signalé que Sean Baker tentait de le joindre. En ce mois de juin 2020, le monde était alors plongé dans l’incertitude engendrée par la pandémie. L’acteur n’avait aucun projet en vue.

« Sean m’a fait faire sur-le-champ une audition sur mon téléphone. Il m’a dit : “OK, j’ai besoin de toi au Texas dans trois jours. Comme on ne peut pas vraiment voyager en avion, qu’il y aura une quarantaine à observer, on va te louer une voiture, voici le scénario.”

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Une scène tirée de Red Rocket, un film de Sean Baker

« J’ai dit oui avant même de lire parce que je n’étais vraiment pas en mesure de refuser un film de Sean Baker, poursuit-il. Quand j’ai lu le script, je me suis dit : “Holy shit, c’est vraiment beaucoup !” Mon personnage est là du début à la fin et il porte toute l’affaire sur ses épaules. C’était intimidant, mais comme j’étais déjà en route vers Texas City… »

Simon Rex s’est ainsi retrouvé sur le plateau d’une œuvre cinématographique indépendante, écrite et réalisée par un cinéaste réputé, dont les œuvres sont très appréciées des cinéphiles. Ce fut l’une des expériences les plus marquantes de sa vie.

« C’était chaotique et parfois stressant, explique-t-il. On a souvent tourné en mode guérilla, sans permis, en se cachant de la police et des voisins. J’ai aimé cette sensation, cette approche très crue. Je préfère ça aux projets où quelqu’un t’attend avec un parapluie pour te protéger du soleil quand tu sors de ta roulotte. J’aime mieux rester aux aguets dans un climat plus réaliste, sans artifice, sans aucun luxe. »

À mes yeux, le confort est souvent l’ennemi de l’art.

Simon Rex

Un tournant

Depuis la présentation de Red Rocket au Festival de Cannes, où il était en lice pour la Palme d’or, la vie de Simon Rex n’est plus tout à fait la même.

PHOTO REINHARD KRAUSE, ARCHIVES REUTERS

Simon Rex était présent au 74e Festival de Cannes pour accompagner la présentation de Red Rocket. Le film de Sean Baker était en lice pour la Palme d’or.

« C’est un sentiment très étrange, car avec ce succès, le regard des autres change. Tu te demandes si les gens qui t’entourent soudainement sont sincères, qui sont les vrais amis, si la personne en face de toi t’aime pour ce que tu es ou pour ce que tu représentes. Comme je suis dans une période assez faste, mon téléphone ne dérougit pas. On veut maintenant me fréquenter, alors qu’à l’époque où je ne travaillais pas, j’étais tout fin seul. Tout ça pour dire que je ne viens pas d’un milieu hollywoodien du tout. Et c’est bien tant mieux. »

Cette nouvelle notoriété donne cependant l’occasion à l’acteur de pouvoir faire, pour la première fois en 20 ans, de vrais choix professionnels.

« Dans ce métier, on s’estime habituellement chanceux de décrocher un rôle dans un film de merde qu’on n’oserait pas regarder soi-même. Là, je peux envisager l’avenir avec confiance et choisir des projets que j’aurais vraiment envie de voir en tant que spectateur. N’est-ce pas merveilleux ? Puis-je aussi ajouter que Montréal est ma ville favorite en Amérique du Nord ? J’ai eu la chance d’aller chez vous en tournée avec mon personnage de rapper Dirt Nasty. Chaque fois que j’y vais, c’est le même enchantement et je ne veux plus repartir ! »

Red Rocket (Fusée rouge, en version française) est en salle.