Soixante ans après le triomphe d’une adaptation cinématographique passée à l’histoire, la mythique comédie musicale West Side Story part à la conquête d’un nouveau public, cette fois sous l’égide de Steven Spielberg. Respect et authenticité sont les mots d’ordre ayant guidé les artisans de cette nouvelle mouture qui, déjà, suscite des éloges.

Quand la comédie musicale West Side Story a été créée sur scène à Broadway en 1957, l’accueil fut très favorable, mais pas dithyrambique. Ce n’est qu’au moment où, quatre ans plus tard, elle fut adaptée au cinéma qu’elle est entrée dans la légende. Réalisée par Robert Wise et Jerome Robbins – ce dernier avait aussi signé la mise en scène et les chorégraphies du spectacle sur scène –, cette libre transposition de Roméo et Juliette dans les rues de New York a aussi mis en valeur les inoubliables chansons signées Stephen Sondheim et Leonard Bernstein. Lauréat de 10 Oscars, ce film est depuis longtemps classé parmi les grands chefs-d’œuvre du cinéma.

« Steven [Spielberg] m’a demandé quelque chose de complètement fou ! », a déclaré le scénariste Tony Kushner (Angels in America) lors d’une conférence de presse virtuelle tenue mardi, à laquelle ont aussi participé le cinéaste Steven Spielberg ainsi que l’actrice Rita Moreno. « West Side Story est un tel chef-d’œuvre que j’avais du mal au départ à concevoir comment on pourrait s’y prendre. »

Tous les artisans impliqués dans le projet avaient bien conscience de s’aventurer en terre sacrée, y compris Steven Spielberg. Ce dernier, qui entretenait l’idée de porter West Side Story à l’écran depuis longtemps, estimait cependant qu’une œuvre aussi importante devait être présentée à un nouveau public, à la manière des grandes pièces classiques au théâtre, d’autant que les thèmes abordés dans cette tragédie moderne – racisme, gangs de rue, violence urbaine – sont toujours actuels. Aussi les artisans ont-ils rapidement pris la décision de maintenir l’histoire dans les années 1950 plutôt que de la transposer à notre époque.

« Il n’y a rien de daté dans la musique de Leonard Bernstein ni dans les paroles de Stephen Sondheim », fait remarquer Tony Kushner, qui a en outre déjà signé les scénarios de Munich et de Lincoln, deux des films précédents du cinéaste.

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Ansel Elgort et Rachel Zegler sont les Tony et Maria de cette nouvelle adaptation cinématographique de West Side Story, réalisée par Steven Spielberg.

Souci d’authenticité

Même si les quartiers dans lesquels les Jets, anglo-saxons, et les Sharks, portoricains, se disputaient les territoires ont été complètement transformés, Steven Spielberg indique qu’il existe néanmoins assez d’endroits à New York, dans le Bronx, dans Queens et à Brooklyn notamment, où les immeubles conservent leur allure d’époque.

« Il m’importait de rechercher l’authenticité, assure-t-il. Autant sur le plan de la distribution – je ne voulais pas d’acteurs de 30 ans qui jouent des jeunes – que du décor dans lequel ils évoluent. Il n’y a pratiquement pas d’effets numériques dans ce film. En fait, nous avons dû effacer les climatiseurs, les antennes paraboliques et les barreaux dans les fenêtres à l’ordinateur, mais c’est à peu près tout. On a aussi dû faire disparaître la sueur sur les vêtements des danseurs parce que le tableau America a été tourné en pleine canicule. La chaleur était insupportable ! »

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David Alvarez reprend le rôle de Bernardo dans cette nouvelle adaptation cinématographique de West Side Story, réalisée par Steven Spielberg.

Ce souci d’authenticité se reflète également dans le choix des acteurs, dont l’origine ethnique, contrairement à la version d’il y a 60 ans, correspond à celle des personnages. Rachel Zegler (Maria), Ansel Elgort (Tony), Ariana DeBose (Anita) et David Alvarez (Bernardo) reprennent les rôles créés au grand écran par Natalie Wood, Richard Beymer, Rita Moreno et George Chakiris. La langue de Cervantes est aussi beaucoup plus présente. Ces passages ne sont d’ailleurs pas sous-titrés.

« Quand ils se retrouvent dans la sphère privée, les personnages passent de l’anglais à l’espagnol, explique le cinéaste. Quand elle est en public, Anita demande pourtant à tous de parler anglais pour plaire aux New-Yorkais et mieux s’assimiler. Il aurait été irrespectueux selon moi de traduire une langue qui existe par elle-même. J’aime aussi l’idée que puissent se côtoyer dans une même salle des spectateurs anglophones et hispanophones, qui ne réagiront peut-être pas de la même façon aux mêmes endroits. »

Rita Moreno passe le flambeau

Deux des artisans de la première version cinématographique sont de la nouvelle aventure. Stephen Sondheim, tristement disparu le 26 novembre dernier à l’âge de 91 ans, fut d’ailleurs le premier à qui Steven Spielberg a fait part de son projet. Le légendaire artiste, qui a écrit les paroles des chansons de West Side Story à l’âge de 24 ans, s’est beaucoup impliqué.

« Je connaissais déjà Stephen parce que j’ai produit Sweeney Todd, le film de Tim Burton inspiré de sa comédie musicale, rappelle le réalisateur d’E.T. Dès que j’ai pu obtenir les droits de West Side Story, je l’ai contacté. Quand nous avons enregistré les chansons en studio en vue du tournage, il a été à mes côtés pendant trois semaines, cinq jours par semaine. Quel honneur que d’avoir pu travailler avec lui ! »

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Soixante ans après avoir obtenu l’Oscar de la meilleure actrice de soutien grâce à sa performance dans la première adaptation cinématographique de West Side Story, Rita Moreno est de retour dans cette nouvelle mouture de la célèbre comédie musicale, réalisée par Steven Spielberg.

Rita Moreno, qui célébrera ses 90 ans le 11 décembre, a aussi été mise à contribution à la faveur d’un rôle spécialement créé pour celle qui, en 1961, a incarné la fougueuse Anita à l’écran. D’origine portoricaine, elle était d’ailleurs la seule actrice latino-américaine au sein d’une distribution où les acteurs blancs étaient maquillés pour faire croire aux origines portoricaines de leurs personnages.

Quand le scénariste Tony Kushner a parlé du projet à son conjoint, ce dernier lui a tout de suite donné l’idée de supprimer le personnage de Doc, propriétaire du resto où se retrouve le gang des Jets, et de le remplacer par un nouveau personnage féminin qu’incarnerait Rita Moreno. Valentina se retrouve ainsi à intervenir dans l’une des scènes les plus dures du récit, celle où Anita se fait agresser et passe tout près de se faire violer.

« J’aurais aimé être encore jeune pour pouvoir incarner Anita encore, mais l’idée de passer le flambeau me plaît beaucoup, a déclaré l’actrice. On m’a écrit une scène magnifique, mais j’avoue avoir eu un sentiment étrange en la jouant. Ça me faisait tout drôle de donner la réplique à Ariana dans une scène que j’avais déjà jouée moi-même. Je savais aussi à quel point cette scène était difficile pour elle. »

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Lors de la première de West Side Story, tenue le 29 novembre au Rose Theater du Lincoln Center à New York, Steven Spielberg était entouré des actrices Ariana DeBose et Rachel Zegler.

Faire l’histoire aux Oscars ?

Si jamais les rumeurs se confirment, il se pourrait que Rita Moreno, lauréate de l’Oscar de la meilleure actrice de soutien en 1962 grâce à sa performance dans le rôle d’Anita, soit de nouveau en lice à la prochaine cérémonie des Oscars. Auquel cas l’actrice battrait quelques records. En plus d’être la plus âgée à être citée en 94 ans d’histoire, Rita Moreno serait la première actrice latino-américaine à être citée deux fois. Elle pulvériserait en outre le record établi par Katharine Hepburn, alors que 60 ans sépareraient sa première nomination de sa dernière (48 ans pour mademoiselle Hepburn). Steven Spielberg pourrait de son côté obtenir une 12e combinaison « meilleur film et meilleur réalisation » en carrière et s’approcher ainsi de William Wyler, toujours au sommet avec ses 13 combinaisons pour un même film dans ces deux catégories.

West Side Story prendra l’affiche le 10 décembre