Elle touche à la peinture, à la sculpture, à l’installation, à la vidéo, au court métrage et au documentaire. Avec Bootlegger, présenté ce mercredi en ouverture du 50e Festival du nouveau cinéma (FNC), Caroline Monnet ajoute le long métrage de fiction à son CV. Rencontre.

Peu importe la matière, les textures, les couleurs. Peu importe le médium employé, l’artiste Caroline Monnet revient toujours vers les mêmes thématiques au cœur de sa création : le sort des communautés autochtones, avec un désir de créer des ponts avec les allochtones.

« Les politiques d’assimilation dans les communautés autochtones ont toujours été liées à ma pratique, dit-elle avec franchise et chaleur. Dans toutes mes œuvres, j’explore les conséquences des politiques agressives du gouvernement. Je m’intéresse à l’idée de ce qui est légué d’une génération à l’autre, les traumatismes intergénérationnels, la dépossession de la culture, de la langue, du territoire. »

C’est aussi le cas dans Bootlegger, son premier long métrage dont l’histoire est centrée sur la vente d’alcool dans les communautés, un sujet très délicat.

De retour dans sa communauté autochtone où elle poursuit des recherches de maîtrise, Mani (Devery Jacobs) tombe en plein débat référendaire. Deux clans s’affrontent : ceux voulant une vente libre et encadrée d’alcool et ceux appuyant Laura (Pascale Bussières), trafiquante blanche sans scrupule qui a ses alliés au conseil de bande.

En entrevue, Caroline Monnet s’attarde à l’effet miroir entre les deux femmes et aux sentiments, ambivalents, d’appartenance liant chacune d’elle à leur entourage.

« Mani vient de la communauté, mais elle est partie, alors que Laura ne vient pas de celle-ci, mais y habite depuis quelques années, soulève-t-elle. Laura parle algonquin, les gens la connaissent et une routine s’est installée dans son quotidien. Dans le cas de Mani, elle revient, les gens ne la reconnaissent pas nécessairement et la langue est une barrière. Donc, cette idée d’appartenance, d’ancrage, est nuancée et complexe. »

De là à demander à Caroline Monnet, née d’une mère anishinaabemowin (algonquine) dans la communauté de Kitigan Zibi, en Outaouais, et d’un père français, si elle se reconnaît en Mani, il n’y avait qu’un pas.

Bootlegger n’est pas autobiographique. Mais c’est sûr qu’il y a un peu de moi au niveau de ce personnage qui est incapable de parler sa langue traditionnelle, de faire un retour à la communauté et de travailler pour se sentir acceptée.

Caroline Monnet

À l’image de Mani, Caroline Monnet a « un pied entre deux mondes ». Elle n’est pas née dans la communauté de sa mère, mais elle y retourne. C’est là qu’elle a tourné le film. Elle apprend la langue, la grammaire algonquines. Son désir d’en connaître plus sur ses propres racines est vif.

Dans ce premier long métrage, le territoire constitue une grande force d’attraction. La cinéaste filme ce territoire maternel en hauteur, à différents moments de l’année et en faisant des allers-retours entre le village et la forêt.

« Il m’était important de tourner où sont mes racines, ma famille, dit-elle. Tourner ailleurs n’avait pas de sens. Et il m’importait que ce territoire devienne un personnage. Dans la culture autochtone, tout est lié à d’où on vient : l’identité, la langue, la culture. Donc, dans le récit, je voulais que la quête de Mani soit liée à ce territoire qui pleure, se lamente et s’enrage. Un territoire en forme de battement de cœur. »

PHOTO FOURNIE PAR MK2 | MILE END

Scène de Bootlegger

« Une belle reconnaissance »

Le film, on l’a écrit plus haut, ouvre le FNC. Un grand honneur, dit Mme Monnet. « Le FNC a été important dans la diffusion de mes œuvres antérieures, rappelle-t-elle. [Les organisateurs du FNC] ont présenté mes films, m’ont invitée à faire une carte blanche et à créer l’affiche d’une de leurs éditions. Par ailleurs, je les trouve audacieux d’ouvrir le festival avec un premier long métrage d’une réalisatrice autochtone. C’est une belle reconnaissance. »

Cela dit, Caroline Monnet est maintenant une artiste établie, reconnue, demandée. L’entrevue s’est ainsi faite entre la fin d’une exposition au Musée des beaux-arts de Montréal et un voyage éclair en France pour un autre projet. Créer vient-il avec une responsabilité de performance ? Des attentes élevées ?

« La responsabilité vient avec le travail du fait qu’il y a encore tellement d’ignorance, tellement d’incompréhension et de faussetés entre allochtones et Autochtones, dit-elle. À travers ma pratique, j’espère créer des ponts, sensibiliser à des réalités qui me touchent personnellement. »

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Quant à la créativité, pas de souci. Caroline Monnet sent toujours les idées de nouvelles œuvres se bousculer dans son esprit. Oui, il y a des attentes, notamment quand un projet comme le sien est présenté dans les marchés et les institutions de financement. Mais l’artiste réclame le droit à l’erreur.

« Il faut se permettre d’apprendre sur le tas, d’être assez brave pour faire des choses qu’on ne connaît pas, de se lancer dans l’inconnu. J’ai juste le goût de continuer d’avancer et j’ai déjà le goût de faire un deuxième long métrage. »

Bootlegger est le film d’ouverture du Festival du nouveau cinéma (FNC) le 6 octobre. Il sera présenté en salle dès le 8 octobre