L’œuvre de Denis Villeneuve sortie en 2000 sera accessible en ligne en haute définition

L’organisme Éléphant – mémoire du cinéma québécois a récemment terminé la restauration du film Maelström de Denis Villeneuve, et celui-ci deviendra accessible sur des plateformes de diffusion après une présentation de la version en haute définition le mardi 26 octobre à la Cinémathèque québécoise, a appris La Presse.

« Ça me touche sincèrement que Dominique Dugas [directeur général d’Éléphant] ait orchestré cette restauration qui, à mon grand bonheur, a été faite par le directeur photo du film, André Turpin, et le coloriste de grand talent Jérôme Cloutier », a indiqué Denis Villeneuve dans une entrevue réalisée lundi matin.

Le cinéaste, qui a vu et approuvé la version restaurée, a rappelé qu’une des particularités du film tient à sa colorisation et que la transposition de la copie 35 mm au numérique ne s’est pas faite comme par magie.

« Nous avions joué dans le négatif, fait des choses peu orthodoxes [rires] pour arriver à créer un effet visuel que nous avions vraiment adoré, se rappelle-t-il. L’image était très contrastée. Les bleus se détachaient et étaient presque en trois dimensions sur l’écran. Il y avait un bleu qu’on – nous, en tout cas – n’avait jamais vu avant au cinéma. André a travaillé fort pour retrouver ces qualités esthétiques. »

Joint par La Presse quelques minutes plus tard, André Turpin a qualifié les images de Maelström de saturées, granuleuses, contrastées et vibrantes. « Le bleu du film a été très difficile à recréer. Nous y sommes parvenus en utilisant des appareils de colorisation numérique », dit-il.

On a travaillé en utilisant l’effet papillon, en projetant le film sur grand écran avec une moitié en 35 mm et l’autre en numérique. La nouvelle image est plus lisse, plus propre, mais elle se rapproche dangereusement de l’originale.

André Turpin

Denis Villeneuve a maintes fois dit, et l’a rappelé lundi, qu’en dépit de l’accueil très positif reçu à sa sortie en 2000, il a vécu un rapport conflictuel avec ce film et a pris ses distances du cinéma durant quelques années par la suite. Or, les retrouvailles, au moment de l’approbation de la version restaurée, se sont bien passées.

« Je redoutais un peu ce moment-là, dit-il. Je ne savais pas comment j’allais me sentir. Ce qui m’a touché est que ça m’a pris 20 ans pour recevoir le film pour ce qu’il est. »

Et de revoir la performance de Marie-Josée Croze dans le rôle principal de Bibiane l’a soufflé, comme au moment de la sortie du film. « J’étais déjà très fier de son jeu à l’époque, mais j’éprouvais de la difficulté à entrer en relation avec le film. En le regardant de façon détendue, j’ai pu recevoir toute la puissance de son jeu, très juste et en finesse. Je lui ai spontanément écrit pour lui dire, 20 ans plus tard, merci à nouveau. »

En marge de Dune

Mettant en vedette Marie-Josée Croze, Jean-Nicolas Verreault et Pierre Lebeau (la voix du poisson), Maelström suit le parcours de Bibiane Champagne, jeune femme d’affaires issue d’une famille aisée qui, à la suite d’un avortement, tente de s’étourdir dans les plaisirs. Un soir, elle frappe mortellement un piéton avec sa voiture. Sa rencontre avec le fils de la victime va la marquer à jamais.

PHOTO TIRÉE DU SITE IMDB

Marie-Josée Croze et Jean-Nicolas Verreault dans Maelström

Chez Éléphant, Dominique Dugas explique que pour envoyer un film sur les plateformes de diffusion en continu, il faut le numériser. Ce n’était pas encore le cas de Maelström.

« Toutes les copies existantes sont en 35 mm ou sur un support vidéo en version standard, dit-il. Autrement dit, pas en haute définition (HD). Comme les télés et les plateformes ne présentent plus de films en format standard parce que les gens sont habitués à la HD, les œuvres non numérisées sont pratiquement introuvables. »

PHOTO MARK BLINCH, REUTERS

Denis Villeneuve a présenté Dune à Toronto samedi dernier.

L’arrivée du film sur les plateformes de diffusion en ligne survient en même temps que la sortie de Dune, nouveau long métrage de Villeneuve lancé à la Mostra de Venise. Ce n’est pas une coïncidence. Le réalisateur québécois est demandé et les cinéphiles sont curieux de connaître ce qu’il a fait dans le passé. Maelström était le seul film du cinéaste à ne pas être offert.

Après la présentation du 26 octobre, le film s’inscrira dans l’offre de location de Vidéotron (Illico, Hélix) ainsi que sur iTunes et AppleTV. Éléphant a l’exclusivité de la distribution au Canada. Max Films, qui avait produit le film à l’époque, profite de la version Éléphant pour une distribution à l’international avec la collaboration de l’agrégateur h264. Le film sera alors sur la plateforme Mubi et autres diffuseurs à annoncer en octobre.

Rappelons que plus tôt cette année, La Presse avait dévoilé que h264 avait ajouté plusieurs œuvres de Max Films à son catalogue d’agrégation, dont Un 32 août sur terre de Villeneuve ainsi que le film collectif Cosmos (dont Villeneuve faisait partie), Jésus de Montréal de Denys Arcand et La grande séduction de Jean-François Pouliot.

Organisme philanthropique entièrement financé par Québecor, Éléphant a été fondé en novembre 2008 par Claude Fournier et Marie-Josée Raymond. Ces derniers ont dirigé l’organisme jusqu’à l’arrivée de Dominique Dugas, devenu directeur général le 1er janvier 2019.

À ce jour, Éléphant a restauré 208 films et en abrite 30 autres restaurés par l’ONF sur sa plateforme. L’organisme se concentre sur la restauration de longs métrages de fiction, à une exception, la série documentaire Le son des Français d’Amérique de Michel Brault et André Gladu en raison de sa valeur patrimoniale.

Le parcours de Maelström

Présenté en première mondiale au Festival des films du monde en 2000, Maelström y a remporté deux prix, soit ceux du meilleur film canadien (prix du public) et de la meilleure contribution artistique. Il a par la suite connu un parcours enviable, étant présenté dans différents festivals, dont le Festival international du film de Toronto (TIFF), le festival Sundance et la Berlinale, où il a été couronné du prix FIPRESCI de la critique internationale. « Roger Frappier avait réussi un tour de force à l’époque en convainquant les gens du TIFF de mettre le film en ouverture de la section Perspectives Canada, se rappelle Denis Villeneuve. Normalement, un film ayant été vu dans un autre festival n’avait pas ce privilège. Or, le film est vraiment venu au monde à Toronto. Il avait été bien reçu à Montréal, mais il a eu des vagues d’amour à Toronto. C’est là qu’on a senti qu’il avait un potentiel fort. » Produit par Max Films (Roger Frappier et Luc Vandal), Maelström a par la suite remporté cinq prix au gala des GENIE et huit (sur huit sélections) au troisième gala des Jutra en 2001. Il avait été désigné pour représenter le Canada au gala des Oscars de 2001, mais n’avait pas été sélectionné parmi les finalistes.

Des défis variés d’une œuvre à l’autre

Depuis sa création, Éléphant s’emploie à restaurer les longs métrages de fiction québécois. Selon ces standards, quelque 800 films sont admissibles à une restauration. Or, indique le directeur général Dominique Dugas, les défis sont variés d’une œuvre à l’autre.

« D’un point de vue technique, on doit travailler sur trois plans pour faire passer un film en haute définition : la lumière et la couleur, la restauration numérique ou, autrement dit, effacer les traces de détérioration de la pellicule, et le son », résume-t-il. Dans cet aspect, le travail est confié au laboratoire des studios MELS.

À cela s’ajoute la question des droits, qui constitue en fait la première étape à franchir.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Dominique Dugas, directeur général de l’organisme Éléphant – mémoire du cinéma québécois

Ça peut être la croix et la bannière. Des compagnies ayant fermé au fil des ans, il faut retrouver les ayants droit qui ne sont pas nécessairement dans le milieu, établir des licences, etc. Ce sont les services légaux de Québecor qui s’en occupent.

Dominique Dugas, directeur général d’Éléphant – mémoire du cinéma québécois 

La question des droits s’étend à la musique. Quand les droits d’utilisation de pièces musicales n’ont pas été acquittés à perpétuité, il faut signer de nouveaux accords.

Le meilleur exemple est C.R.A.Z.Y. de Jean-Marc Vallée, à la très riche trame sonore avec des œuvres de Pink Floyd, Charles Aznavour, The Cure et Jefferson Airplane. À ce jour, le film n’est pas offert sur les plateformes, ces droits n’ayant pas été renouvelés. Mais joint par La Presse en fin d’après-midi lundi, le producteur du film, Pierre Even, a indiqué que des changements seraient annoncés sous peu. Un dossier à suivre !

Yes Sir ! Madame

Récemment, Éléphant a mis en ligne la version restaurée du film Yes Sir ! Madame de Robert Morin. « Depuis que je suis en poste, ce fut le cas le plus complexe », indique Dominique Dugas.

Tourné sur une période de 15 ans avec une caméra Bolex 16 mm, le film a été post-produit et distribué sur une bobine ¾ de pouce. « En le restaurant, je pensais utiliser le matériel ¾ de pouce, mais les gens de la maison de production Coop Vidéo avaient retrouvé les bandes originales 16 mm, raconte Dominique Dugas. Elles étaient en très bon état, mais à l’état de rushes. On a donc remonté le film pour se rendre compte que nous n’en avions que les deux tiers ! »

PHOTO TIRÉE DU SITE D’ÉLÉPHANT

Yes Sir ! Madame

Le tiers manquant a donc été pris sur les bandes ¾, mais comme la qualité n’est pas la même d’un format à l’autre, il a fallu dégrader correctement la qualité de la pellicule dans les raccords avec les segments vidéo.

Il a par conséquent fallu aussi recalibrer la coloration entre les deux sources.

Les prochains films restaurés par Éléphant qui seront lancés cet automne sont La vie rêvée de Mireille Dansereau et La femme qui boit de Bernard Émond.