(Paris) Près de 50 ans après sa diffusion initiale, la série culte d’Ingmar Bergman Scènes de la vie conjugale, qui autopsiait les déchirements d’un couple bourgeois, devient sous la baguette du maestro des séries Hagai Levi Scenes from a Marriage.

Porté par le couple hollywoodien Jessica Chastain/Oscar Isaac, ce remake très attendu, présenté à la Mostra de Venise, sera diffusé dès dimanche sur HBO aux États-Unis.

La série originale de Bergman, encensée par la critique, explorait en 1973 au cours de six épisodes l’intimité d’un couple bourgeois suédois qui, en se séparant, faisait jaillir les non-dits, la frustration sexuelle et la cruauté de sa relation.

Une œuvre marquante pour le scénariste et réalisateur israélien Hagai Levi (Betipul/En thérapie, The Affair, Our boys) qui l’a découverte à 18 ans dans un kibboutz alors qu’il étudiait dans une école religieuse juive.

« Ces gens qui se parlaient de manière si brutale et franche, parfois avec amour, je n’avais jamais vu cela chez moi. J’étais choqué. Et je suis revenu chaque semaine » pour voir un épisode, a-t-il relaté lors du festival Séries Mania à Lille.

Cette admiration pour la série a conduit le fils d’Ingmar Bergman à lui demander de revisiter l’œuvre de son père.

Une fois le projet entre les mains, l’auteur bloque dans son écriture pendant sept ans, explique-t-il. Paralysé par la version de Bergman qui campait une femme « victime, vers qui va toute notre empathie » et un homme « froid, misogyne, un gros con ».

« Ça a été un obstacle pendant longtemps et à partir du moment où j’ai inversé les genres, tout s’est mis en place parce que c’est devenu plus moderne », poursuit-il.

L’épouse écrasée par son mari dans la version originale est devenue Mira (Jessica Chastain), une cadre dirigeante en pleine ascension, mieux payée que son mari, engoncée dans son mariage et dans son rôle de mère.

En face son mari universitaire, Jonathan (Oscar Isaac, déjà en duo avec Chastain dans A Most Violent Year) campe un homme moderne qui travaille une majeure partie du temps à domicile pour s’occuper de leur fillette tout en semblant satisfait de ce « partenariat ».

Jusqu’à ce que cette belle unité apparente vole en éclats…

Tournage éprouvant

PHOTO JOEL C RYAN, ASSOCIATED PRESS

Hagai Levi

La série de Bergman « est beaucoup plus violente que celle que j’ai faite », estime Hagai Levi, qui a coécrit et réalisé les cinq épisodes de 55 minutes.

Bergman est « allé dans des endroits où l’on perd l’empathie » pour le couple. « Je ne pouvais faire cela, je ne suis pas bon là-dedans », détaille le scénariste. « J’ai voulu que l’empathie aille vers eux deux alternativement ».

Pour autant le tournage — effectué en temps de COVID-19 — s’est révélé « très spécial » pour tous, souligne le réalisateur.

« On a tourné les scènes dans l’ordre chronologique, ce qui a affecté la relation (des acteurs) ». Au fil de l’histoire, « ils n’étaient plus aussi sympas entre eux, ils sont entrés dedans », se souvient-il, évoquant une fois une Jessica Chastain en pleurs hors caméra.

Selon le duo d’acteurs, en conférence de presse à Venise, leur amitié de longue date a permis de mieux encaisser les montagnes russes émotionnelles de ce huis clos intimiste oscillant entre amour et haine.

« J’avais l’impression que dans ce travail, il n’y avait aucun moment de calme », a rapporté Jessica Chastain. « Nous en sommes arrivés au point où nous lisions dans les pensées de l’autre et je me disais : “Sors de ma tête ! ” »

Là où Bergman a voulu parler « du prix du mariage et comment cette institution tue l’amour », « j’ai voulu comprendre le mécanisme de la séparation », expose Hagai Levi.

« Notre culture encourage les gens à aller de l’avant, à trouver une vie meilleure, mais on ne parle pas assez de la difficulté à mettre fin à l’amour ».

« J’ai ressenti le besoin de dire non pas à quel point le mariage est horrible, mais à quel point la séparation (l’)est parce qu’il y a un prix à payer pour les autres, pour soi-même, c’est un évènement traumatisant ».