(Venise) Trois films présentés au festival de Venise dressent un tableau choc de l’Ukraine, ce pays aux confins de l’Europe gangrené par la corruption et déchiré depuis 2014 par un conflit avec les séparatistes soutenus par la Russie.

Guerre de « Tranchées »

Avec Tranchées, un documentaire présenté hors compétition, le journaliste de guerre français Loup Bureau suit au plus près le conflit dans la région du Donbass, où les soldats ukrainiens affrontent les séparatistes soutenus par la Russie. Ce voyage cinématographique immerge les spectateurs dans la rudesse de guerres de position dignes de 14-18 dans ce qui est considéré comme le conflit le plus récent sur le sol européen.

« Quand on voit une tranchée, on pense effectivement à la Première Guerre mondiale […] J’essaye de montrer que même aujourd’hui au XXIe siècle, ces guerres de tranchées peuvent toujours avoir lieu », explique Loup Bureau dans un entretien avec l’AFPTV.

Avec ce premier long métrage, il a voulu « raconter une guerre sous l’aspect plus psychologique que physique […] En fait, le moteur du film, c’est l’attente, une espèce de tension qui est présente, mais qui n’explose qu’à certains moments ».

« C’est un environnement qui est très clos, où il y a une très grande promiscuité, on est dans des petits espaces et il y a quelque chose qui s’apparente aussi à une prison psychologique », a confié le réalisateur. Il a lui-même été emprisonné en 2017 en Turquie, où il était accusé de terrorisme après avoir été arrêté alors qu’il filmait près de la frontière irakienne.

Dans ces tranchées qui s’apparentent à des prisons, « on se pose la question de savoir ce qu’on fera si on sort, ce qu’on aurait pu faire de nos vies ». « On se pose des questions sur le sens qu’on a envie de donner à nos vies, et ça, c’est quelque chose que j’ai retrouvé chez tous les soldats, ce questionnement existentiel ».

Torture

Une autre facette de ce conflit, la torture infligée aux prisonniers de guerre, est explorée par le réalisateur Valentyn Vasyanovych dans Vidblysk (Reflet), en lice pour le Lion d’or à Venise, où il avait été récompensé en 2019 par le prix de la section parallèle Horizons pour Atlantis.

Le protagoniste, chirurgien dans la vie civile, est capturé par les forces russes présentes dans l’est du pays et vit une véritable descente aux enfers : humiliations, violences et torture.

« J’ai été profondément frappé par le fait que dans l’Europe contemporaine ces pratiques cruelles et totalement inhumaines puissent avoir lieu », a confié le réalisateur lors de la conférence de presse de présentation du film.

Ces pratiques « durent depuis longtemps et n’ont pas cessé » au sein de « prisons secrètes gérées par les services secrets russes sans aucun contrôle », a dénoncé le cinéaste, qui captive le spectateur à travers des plans fixes semblables à des natures mortes où les êtres humains s’apparentent à de vulgaires insectes.

Face à ces actes, il avoue son impuissance : « Que pouvons-nous faire ? Ces territoires sont occupés. Pour arrêter la torture, il faudrait arrêter la guerre ». Autre suggestion : « Tout le monde occidental devrait arrêter d’acheter du pétrole et du gaz à la Russie, mais j’ai bien conscience que le monde moderne ne fonctionne pas comme cela ».

Corruption

Après cinq ans dans les geôles russes de 2014 à 2019 pour avoir protesté contre l’annexion de la Crimée, le cinéaste ukrainien Oleh Sentsov, libéré lors d’un échange de prisonniers grâce à une mobilisation internationale, a décidé de faire un film pour montrer comment son pays a plongé dans la corruption dans les années 1990.

Rhino, en compétition dans la section parallèle Horizons, raconte l’ascension et la chute d’un délinquant dans l’Ukraine postsoviétique gangrenée par la corruption.

Dans un entretien avec l’AFP, le cinéaste de 45 ans, récipiendaire du prix Sakharov du Parlement européen en 2018, estime que la solution à la crise actuelle doit venir avant tout des Ukrainiens eux-mêmes : « Nous devons régler les problèmes qui affectent notre pays, et en premier lieu lutter contre la corruption, afin que nous puissions aller de l’avant ».

Selon lui, « l’économie est LA solution, car c’est seulement quand on obtient une économie prospère et stable qu’ont peut obtenir son indépendance politique ».