Le plus vieux festival de cinéma du monde s’est ouvert avec Madres paralelas (Mères parallèles), un film principalement conjugué au féminin, que Pedro Almodóvar a conçu pour toucher aussi la mémoire historique de son pays. Avec Penélope Cruz à son côté, le réalisateur de Volver n’a certes pas déçu.

Elle a connu bien des hauts et des bas depuis sa création en 1932. Depuis quelques années, la Mostra de Venise a repris tout son lustre en lançant la nouvelle saison cinématographique avec les plus belles pointures. Signe des temps, même Hollywood ne se fait plus tirer l’oreille pour offrir ses plus beaux films dans la Cité des doges. La La Land a commencé sa carrière sur le Lido. The Shape of Water (Guillermo del Toro), Joker (Todd Phillips) et, pas plus tard que l’an dernier, Nomadland (Chloé Zhao) ont obtenu le Lion d’or du meilleur film. En 2021, quelques-uns des films américains les plus attendus de la saison commencent ici leur tour de piste – y compris Dune, de Denis Villeneuve –, beau gage de la confiance que témoignent de nouveau les grands studios à ce festival mythique. Et les stars seront au rendez-vous. Le journal Variety a révélé mercredi qu’au moins 10 des acteurs de Dune accompagneraient la présentation du film vendredi.

Cela dit, la Mostra de Venise garde sa vocation : celle d’être la plus belle vitrine de l’automne du cinéma mondial, en réservant en outre une place de choix au cinéma européen. Lors d’une conférence de presse tenue mercredi avant l’ouverture officielle de cette 78e édition, Alberto Barbera, le directeur artistique du festival, a raconté avoir longtemps courtisé Pedro Almodóvar afin d’avoir l’honneur de présenter l’un des films du cinéaste espagnol dans sa manifestation. Trois ans après lui avoir attribué un Lion d’honneur soulignant l’ensemble d’une carrière exceptionnelle, voici que le rêve du délégué se concrétise enfin. Non seulement Madres paralelas ouvre les festivités, mais le cinéaste a accepté aussi d’inscrire son long métrage dans la compétition officielle.

Tout sur deux mères. Ou trois.

Après avoir offert Douleur et gloire, un film-somme comportant de fortes connotations intimes et personnelles, Pedro Almodóvar s’est de nouveau tourné vers des personnages féminins pour proposer une histoire très contemporaine, dont les ramifications évoquent aussi l’une des périodes sombres de l’histoire récente de l’Espagne.

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Pedro Almodóvar et Penélope Cruz à leur arrivée pour la soirée d’ouverture de la 78e Mostra de Venise

Fidèle à son style, le chef de file du cinéma espagnol emprunte les contours d’un mélodrame somptueux pour raconter l’une de ces histoires à tiroirs dont il a le secret. D’un point de départ très simple – deux femmes sur le point d’accoucher sympathisent à l’hôpital et nouent rapidement une amitié –, Almodóvar entraîne le spectateur dans un récit aux nombreux rebondissements dramatiques. Il donne aussi un indice de la teneur de son propos dès la première séquence, alors que Janis (Penélope Cruz), que sa mère a baptisée ainsi en hommage à Janis Joplin, raconte pourquoi elle souhaite procéder à l’excavation de la tombe de son arrière-grand-père, enterré anonymement par les fascistes pendant la guerre civile espagnole.

Le cinéaste a ainsi construit un long métrage qui, selon ce qu’il a laissé entendre mercredi lors d’une conférence de presse, a une forte résonance politique chez lui.

En Espagne, notre mémoire historique est encore en suspens. Tant qu’il n’y aura pas réparation pour toutes ces victimes disparues pendant les années de dictature, nous ne pourrons jamais mettre le mot fin à cette partie de notre histoire récente.

Pedro Almodóvar

« Quand le régime démocratique a été restauré, en 1978, il aurait fallu s’attaquer tout de suite à la restitution de cette mémoire, mais on ne l’a pas fait. Et aujourd’hui, le gouvernement n’accorde aucun budget à ce dossier. C’est insultant. »

Place aux mères « imparfaites »

Étalé sur trois ans, le récit fera ainsi écho à la quête familiale d’une femme plus mûre, qui ne pourrait être plus heureuse d’être tombée enceinte par accident et qui, comme l’ont fait avant elle les femmes de sa famille, compte élever seule son enfant. Cette quête sera juxtaposée à celle d’Ana (Milena Smit), une adolescente ayant accouché le même jour que Janis, et dont la présence aura un impact certain dans la vie de cette dernière. Enfin, une autre mère – celle d’Ana (interprétée par Aitana Sánchez-Gijón) –, complète ce trio de « mères imparfaites », comme les a décrites le cinéaste.

« Dans mes films précédents, je me suis beaucoup inspiré des femmes de ma vie pour écrire. Elles m’ont fait grandir, elles m’ont éduqué. C’était ma mère, mes tantes, mes voisines. Cette fois, j’ai écrit des personnages de femmes entièrement nouveaux, qui parlent d’identité, de filiation et d’instinct maternel. Qu’elles ont, ou pas. »

Penélope Cruz : la plus chanceuse du monde !

La complicité entre la populaire actrice espagnole et le cinéaste n’est plus à prouver. Penélope Cruz a trouvé en Janis l’un des personnages les plus complexes qu’elle ait eu à jouer dans sa carrière.

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Dans Madres paralelas, Penélope Cruz joue l’un des personnages les plus complexes de sa carrière.

Quand j’ai reçu le scénario, je me suis dit que cet homme avait écrit une autre merveille. Je suis la femme la plus chanceuse du monde ! Pedro est un metteur en scène artisan qui module ses personnages au gré des conversations qu’il a avec nous.

Penélope Cruz

« Je le respecte trop pour lui demander quoi que ce soit, mais il sait que s’il a un rôle pour moi, je serai toujours là. C’est en regardant Attache-moi ! que j’ai eu envie de devenir comédienne. On aime travailler fort ensemble ! »

Sobre et grave, souvent émouvant, Madres paralelas ne s’inscrit pas d’emblée parmi les films les plus spectaculaires du chantre de la Movida, mais il procède d’une exploration profonde de tous les aspects de la nature humaine. Si la portée historique du film – et son caractère sensible – risque d’échapper un peu au public international, les portraits de femmes que propose Pedro Almodóvar sont, une fois de plus, sublimes.

Madres paralelas sera distribué au Québec par Métropole Films. Aucune date de sortie n’a encore été fixée.