Galvanisées par le retour des superproductions américaines et des films québécois, les salles de cinéma retrouvent peu à peu leur public. Du 14 au 18 juillet, 411 000 $ ont été engrangés à la billetterie grâce au Guide de la famille parfaite, comédie dramatique de Ricardo Trogi qui met en vedette Catherine Chabot et Louis Morissette, aussi coscénariste et producteur. Jamais un film québécois n’avait généré de telles recettes depuis le début de la pandémie de COVID-19, il y a presque un an et demi.

« J’espérais générer de 250 000 $ à 300 000 $ pendant le week-end [vendredi à dimanche] », indique Christian Larouche, président des Films Opale, distributeur du long métrage. « On a fait 270 000 $. C’est un bon signe. Les gens reviennent en salle. »

À titre de comparaison, Mafia inc., drame criminel de Podz, avait engrangé 338 645 $ lors de son premier week-end, quelques semaines avant la crise sanitaire. La comédie Mon cirque à moi avait, quant à elle, récolté 89 911 $ en trois jours durant l’été 2020, entre deux vagues pandémiques.

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Christian Larouche, président des Films Opale

Si je compare avec l’avant-pandémie, disons il y a deux ans, on est à peu près à 30 %, 35 % des chiffres normaux. On se replace tranquillement, même si on est encore à 50 %, 60 % d’occupation dans les salles.

Christian Larouche, président des Films Opale

Depuis le 12 juillet, la distanciation physique dans les cinémas a été abaissée à 1 mètre. Seul un siège doit rester vacant entre chacune des bulles familiales. « Ça change considérablement la donne », dit Éric Bouchard, coprésident de l’Association des propriétaires de cinémas du Québec. « Avec la règle des 2 mètres, la jauge était réduite à environ 10 % ou moins », estime-t-il.

Enfin des films !

Le guide de la famille parfaite, qui s’intéresse avec humour à la « surparentalité » et à la pression familiale, ratisse large et donnera envie à de nombreux Québécois de retrouver leur salle de cinéma, croit M. Bouchard. « La dernière chose que les gens ont envie de faire, c’est de regarder du streaming dans leur sous-sol. Ce qui va les faire sortir, c’est notre programmation. Et on commence à avoir un inventaire diversifié et considérable. »

Le week-end dernier, Space Jam : A New Legacy a réussi un slam dunk en déjouant les pronostics avec une cagnotte nord-américaine de 31,7 millions. C’est le film qui a été le plus regardé dans les cinémas Guzzo au cours des derniers jours.

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LeBron James dans Space Jam : A New Legacy

« La fin de semaine dernière, on a fait 40 % des revenus d’il y a deux ans », se réjouit à moitié Vincent Guzzo, patron de la chaîne de cinémas qui porte son nom. « Ce n’est pas les 75 % ou les 100 % qu’on veut, mais c’est beaucoup mieux que les 10 % qu’on avait l’an dernier à la même période. »

« Manifestement, au Québec, on voit un engouement pour un retour dans les salles de cinéma », assure de son côté le vice-président principal de l’exploitation chez Cineplex, Daniel Séguin. « De semaine en semaine, on se rapproche tranquillement de la normalité, même si on n’y est pas ; il faut encore se donner quelques mois. »

« On voit une augmentation qui n’est pas fulgurante, mais qui est stable », résume Éric Bouchard, copropriétaire du Cinéma Saint-Eustache et des cinémas Carrefour du Nord, à Saint-Jérôme. « Au cinéma, ça peut paraître niaiseux, mais les gens viennent pour voir des films. »

Si on n’a pas de films, les gens ne viendront pas. Au cours du printemps, les mesures étaient tellement restrictives que les distributeurs québécois ont retiré plusieurs productions.

Éric Bouchard, coprésident de l’Association des propriétaires de cinémas du Québec

C’est notamment le destin qui a été réservé au Club Vinland, drame historique de Benoît Pilon – avec Sébastien Ricard –, qui retrouvera enfin les salles le 6 août. « Je ne pouvais pas concevoir de l’avoir laissé là quand on a reconfiné, note le distributeur Christan Larouche. Je me suis dit : “Je ne peux pas tuer mon film. On le relance !” »

Après de nombreux reports de tournage et de mise en marché, des productions d’ici retrouvent enfin l’affiche. « Le cinéma québécois est un morceau de casse-tête important dans la relance, insiste M. Bouchard. C’est bon pour le Mexique, pour la Pologne ou pour l’Italie ; quand la cinématographie locale est forte, le cinéma en salle se porte à merveille. On a sorti Le guide de la famille parfaite la semaine passée. On sort Sam [de Yan England] la semaine prochaine. Le club Vineland et Maria Chapdelaine [de Sébastien Pilote] vont sortir. C’est bien intéressant et bien motivant de voir le line-up de films québécois qui s’en vient. »

Mario Fortin, président-directeur général des cinémas Beaubien, du Parc et du Musée, remarque aussi une embellie dans ses salles. « On n’est pas à pleine vitesse, mais ça roule. » Le guide de la famille parfaite, parmi Adieu les cons, Souterrain, Beans et d’autres films plus confidentiels, a fait sortir les Montréalais. « Nos films fonctionnent bien. C’est un peu le principe de la saucisse Hygrade. Plus il y en a, plus les gens en veulent. » À partir de vendredi, ce sera au tour de la comédie française Kaamelott d’appâter les cinéphiles devant le grand écran.

« Il faut faire attention de ne pas provoquer une indigestion, croit M. Fortin. Il faut répartir nos films tranquillement. Il y en a beaucoup qui dormaient sur les tablettes depuis un an et demi. On s’est retrouvés pendant 254 jours sans rien à manger. »

Vivement les « gros films »

Au pays de l’Oncle Sam, les superproductions et leurs héros reprennent aussi vie peu à peu.

« C’est très positif si on compare avec l’été passé, alors qu’il n’y avait pas beaucoup de films, fait remarquer Daniel Séguin, de Cineplex. En ce moment, il n’y a pas vraiment de changements de calendrier. C’est très prometteur. »

Lors du week-end inaugural suivant sa sortie, le 9 juillet, Black Widow, thriller signé Marvel et Cate Shortland – avec Scarlett Johansson dans le rôle-titre –, a généré des recettes de 80 millions de dollars, un record nord-américain depuis le début de la pandémie de COVID-19.

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Scarlett Johansson dans Black Widow

« Black Widow a bien marché en anglais, mais en français, il s’est cassé la gueule, nuance Vincent Guzzo. C’est un peu la même chose qui est arrivée avec le premier Iron Man [en 2008]. Black Widow 2 va marcher. Il faut d’abord faire connaître la superhéroïne. »

Selon l’homme d’affaires, le mois d’août sera marqué par la sortie du film de supervilains The Suicide Squad et d’une pléthore de longs métrages destinés aux enfants. Or, même si ses salles sont amputées de presque la moitié des sièges, elles ne fonctionnent pas au maximum de leur capacité. Vincent Guzzo attend avec impatience la convergence de « gros films » et que tombent les masques obligatoires.

« Il n’y a pas assez de blockbusters simultanément. Ça nous donne la possibilité de mettre des films comme Black Widow sur quatre écrans. Le guide de la famille parfaite, on le diffuse sur deux écrans dans plusieurs cinémas. »

La rentabilité de la saison estivale dépendra beaucoup de la météo, insiste-t-il. « S’il pleut, ça change tout. La fin de semaine, c’est quatre fois le chiffre d’affaires normal. La semaine, c’est à peu près deux ou trois fois. On est comme des fermiers ; on est dépendants de la pluie. » Christian Larouche fait lui aussi écho à madame Météo. « La pluie est le grand amour des distributeurs. »

Automne florissant

Peu importe, les vacances de la construction risquent d’être accompagnées d’une période creuse pour la marchandisation du 7art. « Aller au cinéma, ça fait partie d’un quotidien normalisé, note M. Guzzo. Une fois que j’aurai fait diverses sorties, que je me serai baigné à la plage, que je serai parti en vacances, ça va être au tour du cinéma. Selon moi, ça va reprendre presque à 100 % au mois de septembre. »

Des franchises à succès comme The Addams Family 2, Hotel Transylvania : Transformania, James Bond : No Time to Die et Top Gun : Maverick doivent prendre l’affiche à l’automne, une période généralement marquée de temps morts. « J’ai bon espoir que, tout au long de l’année, l’augmentation des recettes va se poursuivre et qu’on va atteindre une normalité quelque part aux Fêtes, prédit Éric Bouchard, de l’Association des propriétaires de cinémas du Québec. Il va y avoir des mégasuccès qui vont nous faire du bien. »

On touche du bois pour que l’évolution de la pandémie se fasse du bon côté ? « Non, on demande aux gens d’aller se faire vacciner, tonne Mario Fortin, du Cinéma Beaubien. Tout est là ! »