(Cannes) Wes Anderson ne fait ni des comédies, ni des drames, ni des films d’aventure. Il fait du Wes Anderson. Une recette cinématographique à nulle autre pareille, teintée de folie douce et qu’il pousse plus loin que jamais avec The French Dispatch, en lice pour la Palme d’or.

Sur le tapis rouge, avec son visage toujours juvénile à 52 ans, son air un peu dandy avec ses cheveux mi-longs, Wes Anderson semble sorti tout droit de ses propres films. Et comme l’auteur de The Grand Budapest Hotel ou À bord du Darjeeling Limited ne fait rien comme les autres, c’est à bord d’un bus que la distribution XXL de son film a débarqué pour enflammer le tapis rouge.

Le fidèle Bill Murray était là, qui balade de film en film son flegme et son air pince-sans-rire, panama sur la tête. Il joue le rôle du rédacteur en chef du supplément d’un magazine américain, basé dans la ville française fictive d’Ennui-sur-Blasé. L’accompagnaient aussi Tilda Swinton, Adrien Brody et Owen Wilson, autres fidèles « andersoniens », et des convertis récents, comme Timothée Chalamet et Benicio del Toro.

Le film, l’un des plus attendus de la sélection cannoise, ne dérobe pas à la patte inimitable de ce magicien de l’image, lointain héritier de Méliès obsédé par le détail et la symétrie, qu’il a cultivés depuis ses débuts, avec des films comme La famille Tenenbaum ou La vie aquatique.

The French Dispatch pousse le patchwork encore plus loin, avec ses petites histoires enchâssées, conçues comme autant de chapitres visuels, ouvragés avec minutie, en noir et blanc, couleur ou dessin animé. L’histoire, elle, semble parfois réduite au rang de prétexte.

Peu de réalisateurs sont à ce point associés à un style aussi décalé et spécifique, parsemé de personnages obsessionnels — ici un cuisiner de commissariat, Nescaffier (Stephen Park), un jeune révolutionnaire amoureux (Timothée Chalamet), une gardienne de prison qui pose nue pour un détenu-artiste (Léa Seydoux) —, de lettres manuscrites et de couleurs pastel.

Avec The French Dispatch, il dit aussi son amour pour le journalisme façon New Yorker et la France, où ce natif du Texas s’est installé, montré à l’écran dans une version rétro et fantasmée.

PHOTO JOHANNA GERON, REUTERS

Timothée Chalamet, Bill Murray, Hippolyte Girardot, Owen Wilson et Wes Anderson

« Un type facile »

Wes Anderson a su garder un contrôle artistique total sur ses créations et la distribution de luxe réunie pour tourner à Angoulême The French Dispatch donne la mesure de l’aura de celui dont on dit les plateaux très conviviaux. Ces vedettes « tournent dans ses films parce que c’est marrant », explique le critique britannique Dorian Lynskey à l’AFP. « C’est un type facile, qui produit pourtant une esthétique totale, qu’on imaginerait plutôt associée avec un réalisateur difficile ».

Nommé sept fois aux Oscars, mais jamais lauréat, cet ovni d’Hollywood brigue la Palme d’or à Cannes, où il concourt pour la deuxième fois, après Moonrise Kingdom en 2012.

Si son univers est tendre, le ton est parfois faussement enfantin, chez ce réalisateur marqué par le divorce de ses parents à l’âge de 8 ans. Son œuvre est traversée par les drames de la vie : l’abandon, le suicide, la perte des illusions… Certains de ces thèmes, mais aussi l’enfermement ou l’enlèvement, affleurent aussi dans The French Dispatch.

« Il semble qu’il soit particulièrement nostalgique de ses 12 ans […] âge où l’on peut être totalement submergé par un coup de foudre, où un livre peut prendre la place de votre monde tout entier », écrit Sophie Monks Kaufman, autrice d’un ouvrage sur le cinéaste.

Son cinéma est parfois qualifié de maniéré, taillé pour les hipsters avec son goût pour le clin d’œil ironique et le désuet, et la carte postale sépia de la France des années 1960 qu’il livre pourra agacer. Mais ses images ont eu une large influence, de la décoration intérieure aux pubs pour Gucci. Un compte Instagram, Accidentally Wes Anderson recense les photos de lieux réels qui mériteraient de figurer dans ses films…

Consultez le compte Instagram Accidentally Wes Anderson

« Parfois, j’ai songé à changer d’approche », a confié Wes Anderson à la radio américaine NPR. « Mais en vrai, c’est ça que j’aime faire ».