(Cannes) Les invités ont été testés ou vaccinés, portent le masque, se plient aux différentes directives sanitaires imposées, et voilà que la porte du temple du cinéma s’est finalement rouverte. La soirée d’ouverture du 74e Festival de Cannes fut très réussie et Annette, film éblouissant de Leos Carax, n’aurait pu mieux lancer cette édition du retour.

Le thème d’Aquarium, extrait du Carnaval des animaux de Camille Saint-Saëns, n’a probablement jamais été aussi émouvant. Un sentiment de douce euphorie s’est emparé des festivaliers quand les notes emblématiques, en prélude à toutes les projections de la sélection officielle, se sont fait entendre pour la première fois après deux ans de silence.

Pour plusieurs d’entre eux, y compris des membres du jury, il s’agissait aussi d’une première projection sur grand écran depuis que la pandémie a forcé le monde à s’arrêter de tourner, il y a maintenant 16 mois. Le plaisir des retrouvailles était tangible et les sourires perceptibles, même sous les masques, portés en permanence dans les salles. Un peu comme si on prenait maintenant la mesure du manque. Et de l’absence.

PHOTO CHRISTOPHE SIMON, AGENCE FRANCE-PRESSE

L’actrice américaine Jodie Foster a reçu mardi une Palme d’or d’honneur soulignant l’ensemble de sa carrière des mains du réalisateur espagnol Pedro Almodóvar.

« Ça fait du bien de sortir, hein ? », a lancé Jodie Foster au chic public de la soirée d’ouverture, alors qu’elle a reçu, sous une ovation, une Palme d’or d’honneur pour souligner l’exceptionnelle qualité d’une artiste dont la carrière s’étale maintenant sur 55 ans. Le prestigieux laurier lui fut d’ailleurs remis par l’invité surprise Pedro Almodóvar, autre ardent défenseur du grand écran, qui, a-t-il précisé, tenait à être présent « pour le retour du cinéma ».

Retisser le fil rompu

C’est d’ailleurs pour faire le lien entre le monde d’avant et celui d’aujourd’hui que Thierry Frémaux a invité le cinéaste coréen Bong Joon-ho à retisser le fil rompu en lui faisant déclarer officiellement ouverte la nouvelle édition. Il y a deux ans, le réalisateur de Parasite était reparti de la Croisette avec la Palme d’or dans ses bagages, la dernière attribuée, et son film allait connaître une glorieuse carrière qui l’a mené vers sa marche triomphale aux Oscars. Pour bien cristalliser le moment, Bong Joon-ho a tenu à s’entourer de Jodie Foster, Pedro Almodóvar et Spike Lee afin que le festival puisse être ouvert dans quatre langues.

Et puis, la musique des Sparks pour relancer le tout.

La toute première séquence musicale d’Annette, le nouveau long métrage, éblouissant, de Leos Carax, ne pouvait mieux s’inscrire dans l’esprit du moment.

On y voit même le cinéaste, entouré des frères Ron et Russell Mael, donner le signal pour que le numéro reprenne enfin, comme un prologue dans un film qui s’apprête à commencer. « Il est temps d’y aller » aurait pu aussi être le mot d’ordre que les organisateurs du festival auraient souhaité lancer aux festivaliers. Une chose est certaine, ils n’auraient pu mieux choisir qu’Annette pour donner la tonalité de cette reprise. Et réaffirmer leur foi au cinéma.

Histoire d’amour déchirante

Signant son sixième long métrage en 37 ans, le très rare Leos Carax propose avec Annette une sorte de tragédie musicale mâtinée d’opéra rock, qui ne ressemble à rien d’autre. Dans cette version moderne d’un drame musical que Jacques Demy aurait sans doute pu imaginer en son temps, le réalisateur de Mauvais sang et des Amants du Pont-Neuf orchestre une histoire d’amour déchirante à partir d’un scénario écrit par les frères Mael. Ces derniers se sont chargés aussi, bien sûr, de (l’excellente) trame musicale, que les interprètes chantent en direct.

Marion Cotillard y incarne Ann, une cantatrice de renommée internationale, que personne n’aurait pu imaginer tomber amoureuse d’un humoriste qui carbure à la provocation et aux malaises dans ses performances sur scène. Henry, interprété par un Adam Driver qui s’abandonne complètement, évoque d’ailleurs souvent la mort au cours de son numéro, celle qu’il projette sur les autres notamment, alors que sa dulcinée a l’habitude de mourir dans les grands rôles qu’on lui donne à l’opéra.

Le destin du couple bascule quand Ann accouche d’Annette, un bébé doté d’un don naturel, à qui l’on découvrira des talents spécifiques.

Neuf ans après Holy Motors, Leos Carax revient au cinéma grâce à un long métrage presque entièrement chanté, où se côtoient l’enchantement et l’étrangeté. La rencontre entre l’univers des Sparks et celui du cinéaste se révèle ici harmonieuse.

Parsemé de scènes visuellement splendides, très cinématographiques (la direction de la photographie est signée Caroline Champetier), le récit emprunte surtout un caractère impressionniste, un choix faisant en sorte que certaines pistes scénaristiques évoquées dans le film semblent être abandonnées en cours de route par le cinéaste.

Nous aurons évidemment l’occasion de revenir sur Annette, qui prendra l’affiche au Québec le 6 août, mais force est de constater qu’il relance le festival de très belle façon.