(Cannes) Que doit-on attendre de cette édition particulière du plus prestigieux festival de cinéma du monde ? Nous en aurons une meilleure idée quand Spike Lee rencontrera la presse ce mardi. En attendant, le délégué général, Thierry Frémaux, a fait le point sur un évènement qui s’apprête à revivre. Pleinement.

Il regarde la Croisette de partout. La tête à l’endroit, à l’envers, de côté. On ne sait trop si ses yeux expriment la béatitude, la curiosité, l’excitation ou l’inquiétude. Probablement tout ça à la fois. Et bien d’autres choses encore. Spike Lee est la personnalité mise de l’avant sur l’affiche du 74e Festival de Cannes, qui s’amorce ce mardi avec la présentation d’Annette, le nouveau film de Leos Carax.

Truffée de clins d’œil — il y a les palmiers, le noir et blanc, le personnage de She’s Gotta Have It, film ayant révélé le réalisateur de BlacKkKlansman il y a 35 ans —, cette affiche, en plus de rendre hommage à celui qui présidera le jury, illustre bien le caractère distinctif d’une édition tenue exceptionnellement en plein mois de juillet. À ce temps-ci de l’année, l’opulente station balnéaire de la Côte d’Azur a davantage l’habitude d’accueillir les vacanciers plutôt que des cinéphiles au teint pâle s’apprêtant à passer 12 jours dans des salles obscures.

PHOTO GONZALO FUENTES, REUTERS

Le président du jury, Spike Lee, a été croqué sur le vif lundi à l’Hôtel Martinez.

Une situation inespérée

Il y a quelques mois à peine, la situation était grave au point que la direction du festival pensait devoir annuler l’évènement pour la deuxième fois. Les professionnels et les journalistes venus d’ailleurs n’auraient jamais pu croire non plus que la vaccination accélérée leur permettrait d’envisager même de se rendre sur place. Or, voilà que le festival aura bel et bien lieu, dans les conditions les plus normales possibles, au vu des circonstances. On mettait d’ailleurs lundi les dernières touches au Palais des festivals pour lui redonner tout son lustre après la transformation du bâtiment en hôpital et en centre de vaccination pendant la pandémie. Le Festival de Cannes est d’ailleurs le tout premier évènement culturel à se tenir dans la prestigieuse enceinte depuis mars 2020.

Répondant aux questions des journalistes, déjà présents sur la Croisette la veille du déclenchement des festivités, le délégué général, Thierry Frémaux, s’est dit soulagé, non seulement pour la tenue du festival, mais surtout pour la reprise progressive à laquelle nous assistons dans tous les secteurs d’activité.

« Nous avons reçu plusieurs messages de gens qui nous remerciaient d’avoir tenu bon pour essayer de faire exister le festival quand même l’an dernier, mais nous n’avons aucun mérite. Nous l’avons finalement annulé parce que la situation était bien plus grave que l’existence d’un festival de cinéma, fut-il le plus grand du monde ! »

La victoire du cinéma

Questionné à propos du succès des plateformes et de la profonde transformation que celles-ci ont entraîné dans tout l’écosystème, le délégué général a évoqué une victoire du cinéma, même si, pour la première fois de son histoire, il n’a pu se défendre pour cause de fermeture des salles.

« L’année 2020 fut la plus catastrophique de l’histoire du cinéma, car les salles n’étaient plus là, ce qui n’était jamais arrivé auparavant, et les plateformes ont pris toute la place », a-t-il expliqué.

PHOTO ERIC GAILLARD, REUTERS

Thierry Frémaux, délégué général du Festival de Cannes

En revanche, le cinéma est partout sur les plateformes. Parce qu’elles achètent les films. Et surtout, elles achètent des metteurs en scène pour faire des films. Ça prouve qu’elles ont du goût. Mais nommez-moi un grand cinéaste qui a été révélé grâce à une plateforme ? Il n’y en a pas.

Thierry Frémaux, délégué général du Festival de Cannes

Grand défenseur du cinéma sur grand écran, Thierry Frémaux n’a d’ailleurs pu s’empêcher de décocher une petite flèche vers les autres directeurs de grands festivals de cinéma, « qui ouvrent leurs portes un peu trop librement à des gens dont on n’est pas sûrs qu’ils souhaitent que le cinéma survive ». Il précise cependant que le dialogue est maintenu avec Netflix, le seul diffuseur en ligne qui refuse de se plier aux exigences du Festival de Cannes, dont les films sélectionnés dans la compétition officielle doivent impérativement sortir en salle en France.

35 % en moins

Le délégué général a par ailleurs déclaré que le festival accréditerait environ 29 000 professionnels et journalistes cette année, comparativement aux 40 000 qui se présentent habituellement. C’est grosso modo de 30 % à 35 % de moins. De nombreux pays sont toujours classés « rouge », notamment en Amérique latine, et leurs ressortissants peuvent difficilement voyager. Le cinéaste brésilien Kleber Mendonça Filho, membre du jury, a d’ailleurs effectué une quarantaine en France afin de pouvoir honorer sa fonction. À cet égard, aucune exception n’est faite quant au respect des mesures sanitaires mises en place par le gouvernement français, vedette ou non.

Nous allons respecter toutes les règles à la lettre. Le glamour ne justifie pas l’exception. Et nous ne voulons surtout pas qu’on nous voie comme des privilégiés.

Thierry Frémaux

Place au cinéma et à la fête, donc. Les vedettes y seront, à commencer par Adam Driver et Marion Cotillard, têtes d’affiche d’Annette, ainsi que Jodie Foster, lauréate d’une Palme d’or d’honneur. Au cours de la soirée d’ouverture, présentée par l’actrice Doria Tillier, le jury foulera aussi la scène du Grand Théâtre Lumière. Rappelons que sous la présidence de Spike Lee, Mélanie Laurent, Mylène Farmer, Mati Diop, Jessica Hausner, Maggie Gyllenhaal, Tahar Rahim, Song Kang-Ho et Kleber Mendonça Filho auront la tâche d’établir un palmarès et de désigner, parmi les 24 longs métrages en lice, le film digne de la Palme d’or.

On verra ainsi quelle tonalité empruntera cette édition hors norme, où personne ne sait vraiment encore comment tout ça va se déployer, mais où les festivaliers ne voudraient être ailleurs pour rien au monde.

« On part dans l’inconnu nous aussi », a précisé Thierry Frémaux.

Le 74e Festival de Cannes se déroule du 6 au 17 juillet.