À peine les projecteurs rallumés, les propriétaires de cinéma de Montréal redoutent une troisième fermeture, alors que la troisième vague de COVID-19 et ses variants frappent de plein fouet la province.

À l’accueil du cinéma Beaubien, les spectateurs défilent depuis le début de la soirée. Entre deux projections, des commis courent pour désinfecter et préparer les salles pour les prochains occupants. Et encore, c’est une soirée tranquille, constate une employée, essoufflée.

Les dernières semaines ont été occupées pour le cinéma de l’arrondissement de Rosemont–La Petite-Patrie, qui a rouvert ses portes le 26 février dans la foulée des assouplissements sanitaires.

Son directeur général, Mario Fortin, avait tout calculé pour la grande réouverture : masques chirurgicaux à l’entrée, jauge des salles réduite au tiers, désinfection systématique des surfaces.

La clientèle commençait tout juste à revenir lorsque la troisième vague a frappé.

« Je suis très déçu pour mes confrères touchés par le reconfinement », affirme M. Fortin, qui fait référence aux villes de Lévis, de Gatineau et de Québec, visées par des mesures spéciales d’urgence. Dimanche, Québec annonçait aussi un resserrement dans plusieurs MRC de la région de Chaudière-Appalaches. Les commerces non essentiels, dont les cinémas, y seront fermés au moins jusqu’au 12 avril.

Optimiste, M. Fortin salue la décision du gouvernement d’avoir visé les régions problématiques, épargnant pour le moment Montréal.

PHOTO IVANOH DEMERS, ARCHIVES LA PRESSE

Mario Fortin, directeur général des cinémas Beaubien, du Parc et du Musée

Tant et aussi longtemps que Montréal restera stable, on garde les doigts croisés et on espère qu’on va rester ouverts.

Mario Fortin, directeur général des cinémas Beaubien, du Parc et du Musée

Lors du passage de La Presse au cinéma Beaubien, 16 séances sur 21 affichaient complet. À la sortie d’une projection de La déesse des mouches à feu, Zoé Jacques retire son masque pour respirer l’air doux d’un soir de printemps. « Ça m’avait manqué de voir un film sur grand écran. On fait vite le tour de Netflix ! », s’exclame-t-elle.

La jeune femme espère y retourner bientôt, mais l’explosion des cas à Montréal la fait douter. « Ça serait tellement dommage pour la culture si ça devait fermer », déplore-t-elle.

Repartir la machine

La grande fierté du président de l’Association des propriétaires de cinémas du Québec, Denis Hurtubise, c’est qu’aucune éclosion n’a encore été liée aux salles de cinéma. « On est chanceux, on a un lien étroit avec la Santé publique. On a fait nos protocoles sanitaires avec elle. La seule chose, c’est que lorsqu’on a rouvert en février, on se disait qu’on ne fermerait plus », explique-t-il.

Bref, la machine est relancée. De trois à quatre semaines de travail pour boucler les programmes. Des centaines de milliers de dollars pour en faire la promotion.

Et là, quatre semaines plus tard, bang ! Les salles doivent fermer dans certaines villes. Il y a de l’incertitude partout ailleurs. On accepte les décisions, mais c’est frustrant.

Denis Hurtubise, président de l’Association des propriétaires de cinémas du Québec et président de La Maison du Cinéma à Sherbrooke

Si Québec annonçait la fermeture des cinémas à Montréal demain matin, le directeur général du cinéma Beaubien, Mario Fortin, se retrouverait avec plus de 200 billets prévendus.

« L’enjeu, c’est le remboursement de tous ces billets. On va faire attention, et on va vendre moins de billets d’avance, mais quand on a un commerce à exploiter, il faut penser à tout ça. »

Achalandage, malgré tout

Avec la sortie en salle de Godzilla vs Kong, mercredi dernier, les cinémas québécois ont fait les meilleures recettes depuis très, très longtemps, se réjouit Denis Hurtubise. Certes, il reste encore un bout de chemin à faire avant de revenir à la normalité, indique-t-il, mais les dernières semaines ont été encourageantes.

Même constat du côté de la Cinémathèque québécoise, qui a retrouvé son élan avec la projection des films Alcootest et La voix humaine. « Nos membres avaient hâte de retrouver leurs bonnes vieilles salles », explique l’assistante-gérante Irina Tempea. Elle affirme que le nombre de projections n’a pas changé et que la clientèle est au rendez-vous à chacune d’elles.

Pour les cinéphiles, rien ne se compare au visionnement d’un film sur grand écran, croit Denis Hurtubise. Après la pandémie, il faudra lui redonner ses lettres de noblesse. « Cette année, on s’est fait challenger par les plateformes numériques, mais j’ai espoir. Le cinéma n’en est pas à sa première tempête. »