Florian Zeller propose un premier long métrage à titre de réalisateur en portant au grand écran Le père, sa propre pièce. En lice pour l’Oscar du meilleur film, The Father marque aussi la rencontre entre le dramaturge français et Anthony Hopkins, l’acteur dont il rêvait pour incarner le personnage central de l’histoire, octogénaire atteint de démence. Entretien.

Bien sûr, Florian Zeller est ravi que The Father ait été sélectionné aux Oscars dans six catégories, une reconnaissance qu’il voit comme un cadeau, alors que la carrière de son long métrage a été amorcée il y a plus d’un an, au festival Sundance.

« Ce n’était pas la meilleure année pour présenter un premier film, mais quand une nouvelle comme celle-là vous arrive, la joie triomphe ! », a raconté jeudi l’auteur, qui signe ici la réalisation d’un premier long métrage, au cours d’un entretien en visioconférence accordé à La Presse.

L’idée de porter à l’écran sa pièce Le père, créée sur scène à Paris en 2012 avec Robert Hirsch, découle carrément d’une envie de travailler avec Anthony Hopkins. Quitte, pour ce faire, à transposer l’histoire dans un contexte britannique et à aller tourner le film à Londres, dans la langue de Shakespeare. Dans le monde anglo-saxon, The Father a déjà triomphé sur scène en s’attirant les éloges de la critique, établissant dès lors la grande réputation du dramaturge français.

L’histoire de la pièce a d’abord des résonances personnelles pour moi, car, ayant été élevé par ma grand-mère, j’ai pu être témoin, dès l’âge de 15 ans, des étapes qui marquent une personne atteinte progressivement de démence. Je sais ce qu’est le sentiment d’impuissance face à quelqu’un qu’on aime, alors que l’amour qu’on lui porte ne suffit plus.

Florian Zeller

« Nous faisons tous face un jour à cette situation d’une façon ou d’une autre. J’ai été surpris et ému de la réaction du public envers la pièce, qui a été la même dans tous les pays. L’art sert à nous rappeler que nous ne sommes pas que des individus isolés les uns des autres. Nous appartenons à quelque chose de plus large que nous-mêmes », continue-t-il.

Vrai désir de cinéma

Cette réaction du public, et surtout les témoignages qu’il a reçus de la part de gens qui tenaient à lui faire partager leur histoire, a convaincu Florian Zeller de porter lui-même sa pièce au grand écran. Il avait le sentiment d’avoir les coudées franches, car il ne restait à son avis plus grand-chose de sa pièce dans Floride, film de Philippe Le Guay (avec Jean Rochefort), qui en était inspiré.

PHOTO FOURNIE PAR ENTRACT FILMS

Imogen Poots, Olivia Colman et Anthony Hopkins dans The Father, film de Florian Zeller

« The Father est né d’un vrai désir, qui était le mien, précise-t-il. Je sentais que le langage cinématographique permettrait peut-être de proposer une expérience encore plus immersive. Le cinéma me donnait l’occasion de pousser encore plus loin le concept de labyrinthe mental dans lequel le spectateur est projeté. Comme s’il pénétrait dans le cerveau de cet homme désorienté et qu’il vivait lui-même cette perte de repères. »

Apport essentiel

Ne maîtrisant pas la langue anglaise à la perfection, Florian Zeller s’est vite tourné vers Christopher Hampton, dramaturge chevronné et scénariste britannique, pour l’écriture de l’adaptation de sa pièce. Cette transposition dans un autre contexte culturel l’a forcé à affiner ses intentions, à titre non seulement d’auteur, mais aussi de metteur en scène.

Tourner dans une langue qui n’est pas la mienne a constitué un défi, mais ce fut intéressant, explique-t-il. Quand on ne maîtrise pas tout à fait une langue, on peut ne pas être précis sur certains mots, à condition d’être précis sur sa pensée. Et puis, j’avais Christopher à mes côtés. Il a déjà traduit toutes mes pièces, et nous collaborons depuis plusieurs années. Christopher a aussi eu la charge de transposer l’histoire en Angleterre et d’y mettre l’âme du pays.

Florian Zeller

« J’ai donc écrit un premier scénario en français, Christopher l’a traduit, nous avons ensuite discuté, et il a vite compris mes choix de mise en scène. Je tenais, par exemple, à ce que nous restions toujours à l’intérieur afin que cet appartement devienne l’espace mental d’Anthony. Quand on adapte une pièce au cinéma, on a plutôt tendance à ouvrir pour évoquer le monde extérieur. Mais pas dans ce cas-ci », explique Florian Zeller.

Anthony joue… Anthony !

La motivation de tourner The Father à Londres, dans la langue de Shakespeare, provient aussi d’un fort désir de voir Anthony Hopkins incarner un personnage dont le prénom est… Anthony.

PHOTO FOURNIE PAR ENTRACT FILMS

Grâce à sa performance dans The Father, Anthony Hopkins est finaliste aux Oscars dans la catégorie du meilleur acteur.

« Quand j’ai commencé à rêver au film, le visage d’Anthony Hopkins s’est imposé à moi, souligne le cinéaste. Je n’arrivais pas à imaginer quelqu’un d’autre. Anthony est, à mon sens, le plus grand acteur vivant. Je pressentais que dans ce rôle-là, particulièrement, il serait extraordinairement puissant. Grâce à tous les personnages qu’il a joués, il dégage l’image d’un homme toujours en contrôle de la situation. J’étais certain que de lui faire jouer un homme à qui tout échappe aurait quelque chose de singulier. Et de douloureux, aussi. »

Le scénario de The Father a alors été envoyé à l’agent de l’acteur, un peu comme on lance une bouteille à la mer. Quelques semaines plus tard, Florian Zeller a reçu un appel lui annonçant qu’Anthony Hopkins avait lu le scénario, qu’il l’avait aimé et qu’il souhaitait le rencontrer.

« J’ai pris l’avion pour Los Angeles et je suis allé prendre le petit déjeuner avec lui », raconte celui qui est notamment en lice pour le prix des Directors Guild of America Awards du meilleur premier long métrage.

J’étais évidemment intimidé au départ, mais, très vite, j’ai pu découvrir un homme d’une grande qualité, d’une très grande humilité, et très à l’écoute. Il m’a beaucoup fait parler du film que j’avais en tête, pour savoir s’il pouvait me faire confiance.

Florian Zeller

« Anthony s’interrogeait aussi, poursuit-il, sur le prénom du personnage en se demandant si c’était une bonne idée de lui donner le même que le sien. Je lui ai alors expliqué pourquoi il était important qu’il en soit ainsi. Il ne s’agissait pas de créer un personnage ni d’imiter un vieil homme malade, mais je voulais simplement qu’on prenne le risque qu’il soit lui-même devant la caméra. Que l’on ait accès à ses propres émotions, même quand il est question de la peur face à la mort. Il a bien compris. Anthony s’est alors levé de table, m’a pris dans ses bras, et il m’a dit : “OK, on va faire ce film.” »

L’aventure avec l’acteur a été extrêmement forte, très affective, et s’est déroulée au-delà des espérances du cinéaste.

« Ce fut également une expérience éprouvante, dans la mesure où elle fut très intense, avec des scènes difficiles sur le plan émotif. Anthony s’est vraiment offert au rôle et au film. Il s’est donné à moi, et j’en suis vraiment honoré. »

The Father (Le père en version française) est à l’affiche, en version originale anglaise seulement. Il sera offert en vidéo sur demande (y compris en version française) dès le 26 mars.