Suave. C’est le premier mot qui me vient à l’esprit lorsque je pense à Christopher Plummer. Le comédien, qui a grandi à Montréal, est mort vendredi, chez lui, au Connecticut, à l’âge de 91 ans, des suites d’une chute.

Honoré pour l’ensemble de sa carrière, en 2017, à la cérémonie des Prix Écrans canadiens, il avait évoqué la richesse « de nos deux cultures » et la chance qu’il avait eue de « pouvoir travailler dans les deux langues » dans sa jeunesse à Montréal. « Ce n’est pas la fin, j’espère ! », avait-il ajouté en français, avant de quitter la scène. L’année suivante, il était pour la troisième fois finaliste aux Oscars…

PHOTO MARIO ANZUONI, ARCHIVES REUTERS

Christopher Plummer, photographié en 2017 pour la promotion du film All the Money in the World

Acteur shakespearien très respecté, Christopher Plummer s’est fait connaître du grand public au cinéma grâce au rôle du capitaine Georg von Trapp dans The Sound of Music (La mélodie du bonheur), de Robert Wise, qui a fait de lui une vedette mondiale en 1965.

Il avait une relation trouble avec le film archi-populaire qui l’avait révélé à 35 ans et dont il a rapidement pris ses distances. Il ne voulait pas que sa carrière se résume à son rôle le plus connu, dans un film qu’il considérait comme « affreusement sirupeux et sentimental ». Ça n’a pas été le cas, même si Plummer sera pour toujours associé à l’adaptation cinématographique de la célèbre comédie musicale de Rogers et d’Hammerstein, elle-même inspirée de l’histoire de la famille von Trapp.

Christopher Plummer est du reste très convaincant en capitaine autrichien, opposé à l’Anschluss, veuf et père de sept enfants, qui tombe amoureux de la nonne (la rayonnante Julie Andrews) embauchée comme gouvernante pour les élever. L’acteur en voulait à Robert Wise d’avoir fait doubler sa voix par un chanteur (ce n’est pas lui qui chante Edelweiss), une pratique courante de l’époque. Plummer s’était exercé au chant plusieurs mois pour le rôle et disait qu’il ne l’avait accepté que pour cette raison.

La seule fois que j’ai eu l’occasion de l’interviewer, en 1999, pour l’excellent The Insider, de Michael Mann, il avait semblé ravi d’échanger quelques phrases en français avec moi et disait s’être réconcilié avec La mélodie du bonheur.

Je venais de lui confier que j’avais vu The Sound of Music des dizaines de fois, sans doute plus souvent que n’importe quel autre film…

Christopher Plummer avait 69 ans à l’époque. Je l’avais trouvé particulièrement vif d’esprit, charmant, élégant, lucide et capable d’autodérision. Il retrouvait au cinéma, dans la peau du journaliste télé Mike Wallace, un rôle à la hauteur de son talent. Après deux décennies de films et de téléfilms souvent médiocres, de moins en moins intéressants depuis son interprétation, en 1975, de Rudyard Kipling dans The Man Who Would Be King, de John Huston.

À l’image de ce personnage de septuagénaire qui s’éclate après avoir révélé tardivement son homosexualité à son entourage dans Beginners, Christopher Plummer a connu une fin de carrière cinématographique particulièrement faste. En 2010, il a été finaliste pour la première fois aux Oscars, dans la catégorie du meilleur acteur de soutien, pour son rôle de Léon Tolstoï dans The Last Station, de Michael Hoffman (« film à Oscars » sans grand intérêt).

Il allait remporter l’Oscar deux ans plus tard pour son rôle de Hal dans Beginners, devenant à 82 ans le plus vieux lauréat de l'histoire des catégories d’interprétation. Il l’est toujours à ce jour.

« Quand je suis sorti du ventre de ma mère, je préparais déjà mon discours de remerciement aux Oscars », a ironisé le comédien, en allant cueillir son prix. Plummer a aussi remporté le prix Golden Globe du meilleur acteur dans un second rôle (drame) pour Beginners, premier long métrage autobiographique de Mike Mills. Son plus grand rôle au cinéma, à mon avis.

En 2018, après avoir remplacé au pied levé Kevin Spacey, accusé d’inconduite sexuelle, dans All the Money in the World, de Ridley Scott, alors que le tournage était déjà bouclé, Christopher Plummer est aussi devenu, à 88 ans, le plus vieil interprète à être finaliste aux Oscars. Il n’a jamais pris sa retraite du cinéma, incarnant le rôle du patriarche dans le succulent Knives Out, de Rian Johnson, en 2019. Il préparait jusqu’à sa mort le rôle du roi Lear qui l’avait fait triompher à Broadway en 2004, adapté au cinéma par Des McAnuff, ancien directeur artistique du Festival de Stratford.

Né à Toronto, et arrière-petit-fils du troisième premier ministre du Canada, le Québécois John Abbott, Christopher Plummer a été élevé dans une famille bourgeoise de Senneville, dans l’ouest de l’île de Montréal. Au secondaire, il a eu pour camarade de classe le grand pianiste de jazz Oscar Peterson, avant de faire ses premiers pas sur scène dans la compagnie du Montreal Repertory Theatre. Ce n’est qu’à l’âge de 17 ans qu’il a rencontré son père, séparé de sa mère et disparu peu après sa naissance. Il est venu le voir jouer au théâtre. Ils ne se sont presque plus revus par la suite.

Fidèle au Festival de Stratford, Plummer a connu du succès tant à Broadway que dans le West End de Londres dans les rôles de Macbeth, de Hamlet et de Richard III, mais pas seulement chez Shakespeare. Considéré comme l'un des plus grands tragédiens de sa génération, il a remporté le premier de ses deux prix Tony en 1973, pour son rôle de Cyrano de Bergerac (puis son deuxième en 1997, pour Barrymore).

Plébiscité par la critique, respecté par ses pairs, Christopher Plummer avait pourtant en début de carrière la réputation d’être difficile et intransigeant. Il se moque d’ailleurs de lui-même et de l’arrogance de son jeune âge dans son autobiographie In Spite of Myself (en dépit de moi-même), publiée en 2006, où il aborde notamment ses années de consommation excessive d’alcool.

Christopher Plummer a été marié trois fois : à l’actrice Tammy Grimes – de qui il a eu une fille, la comédienne Amanda Plummer –, à la journaliste Patricia Lewis et à la comédienne Elaine Taylor, à laquelle il a dédié son Oscar, à la fois ému, comique et, comme toujours, suave. Il trouverait peut-être ça « affreusement sentimental », mais au revoir, farewell, auf Wiedersehn, bonsoir. Adieu, monsieur Plummer.