En 2006, un journaliste kazakh a été dépêché aux États-Unis par le ministère de l’Information nationale afin de faire vivre à ses compatriotes l’expérience américaine. Tombé en disgrâce dès son retour au pays, Borat Sagdiyev a aujourd’hui la chance de se racheter alors que le gouvernement kazakh lui confie une nouvelle mission périlleuse. Sacha Baron Cohen remet le couvert et propose un autre faux documentaire, réalisé cette fois-ci dans un vrai contexte…

Mot d’ordre : outrance

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Sacha Baron Cohen haranguant la foule en 2006 dans le premier volet cinématographique des aventures de Borat Sagdiyev

Né dans l’émission culte Da Ali G Show, où l’humoriste britannique Sacha Baron Cohen se glissait dans la peau de trois personnages différents pour interviewer des vedettes et des inconnus, Borat Sagdiyev a vite eu droit à son propre long métrage, réalisé en 2006 par Larry Charles. On avait rarement vu un comédien aller aussi loin dans l’outrance, avec la volonté manifeste de prendre le revers de la rectitude politique et d’exposer les dérives d’une certaine idéologie. Quitte à se mettre parfois en danger, Borat remet au visage de ses interlocuteurs, avec toute sa candeur, leurs convictions infréquentables. L’humour très grinçant que pratique Sacha Baron Cohen, souvent improvisé, révèle ainsi des valeurs profondément ancrées dans certains esprits, aussi déplorables que celles que véhicule ce reporter ouvertement antisémite, misogyne et raciste. Borat : Cultural Learnings of America for Make Benefit Glorious Nation of Kazakhstan a connu un franc succès public et critique, au point où Sacha Baron Cohen a obtenu en 2007 le Golden Globe du meilleur acteur dans une comédie. Le film fut aussi cité aux Oscars dans la catégorie du meilleur scénario adapté.

Un être discret

Sacha Baron Cohen apparaît parfois dans les médias en revêtant les allures de ses personnages, mais il accorde très rarement des interviews plus sérieuses. Jamais, à vrai dire. Récemment, il s’est pourtant confié à la journaliste Maureen Dowd du New York Times. Des extraits de ce long entretien ont été repris par de nombreux autres médias, lesquels dévoilent un peu les secrets entourant ce deuxième opus inattendu. Intitulé tout simplement Borat Subsequent Moviefilm : Delivery of Prodigious Bribe to American Regime For Make Benefit Once Glorious Nation of Kazakhstan (Borat, le film d’après – L’incroyable subterfuge au régime américain pour mettre en lumière la nation du Kazakhstan, jadis si glorieuse), ce deuxième volet tend d’abord à faire rire, mais aussi à exposer « le dangereux glissement vers l’autoritarisme » sur lequel navigue l’administration de Donald Trump depuis l’élection de ce dernier. « En 2005, il fallait un personnage comme Borat pour confronter les gens à leurs propres préjugés. Aujourd’hui, ces préjugés s’expriment au grand jour et les racistes sont fiers de l’être. Quand un président est ouvertement raciste et fasciste, cela autorise tout le reste de la société à changer son discours aussi », a déploré l’humoriste dans cet entretien.

> Lisez l’entrevue du New York Times (en anglais)

Cinq jours sans décrocher

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En pleine pandémie, Sacha Baron Cohen a été confiné avec deux conspirationnistes pendant cinq jours.

En revoyant le film de 2006, on se demande franchement comment Sacha Baron Cohen a pu s’en sortir avec tous ses morceaux, tellement les choses auraient pu mal tourner. On retient notamment cette fameuse scène où le faux reporter kazakh harangue une foule incrédule dans un rodéo. Il en est de même dans ce deuxième volet, notamment pour deux scènes très précises. Borat a en effet réussi à s’infiltrer au sein de la Conservative Political Action Conference — déguisé en Donald Trump — le jour où le vice-président, Mike Pence, s’est adressé aux partisans. Mais ce n’est pas tout. En pleine pandémie, l’humoriste a réussi à gagner la confiance de deux conspirationnistes, chez qui il a séjourné pendant… cinq jours ! « Ce fut la chose la plus difficile, a confié celui qui incarne aussi Abbie Hoffman dans The Trial of the Chicago 7, d’Aaron Sorkin. J’ai dû jouer Borat sans interruption pendant cinq jours, confiné dans une maison. Je me réveillais, je déjeunais, je dînais, je soupais et j’allais me coucher en Borat avec deux adeptes de théories du complot dans la maison ! »

Une dénonciation de l’antisémitisme

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À l’invitation de l’Anti-Defamation League, Sacha Baron Cohen a livré l’an dernier un discours qui a marqué les esprits.

Étant lui-même juif, Sacha Baron Cohen dénonce l’antisémitisme à travers un personnage outrageusement choquant, pour lequel il pousse cette fois la caricature encore plus loin. L’humoriste estime la situation tellement grave que, l’an dernier, il a accepté l’invitation de l’Anti-Defamation League de livrer un discours en tant que lui-même, une première. Dans son allocution, Sacha Baron Cohen a vertement dénoncé la passivité des géants du web — Facebook, Twitter et Google en tête — face aux négationnistes de l’Holocauste, sous le couvert de la liberté d’expression. Borat Subsequent Moviefilm est par ailleurs dédié à Judith Dim Evans, survivante de l’Holocauste morte peu après le tournage du film. Cette dame y affiche une compassion admirable, même face à un personnage — Borat — incarnant les pires clichés.

> Lisez (ou voyez) le discours de Sacha Baron Cohen (en anglais)

Le vote des femmes

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Une scène datant de 2006, tirée du premier volet cinématographique des aventures de Borat Sagdiyev

Selon le New York Times, les diffuseurs en ligne à qui Borat Subsequent Moviefilm a été proposé auraient été frileux à l’idée de diffuser un film au contenu politique explosif avant l’élection présidentielle. Sacha Baron Cohen tenait cependant à ce que le film, dont la réalisation est signée Jason Woliner (un vétéran de la télé), soit offert au peuple américain avant le 3 novembre. « Nous voulions rappeler aux femmes pour qui elles votent — ou pour qui elles ne votent pas. Si vous êtes une femme et que vous ne votez pas contre cet individu, soyez consciente de ce que vous faites à votre genre », a-t-il déclaré à Maureen Dowd.

Borat Subsequent Moviefilm est offert sur la plateforme Amazon Prime Video.

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