Même si aucune production québécoise francophone n’a été retenue dans la sélection des longs métrages proposés au Festival international du film de Toronto (TIFF) cette année, le cinéma d’ici est bien présent, grâce à des films mettant en valeur des visions et des thèmes plus rarement représentés dans notre cinéma.

Ils ont pour nom Tracey Deer, Bruce La Bruce, Aisling Chin-Yee ou Chase Joynt. Ce sont ces cinéastes qui, avec quelques autres, portent les couleurs du cinéma québécois au TIFF cette année.

Tracey Deer, qui a reçu mardi des mains d’Ava DuVernay le prix du TIFF pour le talent émergent, est celle qui aborde le plus frontalement une sombre page de notre histoire. S’étant déjà fait remarquer dans le domaine du documentaire (Club Native) et de la télévision (la série Mohawk Girls), la réalisatrice s’est inspirée de sa propre jeunesse pour élaborer Beans, son premier long métrage de fiction.

Ayant grandi dans la communauté mohawk de Kahnawake, Tracey Deer était âgée de 12 ans quand est survenue la tristement célèbre crise d’Oka, en 1990. Dans son film, elle relate les évènements à travers les yeux d’une jeune fille effectuant son passage entre l’enfance et l’adolescence dans un moment de tension sociale comme on aurait rarement pu imaginer.

Surnommée Beans, la jeune fille (jouée avec conviction par Kiawentiio) prend vite conscience de sa situation quand elle manifeste sa volonté de s’inscrire à une école privée destinée à des « filles blanches ». Ce désir suscite une certaine discussion au sein de la famille, mais il est vite anéanti le jour où se profile ce projet d’agrandissement d’un terrain de golf sur des terres mohawks. Avec de vraies scènes d’archives, la réalisatrice met le tout en contexte et montre comment le brasier s’est enflammé.

Surtout, Tracey Deer illustre les conséquences qu’a ce drame explosif sur une jeune fille jusque-là très enjouée, confrontée brutalement à la colère. Quand sa mère (excellente Rainbow Dickerson) prend le volant pour trouver refuge à l’extérieur d’un territoire sur lequel plane une intervention imminente de l’armée, la famille, comme la centaine de Mohawks évacués ce jour-là, est accueillie à l’autre bout du pont Honoré-Mercier par une foule hostile qui n’hésite pas à lancer sur les voitures des pierres ou tout ce qui peut lui tomber sous la main, sous l’œil indifférent de la police. Cet épisode, raconté de façon très convaincante, est l’un des plus poignants du film. Il montre, d’une part, comment une foule aveuglée de certitudes peut facilement déraper et devenir haineuse. Il symbolise aussi, d’une certaine façon, toute l’histoire des nations autochtones et le traitement qu’elles ont dû subir en ce pays au fil des décennies.

Beans sera distribué par Métropole Films au Québec, mais aucune date de sortie n’est encore fixée.

PHOTO FOURNIE PAR A-Z FILMS

Félix-Antoine Duval dans Saint-Narcisse, film de Bruce La Bruce

Étrange, mais fascinant

Bruce La Bruce est reconnu pour son éclectisme, sa propension à mêler les genres, et pour faire de la pornographie un genre cinématographique comme un autre. Grâce à des films comme Hustler White et L. A. Zombie, le cinéaste indépendant est aussi l’un des chefs de file du cinéma queer.

Saint-Narcisse, présenté il y a quelques jours à la Mostra de Venise pour clore le volet Giornate degli Autori (Venice Days), fait partie des films plus « traditionnels » dans l’œuvre du réalisateur de Gerontophilia. Portant à l’écran un scénario écrit avec Martin Girard (Nitro Rush), La Bruce propose une histoire campée dans le Québec des années 1970, au centre de laquelle se trouve un jeune homme (Félix-Antoine Duval), obsédé par son image, qui part à la trace de son histoire familiale. Celui qui aime bien se prendre en égoportrait avec son appareil Polaroïd découvrira des choses étonnantes en chemin, notamment la présence d’un jumeau, élevé sous le joug d’un prêtre (Andreas Apergis) obsédé par saint Sébastien…

Regroupant des éléments disparates (l’entrée en matière ne pourrait être plus originale), Bruce La Bruce propose ici un film inclassable, dont on remarque le soin apporté sur le plan de la direction artistique, tout autant que celui des images (signées Michel La Veaux). Les spectateurs francophones auront aussi tôt fait de remarquer la lecture du manifeste du Front de libération du Québec par Gaétan Montreuil à la radio, non sous-titrée en anglais, qui donne à l’ensemble un aspect encore plus étrange, d’autant que le récit se déroule deux ans après la crise d’Octobre.

Saint-Narcisse, dont la société A-Z Films a acquis les droits de distribution, fera partie de la programmation du prochain Festival du nouveau cinéma de Montréal avant de prendre l’affiche en salle au cours de la saison prochaine.

PHOTO FOURNIE PAR LES FILMS DU 3 MARS

No Ordinary Man, documentaire réalisé par Aisling Chin-Yee et Chase Joynt, relate l’histoire du musicien de jazz Billy Tipton.

Être trans, hier et aujourd’hui

Depuis quelques années, les festivals de cinéma font des efforts pour atteindre une représentation plus diversifiée, et force est de reconnaître que le TIFF a souvent eu une longueur d’avance à ce chapitre. Un documentaire produit par la société québécoise Parabola Films se distingue aussi de belle façon dans la sélection torontoise. No Ordinary Man, coréalisé par Aisling Chin-Yee, de Montréal, et Chase Joynt, relate la vie de Billy Tipton, musicien de jazz américain très apprécié dans les années 1940 et 1950. La transidentité du musicien n’a été révélée qu’après sa mort. En plus de l’histoire fascinante d’un être qui, toute sa vie durant, a dû cacher le genre assigné à sa naissance, même à ses proches, on trouve aussi les témoignages des personnes trans appelées à auditionner pour éventuellement interpréter le musicien dans le film. Les visions qu’elles expriment sont toutes très éclairantes. Et contribuent à mieux faire comprendre la réalité dans laquelle elles évoluent.

Les Films du 3 mars détient les droits de ce film pour une exploitation au Québec et au Canada, mais aucune date de sortie n’est encore fixée.

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