Depuis que le Québec est en pause, les tournages de séries ou de films sont à l’arrêt. Dans la perspective d’un déconfinement progressif, des intervenants réfléchissent à des pistes de solution qui pourraient permettre la reprise d’un certain type de tournage. Quand ? Voilà la grande question.

Alors que les salles de cinéma commencent à évoquer la possibilité d’une réouverture dès le mois prochain, grâce à une série de mesures sanitaires et au respect des règles de distanciation physique, on s’interroge aussi du côté de ceux qui fabriquent les films et les séries dramatiques.

Le ministère de la Culture et des Communications collige ces jours-ci les recommandations des différentes associations professionnelles et syndicales afin d’adopter une stratégie pouvant mener à une éventuelle relance des tournages. Cela dit, aucun échéancier n’est encore établi.

« Comme tout le monde, nous sommes devant l’inconnu sur ce plan, mais il est clair que dans l’ordre des choses, les tournages de séries et de films dramatiques ne pourront pas reprendre bientôt, indique Gabriel Pelletier, président de l’Association des réalisateurs et réalisatrices du Québec. Les comédiens ne peuvent se protéger avec des masques et partagent forcément aussi une proximité avec les techniciens. Ça rend les choses plus difficiles.

« Nous n’en sommes pas encore à l’étape où les mesures peuvent être décrites en détail, poursuit-il, mais nous y réfléchissons tous. Chacune des associations fera ses propres recommandations, d’abord sur le plan de la santé et sécurité, ensuite sur le plan de la relance et des implications économiques. Nous obtenons une bonne écoute de la part des institutions. »

Soderbergh à la rescousse

À Hollywood, la Guilde américaine des réalisateurs a mandaté Steven Soderbergh – celui-là même qui a réalisé le film prémonitoire Contagion en 2011 – pour présider un comité chargé de chercher des solutions pour une reprise graduelle des tournages. Dans un contexte où, croit-on, plus rien ne pourra être pensé de la même façon, ces solutions existent, même si quelques-unes d’entre elles risquent d’être difficilement mises en application. En plus de faire en sorte que les plateaux soient parfaitement sécuritaires pour ceux qui seront appelés à les fréquenter, la reprise devra obtenir l’aval des compagnies d’assurances et des différentes associations professionnelles et syndicales.

PHOTO STEFANIE LOOS, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Le réalisateur américain Steven Soderbergh

Tout le monde s’entend pour dire que les tournages de superproductions à la Avengers, qui requièrent parfois la présence de 200 ou 300 personnes sur un plateau, ne pourront reprendre dans un proche avenir. En revanche, les productions plus modestes, tournées en équipe réduite, pourraient peut-être s’activer, dans la mesure où des mesures très strictes seraient respectées.

Dans un article publié récemment par le journal Variety, les producteurs Brian Kavanaugh-Jones (Bad Education) et Chris Ferguson (Child’s Play) faisaient état d’un plan de stratégies qu’ils ont élaboré après avoir réfléchi à des solutions, sans toutefois suggérer d’échéancier. Installation d’un plateau dans un endroit plus isolé, quarantaine obligatoire et tests médicaux avant le tournage pour toute l’équipe, laquelle serait déjà confinée dans un hôtel ultra-désinfecté. Une seule personne désignée aux maquillages, produits de maquillage personnalisés et remisés de façon sécuritaire, quarantaine pour costumes et accessoires… Bref, cette panoplie de mesures entraînerait évidemment des contraintes auxquelles tous ne seront peut-être pas prêts à se soumettre. Aussi, les scénarios devraient être réécrits de telle sorte qu’aucune participation spéciale ne serait autorisée. Autrement dit, pas question de faire venir une vedette pour une seule journée de tournage.

Une solution québécoise ?

Marc Côté, fidèle collaborateur de Jean-Marc Vallée et fondateur de la société Real by Fake, spécialisée dans les effets visuels, estime que des solutions inspirées par la méthode de travail que les deux hommes privilégient depuis Dallas Buyers Club pourraient être mises de l’avant dans ce nouveau contexte.

PHOTO FOURNIE PAR REAL BY FAKE

Marc Côté, fondateur de la société Real by Fake, en compagnie du réalisateur Jean-Marc Vallée

« Notre méthode n’a pas été élaborée en fonction d’une pandémie, mais plutôt pour diminuer le nombre d’artisans en location et rehausser le travail en postproduction, explique-t-il. Dans les projets de Jean-Marc, et d’autres dont nous nous occupons aussi [parmi lesquels la série The Morning Show], il arrive souvent que deux ou trois morceaux d’une même scène soient réassemblés sans que personne ne le remarque. Les acteurs apparaissent ensemble à l’écran, mais n’ont pourtant pas été présents l’un à côté de l’autre pendant le tournage. Ils ont plutôt parlé à des objets, ou à des gens qui leur ont donné la réplique au loin. »

Dans Dallas Buyers Club, les environnements ont été créés de façon virtuelle. Ce fut le cas pour Big Little Lies aussi. Cette méthode ne peut être appliquée dans tous les cas, mais nous avons plusieurs trucs dans notre chapeau !

Marc Côté, fondateur de la société Real by Fake

Dans les séries et les films dramatiques, les scènes de proximité entre les personnages constitueront le défi le plus difficile à relever. Aux yeux de Marc Côté, il est peut-être possible d’y parvenir, quitte à faire appel à des gens partageant déjà une proximité dans la vie, dont on pourrait ensuite changer l’apparence physique et ajouter les visages des acteurs !

PHOTO ANDRÉ PICHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Plateau de tournage de la série québécoise La Maison-Bleue, en 2019

« Ça fait partie de la magie, mais c’est surtout une question d’ingénierie, fait-il remarquer. Tout cela exige une grande réflexion en amont parce qu’il ne faut pas que l’étape de la postproduction devienne une opération de nettoyage, mais plutôt une exécution. Nous, on s’implique dans toutes les étapes d’un projet, dès l’écriture. On peut ainsi aider à faire la lecture, le découpage, et notre expertise sert aussi à trouver les techniques et les façons de faire, tout en gardant les coûts de production à un niveau raisonnable. C’était ça, notre but, au départ. »

Malgré l’arrêt des tournages, l’équipe de Real by Fake a été maintenue en entier. Optimiste, Marc Côté croit que certains projets pourront entreprendre leur préproduction d’ici deux mois.

« Toute notre infrastructure a été construite de telle sorte que le télétravail est possible. Évidemment, on perd la notion de proximité entre collègues, toujours agréable, mais nous avons développé nos propres canaux de communication. J’ai aussi le sentiment qu’on trouvera bientôt la solution pour que les tournages reprennent, du moins, du côté des productions indépendantes. Il faut être prêts, car le jour où la machine repartira, le volume risque d’être imposant ! »