Lauréat du Grand prix au festival de Berlin le mois dernier, Never Rarely Sometimes Always, d’Eliza Hittman, aurait en principe dû sortir en salle au Québec ces jours-ci. Compte tenu des circonstances, il est plutôt offert à la vidéo sur demande. Nous en avons discuté avec Théodore Pellerin, l’un des acteurs de ce très beau film.

Même s’il travaille beaucoup à l’extérieur de nos frontières, Théodore Pellerin était déjà à Montréal au moment où la planète s’est mise à l’arrêt. Il devait cependant s’envoler vers Vancouver pour tourner pendant quelques jours de nouvelles scènes de There’s Someone Inside Your House, un film d’horreur que diffusera Netflix (réalisé par Patrick Brice), dont le tournage s’est déroulé l’automne dernier. En temps normal, l’acteur québécois aurait aussi pris ce mercredi la direction de La Nouvelle-Orléans afin de tourner auprès de Kirsten Dunst la deuxième saison de la série On Becoming a God in Central Florida.

« Tout est en suspens pour une durée indéterminée, indique-t-il au cours d’un entretien accordé à La Presse. On ne sait pas quand le tournage pourra reprendre ni quand cette deuxième saison pourra être diffusée. »

Trouver des choses à faire

Comme tout le monde, Théodore Pellerin trouve la situation très préoccupante sur le plan collectif, mais compose néanmoins avec celle-ci en respectant des consignes qui s’apparentent à celles qu’observe parfois quelqu’un exerçant un métier marqué par des périodes plus creuses.

En tant qu’acteur et travailleur autonome, je suis quand même habitué à m’arrêter pendant de longues périodes. Le moment que nous vivons est très déstabilisant, mais, sur le plan personnel, je ne vois pas une si grande différence avec ces moments où je dois me trouver des choses à faire.

Théodore Pellerin

« Là, je fais comme tout le monde : je lis, je regarde des films, des séries, je fais des marches en respectant la distanciation physique, je ne vois pas d’amis, sauf au cours des rencontres qu’on organise sur FaceTime. Et mes mains sont sèches à force de les laver ! »

Malgré cet arrêt forcé, Théodore Pellerin se retrouve néanmoins dans l’actualité cinématographique à la faveur de la sortie sur les plateformes de Never Rarely Sometimes Always. Ce film d’Eliza Hittman (Beach Rats) relate le parcours d’une adolescente de 17 ans qui habite une petite ville de Pennsylvanie, un État où le consentement parental est obligatoire pour une mineure désirant interrompre une grossesse. En désespoir de cause, cette dernière se rend à New York en compagnie de sa cousine, pour subir l’intervention. L’acteur incarne un étudiant que croiseront les deux jeunes filles lors de leur périple à Manhattan.

« J’ai eu accès au scénario avant d’aller passer l’audition, explique-t-il. Avant même de le lire, j’étais déjà vendu à l’idée par le simple fait de voir le nom d’Eliza Hittman, une cinéaste dont j’admire les films. Vraiment, c’est l’une des choses les mieux écrites que j’ai lues dans ma vie. Cette lecture m’a complètement bouleversé. C’est simple et très fort à la fois. Le récit, complètement dénué de jugement, est porté par des personnages d’une profonde humanité. Il y a quelque chose de très poétique et en même temps très juste dans cette façon d’évoquer une espèce d’anxiété, sans qu’elle ne soit jamais nommée. Eliza a réussi à mettre en images ce qui, pour moi, était déjà une œuvre littéraire en soi. »

Un peu intimidé…

Le rôle qu’il campe en étant un de soutien, Théodore Pellerin n’a tourné que quelques jours à New York, mais il ne cache pas avoir été un peu intimidé à l’idée de tourner sous la direction d’une cinéaste qu’il admire autant.

C’est toujours un peu plus intimidant de participer à des projets initiés par des gens qu’on admire. On veut être à la hauteur de l’œuvre.

Théodore Pellerin

« Il me fallait correspondre à la vision d’une artiste qui porte en elle quelque chose d’aussi plein, d’aussi complexe. Je ne voulais rien laisser au hasard et j’avais envie de tout comprendre parce que ça dépasse le niveau d’une simple scène à jouer. En même temps, on est heureux d’avoir du matériel qui nous plaît et qui nous motive autant. On ne tombe pas sur un bijou pareil tous les jours ! »

Le personnage d’étudiant qu’il incarne, dont on ne connaît trop les intentions véritables tellement il insiste auprès des jeunes filles, paraît ambigu. Le seul personnage masculin important de cette histoire s’inscrit aussi dans une vision oppressante de la masculinité, laquelle traverse tout le film.

« D’une part, on sent qu’il porte quand même en lui une véritable empathie envers ces filles, mais il est tellement insistant… En fait, ce personnage existe uniquement à travers le regard des filles, et tout ce que le spectateur lui prête vient de ce regard, de cette perception. Jasper [le prénom de son personnage] n’est pas particulièrement mal intentionné, mais il est inconscient de son effet et de la gravité de certains gestes qu’il peut poser, ce qui est d’ailleurs le cas de plein d’hommes. En cela, ça reflète assez bien l’époque dans laquelle on vit. D’ailleurs, la présence des hommes dans cette histoire est toujours symbolique de la pression qui s’exerce sur les femmes. »

« Un peu un chef-d’œuvre »…

Quand il a vu Never Rarely Sometimes Always une première fois, Théodore Pellerin a grandement été impressionné par le travail de réalisation d’Eliza Hittman, ainsi que par les performances de ses deux partenaires, Sidney Flanigan et Talia Ryder. Il estime que le long métrage va même plus loin que le scénario.

« À mes yeux, ce film est un peu un chef-d’œuvre, dit-il. C’est le genre de film qui peut rejoindre les gens, non seulement grâce au sujet – important –, mais aussi grâce à toute la poésie et l’humanité qu’il porte. Il en dépasse l’aspect social et politique. Ça relève d’un autre ordre. »

S’il se dit ravi de la possibilité qu’auront les cinéphiles de le voir grâce à la vidéo sur demande, l’acteur québécois estime que Never Rarely Sometimes Always pourra sans doute s’apprécier aussi sur grand écran un jour.

« Il faut s’adapter. Cela dit, j’ai quand même le sentiment que ce film pourra peut-être revenir en salle à un moment donné. Cette œuvre va durer dans le temps, ça, c’est certain, et mérite vraiment d’être vue sur grand écran. Je sais que tout le monde dit ça, mais dans ce cas-ci, c’est vrai, parce qu’il s’agit d’un film tout en finesse. Le voir sur grand écran ajoute à sa profondeur. Reste que dans les circonstances, il vaut quand même la peine de le regarder chez soi aussi ! »

Never Rarely Sometimes Always est offert en vidéo sur demande.