(Berlin) Sally Potter a présenté The Roads Not Taken, l’un des films les plus acclamés de la compétition officielle. En explorant l’espace mental d’un homme atteint de démence précoce, la cinéaste britannique offre à Javier Bardem l’un de ses plus beaux rôles. La septième journée du festival a aussi été marquée par la présentation d’une nouvelle adaptation de Berlin Alexanderplatz.

La salle du Grand Hyatt Hotel de Berlin, où ont lieu les conférences de presse, était bondée comme elle ne l’avait jamais été depuis le début du festival. L’attrait exercé par la présence de vedettes internationales y est sans doute pour quelque chose, mais on sentait aussi – c’était palpable – la véritable affection des journalistes pour le nouveau film de Sally Potter.

Cette dernière, une habituée de la Berlinale, était entourée de Salma Hayek, d’Elle Fanning et, bien sûr, de Javier Bardem. « LE » Javier Bardem, comme l’a désigné Elle Fanning, quand elle a raconté avoir eu un petit moment de vertige quand on lui a appris qu’elle allait jouer sa fille, et qu’elle partagerait des scènes profondément émouvantes avec lui.

Je ne l’avais jamais rencontré avant, vous vous rendez compte ? J’étais un peu intimidée. Javier Bardem, quand même ! LE Javier Bardem !

Elle Fanning

Histoires parallèles

Dans The Roads Not Taken, l’acteur espagnol incarne Leo, un homme dont la mémoire a fui trop tôt. Sa fille Molly (Elle Fanning) prend soin de ce père qui, parfois, est confus au point de ne plus pouvoir dire son nom. Plutôt que de faire une démonstration clinique de la maladie, Sally Potter (Orlando, The Tango Lesson) préfère saisir l’occasion pour explorer autre chose. En s’immisçant dans l’espace mental d’un homme qui aurait pu vivre d’autres vies, elle propose deux trajectoires alternatives. The Roads Not Taken se déploie ainsi en trois histoires parallèles. Il y a d’abord la vraie, qui fait écho à la triste situation dans laquelle Leo est plongé, puis une autre le ramenant à Mexico avec la première femme qu’il a aimée (Salma Hayek). On le voit aussi écrivain solitaire en séance d’écriture quelque part dans une île grecque…

« Cette histoire m’a été inspirée par celle de mon frère, qui a souffert de démence avant de mourir, a expliqué la cinéaste, aussi compositrice de la trame musicale de son film. Je me suis beaucoup occupée de lui et, quand il avait ses absences, je me demandais toujours où allaient ses pensées, alors qu’il semblait lui-même si loin du monde qui l’entourait. Ce film vient d’un endroit personnel très intime en moi et il exprime tout l’amour que j’avais pour mon frère. »

PHOTO JOHN MACDOUGALL, AGENCE FRANCE-PRESSE

Javier Bardem 

Père et fille

Au cœur du récit, une relation entre un père, à qui la mémoire familiale échappe, et sa fille, mue par un amour inconditionnel. Sally Potter suit de très près ses personnages et les filme magnifiquement. Javier Bardem offre l’une de ses plus délicates et vibrantes compositions. Quelques-unes des scènes qu’il partage avec Elle Fanning sont bouleversantes.

« Pour me préparer, j’ai surtout été à l’écoute de Sally, a expliqué Javier Bardem. Bien sûr, on m’a donné l’occasion de discuter avec des gens directement impliqués dans le traitement de la démence, mais il me fallait oublier tout ça pour concrétiser la vision que Sally avait en tête. Cela dit, je craignais d’aller dans des zones où, en tant que père, je pourrais facilement perdre le contrôle. Je crois que sans Elle [Fanning], je n’aurais pas pu y arriver. »

L’actrice, aujourd’hui âgée de 21 ans, retrouve quant à elle une cinéaste envers qui elle ne tarit pas d’éloges, qu’elle avait connue à l’âge de 13 ans grâce à Ginger & Rosa. « Je l’aime tellement ! », a-t-elle déclaré, émue.

« J’essaie toujours de créer sur le plateau un climat dans lequel les acteurs peuvent se sentir en confiance et où ils peuvent constater qu’il n’y a pas de limites à ce qu’ils peuvent faire, a ajouté la cinéaste. Quant à Elle, même à 13 ans, elle était déjà l’une des actrices les plus professionnelles avec qui j’ai eu l’occasion de tourner ! »

The Roads Not Taken sortira en distribution limitée aux États-Unis le 13 mars. Il n’apparaît pas encore sur l’écran radar québécois.

Berlin Alexanderplatz  pari quasi impossible

PHOTO TOBIAS SCHWARZ, AGENCE FRANCE-PRESSE

La distribution du film Berlin Alexanderplatz

Sur papier, l’idée était formidable. Burhan Qurbani, cinéaste allemand né de parents ayant fui l’Afghanistan un an avant sa naissance, a eu l’idée de transposer le roman phare d’Alfred Döblin, publié en 1929, dans le Berlin d’aujourd’hui. Dans son long métrage d’un peu plus de trois heures, divisé en cinq chapitres, le protagoniste devient ainsi un réfugié clandestin de la Guinée-Bissau ayant gagné l’Europe pour refaire sa vie, animé du désir sincère de devenir un homme « bien ». Mais ce Francis (Welket Bungué, qui a une présence forte à l’écran), qu’on surnommera Franz, est entraîné par la force des choses dans le monde du trafic de la drogue, et se retrouvera au cœur d’une société qui ne lui fera pas de cadeau.

Cette nouvelle version de Berlin Alexanderplatz, en lice pour l’Ours d’or, n’est pas vilaine, mais les bonnes intentions, c’est bien connu, ne font pas toujours les meilleurs films. Burhan Qurbani (Shahada, On est jeunes, on est forts) a également dû faire face à deux obstacles majeurs : le livre, d’abord, un classique de la littérature allemande universellement reconnu, et, surtout, la foisonnante série télévisée qu’en a tirée Rainer Werner Fassbinder il y a exactement 40 ans. Et qui a marqué les esprits. On peut évidemment saluer l’ambition de Burhan Qurbani, et son envie de traiter au passage certains thèmes sociaux très contemporains (l’immigration notamment), mais les œuvres précédentes sont si fortement ancrées dans les mémoires collectives qu’il aurait fallu un long métrage vraiment exceptionnel pour rivaliser avec elles.