(Berlin) Retour sur la soirée de première de My Salinger Year, de Philippe Falardeau… qui ne s’est pas passée tout à fait comme prévu.

Au lendemain de la première de My Salinger Year, et après des critiques pour le moins mitigées de la presse internationale, Sigourney Weaver a évoqué son affection pour le film et son réalisateur, a parlé de la place des femmes à conquérir dans le cinéma, du mouvement #metoo, d’Avatar et d’Alien. De son côté, Philippe Falardeau a raconté qu’à cause des circonstances, il n’a pu vivre ce moment unique comme il l’aurait souhaité…

Elle est la classe incarnée. Partout où elle est passée pendant son séjour à la Berlinale, Sigourney Weaver a fait l’unanimité en se montrant généreuse, jouant de son statut d’icône avec discrétion. « Je n’en ai pas conscience du tout, a déclaré l’actrice lors d’une rencontre de presse à laquelle La Presse avait été conviée. Étant moi-même facilement impressionnée par des artistes que j’admire – je crois que [le réalisateur] Taika Waititi a eu un peu peur quand je l’ai croisé aux Oscars ! –, j’ai du mal à croire que je puisse produire cet effet chez d’autres personnes. »

Dans My Salinger Year, de Philippe Falardeau, l’actrice prête ses traits à Margaret, une agente littéraire qui, parmi ses poulains, compte notamment le célèbre auteur J.D. Salinger. Elle donne ainsi vie à l’écran à un personnage déjà existant, que décrit Joanna Rakoff dans le livre où cette dernière raconte l’année où, au milieu des années 90, elle s’est retrouvée à devoir détruire, après les avoir lues, les lettres que les admirateurs envoyaient à l’auteur reclus, qui ne voulait pas les recevoir.

« J’ai trouvé ce scénario tellement bien écrit, original, avec ces admirateurs que Salinger ne lira jamais, qui font partie intégrante de l’histoire, indique l’actrice. Et cette femme, Margaret, est une force de la nature, qui défiait son époque d’une certaine façon. J’ai toujours admiré ce genre de femme, très new-yorkaise. J’ai trouvé là une occasion de leur rendre hommage. »

La place des femmes

Sigourney Weaver est en tout cas sortie ravie de son expérience avec Philippe Falardeau. « Ma vie est plutôt du côté des films d’auteur, moins du côté d’Avatar qui, à mes yeux, relève davantage du camp d’entraînement, fait-elle remarquer. J’adore les histoires qu’on y raconte et j’aime bien les captures de mouvements, mais je suis toujours heureuse de retrouver ensuite des personnages en chair et en os. Et puis, la vision de Philippe est unique et pleine de surprises. Ce fut un vrai charme de jouer dans son film et j’espère avoir la chance de travailler de nouveau avec lui. »

L’actrice a particulièrement apprécié le fait de voir plusieurs femmes occuper des postes-clés dans tous les secteurs de production du long métrage de Philippe Falardeau.

« Chaque fois que je vois une femme occuper un poste traditionnellement tenu par un homme, mon cœur s’agite ! dit-elle. À Hollywood, il reste encore tellement de chemin à faire avant que les équipes de tournage ressemblent vraiment au monde dans lequel on vit. C’est une question de génération aussi, je crois. James Cameron travaille avec les mêmes équipes depuis 35 ans, et on peut comprendre qu’il puisse vouloir garder des gens en qui il a confiance. Le processus sera long, mais il est en marche. »

L’actrice applaudit les mouvements #metoo et #timesup, qu’elle trouve nécessaires, et se dit solidaire de toutes les victimes de harcèlement.

« Je n’ai jamais personnellement vécu ce genre d’expérience, peut-être parce que, étant très grande, on n’osait pas me harceler. Je crois qu’après Alien, personne n’a pris le risque non plus ! Plus sérieusement, j’ai dû me battre pour m’imposer en tant qu’actrice. Au début, personne ne voulait me donner de rôle parce qu’on me trouvait trop grande. Aucun agent ne voulait me prendre sous son aile. Mais pour revenir à #metoo, on sent vraiment un changement et il était grand temps que ça arrive. »

PHOTO JOHN MACDOUGALL, AGENCE FRANCE-PRESSE

Philippe Falardeau lors d’une conférence de presse, à Berlin

Une autopsie douce-amère pour Philippe Falardeau

Vendredi à la mi-journée, Philippe Falardeau n’avait pas encore eu le temps de lire les critiques de la presse internationale, lesquelles sont en général plutôt négatives. Variety estime que My Salinger Year « tombe à plat » et affirme qu’il n’est en rien un Devil Wears Prada. The Hollywood Reporter relève les belles idées du film (notamment les lecteurs de J.D. Salinger qui s’incarnent dans le personnage que joue Théodore Pellerin), mais note que le cinéaste québécois filme « avec plus d’enthousiasme que d’efficacité ». IndieWire salue les performances de Sigourney Weaver et de Margaret Qualley, mais remarque que Falardeau vient ajouter un chapitre « étrange » au mythe de Salinger. Screen International trouve le film un peu trop « poli et sage pour se distinguer grâce à ses propres mérites ». The Guardian livre de son côté un verdict aussi violent que sans appel en évoquant un « dérivé insipide, une pâle imitation de The Devil Wears Prada ».

Ce n’est toutefois pas à cause de ces critiques que Philippe Falardeau repartira de Berlin avec l’étrange sentiment de ne pas avoir vécu pleinement la soirée d’ouverture. La tragédie de Hanau, qui a créé une véritable onde de choc en Allemagne, a en effet pesé lourd dans les esprits. Les plans de la soirée d’ouverture ont été modifiés.

« Le spectacle avait été conçu autour d’une vedette de la télé reconnue pour son humour [Samuel Finzi], mais là, dans les circonstances, le ton se devait d’être dramatique, surtout dans un pays où la question du racisme est si sensible, explique-t-il. En entendant tous ces discours – celui de la ministre de la Culture était particulièrement fort –, je me suis demandé si, par simple décence, on ne devait pas annuler la projection. Ce qui s’est passé ici ressemble beaucoup à ce qu’on a vécu au Québec avec l’attentat contre une mosquée. Je n’aurais eu aucune objection à ce que mon film soit présenté plus tard dans le festival. Mais bon, ça a eu lieu, j’ai eu à monter sur scène, et j’ai évidemment scrapé le discours que j’avais préparé. »

Le cinéaste aurait eu « naïvement » le fantasme de redécouvrir son film avec ses actrices, assises à côté de lui, mais la soirée ayant pris beaucoup de retard, il n’a pu revenir vraiment à temps d’une autre présentation, dans une salle située quelques rues plus loin, pour pouvoir savourer un moment duquel il estime « être un peu passé à côté ». « Ce n’est pas grave ni dramatique, mais je sais bien que je n’aurai pas encore souvent l’occasion de faire l’ouverture d’un grand festival. »

Aucune comparaison avec The Devil Wears Prada

S’attendait-il par ailleurs à ce que My Salinger Year soit comparé à ce point à The Devil Wears Prada ?

« Luc Déry [coproducteur du long métrage avec Kim McCraw] m’avait suggéré de le regarder, rappelle-t-il. Je l’ai fait. Mais au bout de 10 minutes, j’avais déjà la certitude que je n’étais pas en train de faire le même film. Cela dit, le vendeur international a commencé à faire le pitch en disant que c’était The Devil Wears Prada dans le milieu littéraire. J’ai écrit à tout le monde pour leur demander d’arrêter de dire ça, mais une fois que la machine est partie, je n’ai plus de contrôle. Cela dit, je ne comprends pas cette comparaison qui, à mes yeux, ne peut exister ni dans le fond ni dans la trajectoire du personnage qu’incarne Meryl Streep, très différente de celle de Margaret [Sigourney Weaver]. Après des années d’expérience, je sais que je n’ai aucun contrôle sur l’étiquetage d’un film, mais si on me le demande, je n’hésite pas à dire que je rejette cet étiquetage. »

En bref

La fascination de Johnny Depp pour W. Eugene Smith

De passage à Berlin pour accompagner la présentation de Minamata, sélectionné dans la catégorie Berlinale Special, Johnny Depp a déclaré en conférence de presse avoir développé une « étrange fascination » pour le célèbre photographe W. Eugene Smith, qu’il incarne dans ce film d’Andrew Levitas (Lullaby). « Ça s’est accentué en lisant sur sa vie, les épreuves qu’il a dû traverser et les sacrifices qu’il a dû faire pour capter ces photos », a-t-il dit. Le récit de Minamata, s’attarde particulièrement au combat qu’a mené Smith en 1971 contre une grande entreprise, responsable de l’intoxication au mercure de cette ville japonaise. Même en des temps où les problèmes semblent grands au point qu’ils paraissent insurmontables, l’acteur dit toujours croire en l’action individuelle, pas à pas. « Il ne faut pas sous-estimer le pouvoir du petit », a déclaré l’acteur en évoquant un texte classique chinois.

Margaret Qualley dans le prochain film de Claire Denis

Révélée au cinéma l’an dernier grâce à sa performance dans le film de Quentin Tarantino Once Upon a Time… in Hollywood, la vedette de My Salinger Year, de Philippe Falardeau, donnera la réplique à Robert Pattinson dans le prochain film de Claire Denis. « Je suis vraiment très enthousiasmée par ce projet, a déclaré Margaret Qualley à La Presse. J’adore le cinéma de Claire Denis, et l’idée de jouer avec un acteur talentueux comme Robert me réjouit ! » Dans cette adaptation du roman The Stars at Noon (Des étoiles à midi), de Denis Johnson, l’actrice, fille d’Andie MacDowell, se glissera dans la peau d’une correspondante de guerre américaine qui fait la rencontre d’un mystérieux homme d’affaires britannique au Nicaragua, un pays en pleine révolution, en 1984. Claire Denis et Robert Pattinson se retrouvent, deux ans après High Life.

Pas de délégués chinois au marché

Le journal spécialisé The Hollywood Reporter a évoqué un impact significatif dans les affaires du marché du film tenu à Berlin, l’un des plus importants du monde. Il appert qu’à cause de la propagation du coronavirus en Chine, pas moins de 118 délégués de l’empire du Milieu ont annulé leur participation. L’industrie du cinéma en Chine serait complètement paralysée présentement. Les autorités ayant incité les citoyens à rester chez eux, les salles de cinéma sont fermées, et certains intervenants à Pékin estiment qu’elles ne pourront pas reprendre leurs activités avant le mois de mai. La sortie de Mulan, prévue le 27 mars là-bas, risque d’être compromise, et la sortie chinoise du nouveau film de James Bond, No Time to Die, programmée au mois d’avril, est déjà reportée à une date ultérieure.