David Fincher, dont les plus récentes années ont été consacrées à la série Mindhunter, a eu l’occasion de concrétiser enfin un projet de longue date. Mank, dont le scénario a été écrit par son père Jack, trace un portrait grinçant du milieu hollywoodien des années 30, à travers le parcours du scénariste de Citizen Kane, Herman J. Mankiewicz. Ce long métrage marque aussi le retour au cinéma du réalisateur de The Social Network, six ans après Gone Girl. Décryptage.

Un 11e long métrage

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Une scène tirée de Mank

Jack Fincher, le père de David, a pris sa retraite du journalisme dans les années 80, une décennie où son fils s’est fait remarquer dans le domaine du vidéoclip et de la publicité. Désirant alors se lancer dans l’écriture d’un scénario, il a retenu la suggestion de David et a commencé à explorer l’histoire derrière Citizen Kane. Considéré longtemps comme le meilleur film de l’histoire du cinéma, le récit emprunte le point de vue du scénariste Herman J. Mankiewicz, plutôt que celui du réalisateur, un jeune prodige de 25 ans nommé Orson Welles. À la fin des années 90, alors qu’Alien 3 lui avait valu un échec (son premier film à titre de réalisateur constitue une très mauvaise expérience professionnelle pour lui), et Seven, un grand succès, David Fincher a tenté de trouver du financement pour Mank, sans succès. Personne ne voulait investir dans un film en noir et blanc, un choix artistique auquel il tenait. Le projet a alors été remisé dans un coin de la mémoire du cinéaste sans jamais s’effacer, d’autant qu’en 2003, Jack a quitté ce monde. Dix-sept ans plus tard, son scénario est finalement porté à l’écran dans sa forme originale, avec, dans le rôle-titre, Gary Oldman.

Qui était Herman J. Mankiewicz ?

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Herman J. Mankiewicz

De 12 ans l’aîné de son frère Joseph (All About Eve), Herman J. Mankiewicz a d’abord été journaliste et critique avant d’être embauché à titre de scénariste. Il a en outre collaboré avec les Marx Brothers au cours des années 30 et fut l’un des premiers à travailler sur le scénario de The Wizard of Oz, un projet auquel il ne croyait pas du tout. À l’arrivée, sa seule contribution au célèbre film de Victor Fleming, qui a fait de Judy Garland une vedette, aura été de suggérer que la vie quotidienne soit décrite en noir et blanc, et le monde fantaisiste en Technicolor. « Il disait que c’était tout ce qu’il avait pu faire sur ce film-là, rappelle David Fincher, alors qu’il pourrait s’agir du plus grand effet spécial de l’histoire du cinéma ! » Génial, mais alcoolique, doté aussi d’un tempérament autodestructeur, Herman J. Mankiewicz n’avait plus beaucoup d’opportunités professionnelles quand Orson Welles (interprété par Tom Burke) a fait appel à son talent pour ce qui allait devenir Citizen Kane. Welles avait alors déjà établi sa réputation au théâtre et à la radio quand le studio RKO lui a donné carte blanche pour la réalisation de son tout premier long métrage, sans se mêler de rien, ni du choix du sujet, ni du choix des collaborateurs.

Orson Welles, mélange de « talent monumental » et d’« immaturité crasse »

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Orson Welles dans Citizen Kane

Des extraits d’une longue entrevue accordée récemment par David Fincher au magazine français Première ont vite fait le tour de la presse anglo-saxonne. Le réalisateur de The Social Network y est en effet allé de commentaires sur Orson Welles qui défient un peu le caractère intouchable du personnage. « Je pense que la tragédie d’Orson Welles réside dans le mélange entre un talent monumental et une immaturité crasse. Bien sûr, il y a du génie dans Citizen Kane, qui pourrait contester ça ? Mais quand Welles affirme : “Il suffit d’un après-midi pour apprendre tout ce qu’il faut savoir sur la direction de la photo”, pfff… On dira que c’est bien la remarque de quelqu’un qui a la chance d’avoir Gregg Toland à un mètre de lui en train de préparer le prochain plan… Gregg Toland, bon sang, un génie insensé ! Je dis ça sans vouloir manquer de respect à Welles, je sais ce que je lui dois, comme je sais ce que je dois à Alfred Hitchcock, Ridley Scott, Steven Spielberg, George Lucas ou Hal Ashby. Mais à 25 ans, on ne sait pas ce qu’on ne sait pas. Point. Ni Welles, ni personne. Ça ne lui retire rien, et surtout pas sa place au panthéon de ceux qui ont influencé des générations entières de cinéastes. Mais prétendre qu’Orson Welles est sorti tel quel de la cuisse de Jupiter pour faire Citizen Kane et que le reste de sa filmo a été gâché par les interventions de gens mal intentionnés, ce n’est pas sérieux, et c’est sous-estimer l’impact désastreux de ses propres accès d’hubris délirant. »

Prise après prise

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Charles Dance (William Randolph Hearst) et Arliss Howard (Louis B. Mayer) dans Mank

La réputation de perfectionniste que traîne David Fincher n’est plus à faire. Au fil de ses films, plusieurs des acteurs ayant travaillé avec lui, Jake Gyllenhaal à l’époque de Zodiac notamment, ont exprimé leur exaspération à devoir refaire une même prise des dizaines de fois. Gary Oldman a indiqué que Mank est l’un des meilleurs films dans lesquels il a joué, mais ça ne l’a pas empêché de ventiler un peu pendant le tournage, si l’on en croit Charles Dance. Ce dernier, qui interprète le magnat William Randolph Hearst, est au cœur de l’une des scènes les plus ambitieuses du film, alors que Hearst reçoit plusieurs convives lors d’un grand dîner mondain, parmi lesquels Herman J. Mankiewicz et Marion Davies (Amanda Seyfried). À Total Film, l’acteur a fait écho au tournage épuisant. « Nous avons fait prise après prise après prise. À un moment donné, [Gary Oldman] a dit : “David, j’ai joué cette scène 100 maudites fois !” Et Fincher de répondre : “Oui, je sais, celle-ci est la 101e. On la refait !” De son côté, le cinéaste explique qu’il attend de ses comédiens des performances parfaites pour chacun des plans de la scène, peu importe l’angle. “Mon approche est très didactique : voici les ingrédients dont la scène a besoin pour fonctionner et dire ce qu’elle doit dire, et on va continuer à jouer, à chercher des moyens de souligner ces idées aussi subtilement que possible. Je ne crois pas pouvoir arriver à la salle de montage en sachant devoir contourner un acteur qui n’aurait pas été à la hauteur.”

Un contrat exclusif avec Netflix

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David Fincher

C’est également au magazine français Première, qui consacre un reportage important à Mank dans son plus récent numéro, que David Fincher a révélé avoir signé avec Netflix un contrat d’exclusivité d’une durée de quatre ans. Ayant d’abord collaboré avec le diffuseur en ligne pour la série House of Cards, ayant aussi tenu les rênes de Mindhunter pendant deux saisons et agi à titre de coproducteur de la série d’animation Love, Death and Robots, David Fincher a eu envie de revenir à quelque chose de plus circonscrit dans le temps, Mank en l’occurrence. Pour l’instant, aucun autre projet ne figure encore dans ses plans de façon précise. « En fonction de la réception de Mank, je vais soit aller les voir tout penaud en leur demandant ce que je peux faire pour me racheter, soit me présenter avec l’attitude du connard arrogant qui exigera de faire d’autres films en noir et blanc [rires]. Non, je suis là pour leur livrer du “contenu” – quel que soit le sens de ce mot – et leur amener des spectateurs, dans ma petite sphère d’influence », a déclaré le cinéaste.

Mank sera offert sur Netflix le 4 décembre.